Les chansons injustement méconnues de Georges Brassens

Annotation :

https://www.youtube.com/watch?v=167cjgrzVuQ

Rythme ternaire entêtant pour ce magnifique poème versifié de manière assez originale en 5/5/3.
Comme souvent chez Brassens, la grâce peut miraculeusement se rencontrer au fond de la pire crasse, comme résumé par la conclusion de ce petit chef d'oeuvre:

"Dans un coin pourri
Du pauvre Paris
Sur une place
Une espèce de fée
D'un vieux bouge a fait
Un palace"

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https://www.youtube.com/watch?v=BnzqXX9MzTU

Superbe hommage à quatre chansons populaires françaises, qui sont l'occasion d'un tour de France (Dijon, Nantes, Avignon) avant le retour "vers ses pénates".

Le propos est d'abord bien triste: les personnages de la réalité rencontrées par le "héros" au cours de son voyage initiatique, sont très loin en valeur de ceux de la chanson ("les belles dames de la chanson / avaient de plus nobles façons")...

Mais si ces chansons existent, c'est bien aussi qu'un espoir existe ! car il doit bien y avoir quelque part à Nantes ou ailleurs, une geôlière à qui il reste un peu de coeur... (la belle morale)

"Voulant mener à bonne fin
Ma folle course vagabonde,
Vers mes pénates je revins
Pour dormir auprès de ma blonde,
Mais elle avait changé de ton.
Avec elle, sous l'édredon,
Il y avait du monde
Dormant près de ma blonde.
J'ai pris le coup d'un air blagueur,
Mais, en cachette, dans mon coeur,
La peine était profonde,
L'chagrin lâchait la bonde.
Hélas ! du jardin de mon père,
La colombe s'est fait la paire...
Par bonheur, par consolation,
Me sont resté's les quatr' chansons. "

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https://www.youtube.com/watch?v=KyTO-UuebJQ

Voilà, sur un air enjoué, la synthèse de la pensée de Brassens à propos de la religion :

- dérision vis à vis du pari pascal :
"Mettez-vous à genoux, priez et implorez
Faites semblant de croire, et bientôt vous croirez"

- anti-cléricalisme gentiment satirique:
"Sur ces entrefait's-là, trouvant dans les orties
Un' soutane à ma taill', je m'en suis travesti"

- critique de la pudibonderie bigote avec une auto-référence en prime:
"Grattant avec ferveur les cordes sous mes doigts
J'entonnai "le Gorille" avec "Putain de toi"

- ...et enfin la conclusion agnostique/libertaire :
"Mais, su'l'chemin du ciel, je n'ferai plus un pas
La foi viendra d'ell'-même ou ell' ne viendra pas
Je n'ai jamais tué, jamais violé non plus
Y a déjà quelque temps que je ne vole plus
Si l'Eternel existe, en fin de compte, il voit
Qu'je m'conduis guèr' plus mal que si j'avais la foi"

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https://www.youtube.com/watch?v=bWMi8RKvnKI

"La Ballade des cimetières" reprend une structure que Brassens affectionne visiblement bien, puisqu'on la retrouve dans "Carcassonne" et "Le nombril des femmes d'agent": un homme a une obsession, en apparence assez futile, et, étant sur le point d'arriver à ses fins, meurt...

Ici, cet homme connaît du monde dans tous les cimetières de Paris, sauf à celui du Montparnasse "à quatre pas de sa maison" (Brassens habitait effectivement dans le 14e arrondissement de Paris non loin du cimetière du Montparnasse).

Chute délicieusement burlesque :

"Mais les croqu'-morts, qui étaient de Chartres
funeste erreur de livraison
menèr'nt sa dépouille à Montmartre
de l'autr' côté de sa maison"

Annotation :

https://www.youtube.com/watch?v=GRwHsyONmrc

Angle nouveau pour revisiter le mythe de Pénélope: même l'exemple de loyauté et de fidelité que constitue Pénélope doit certainement "bercer en tout bien tout honneur de jolies pensées interlopes".

Et contrairement au message chrétien qu'on pourrait considérer culpabilisateur ("Mais moi, je vous dis que quiconque regarde une femme pour la convoiter a déjà commis un adultère avec elle dans son coeur", Mathieu, 5-28), Brassens considère le phénomène avec une indulgence certaine :
"N'aie crainte que le ciel
Ne t'en tienne rigueur
Il n'y a vraiment pas là
De quoi fouetter un cœur
Qui bat la campagne et galope
C'est la faute commune
Et le péché véniel
C'est la face cachée
De la lune de miel
Et la rançon de Pénélope"

Annotation :

https://www.youtube.com/watch?v=blERcs5L2hM

Chanson d'amour de jeunesse nostalgique assez classique, mais qui vous permettra de revisiter toute la géographie, du moins fluviale, de Paris.

On retrouve du grand Brassens:

- les références classiques ("J'entrai pas aux cris / D'"A nous deux Paris" / En Ile-de-France / Que ton Rastignac / N'ait cure, Balzac ! / De ma concurrence")

- de l'humour grinçant volontiers anti-bourgeois ("Mais c'était trop beau / Au pont Mirabeau / La belle volage / Un jour se perchait / Sur un ricochet / Et gagnait le large / Ell' me fit faux-bond / Pour un vieux barbon / La petite ingrate / Un Crésus vivant / Détail aggravant / Sur la rive droite")

- une forme de dérision tragi-comique ("J'en pleurai pas mal / Le flux lacrymal / Me fit la quinzaine / Au viaduc d'Auteuil / Parait qu'a vue d'oeil / Grossissait la Seine / Et si, pont d' l'Alma / J'ai pas noyé ma / Détresse ineffable / C'est qu' l'eau coulant sous / Les pieds du zouzou / était imbuvable."

- la légèreté comme remède stoïcien à ce mini-drame ("Nous attristons pas / Allons de ce pas / Donner, debonnaires / Au pont Mirabeau / Un coup de chapeau /A l'Apollinaire")

Annotation :

https://www.youtube.com/watch?v=6lVhNSnXUeg

Hymne magnifique à la fleur de la femme. Qui mieux que Brassens pouvait aborder le sujet avec tant de délicatesse et si peu de vulgarité ?

Sans jamais le nommer (car "Fasse le ciel qu'un jour dans un trait de génie / Un poète inspiré, que Pégase soutient / Donne, effaçant d'un coup des siècles d'avanie / À cette vraie merveille un joli nom chrétien"), Brassens déplore malgré tout les homonymies scandaleusement vulgaires de notre langue :

"Alors que tant de fleurs ont des noms poétiques,
Tendre corps féminin, c'est fort malencontreux
Que ta fleur la plus douce et la plus érotique,
Et la plus enivrante, en ait de si scabreux.

Mais le pire de tous est un petit vocable
De trois lettres, pas plus, familier, coutumier,
Il est inexplicable, il est irrévocable,
Honte à celui-là qui l'employa le premier."

Malgré la grâce inouïe de cette chanson, bien soutenue par la composition musicale (car Brassens est aussi un très bon compositeur), on voit que Georges ne perd pas le Nord :

"En attendant, madame, il semblerait dommage,
Et vos adorateurs en seraient tous peinés,
D'aller perdre de vue que pour lui rendre hommage
Il est d'autres moyens et que je les connais"

Annotation :

https://www.youtube.com/watch?v=aRGKDbrhAfs

Brassens reprend ici un thème qu'il a abordé plus d'une fois: la convivialité perdue des rapports humains.

A travers l'itinéraire d'une rose, perdue par un ancien combattant, d'une bouteille, perdue par un curé, et d'une poignée de main, abandonnée "par deux amis, fâchés à mort", symboles recueillis tour à tour par notre héros pour les offrir au tout venant, Brassens nous montre qu'un simple geste humain, avenant et désintéressé, a de fortes chances de finir par une bonne rouste et l'intervention d'un agent de police.

"Cette rose avait glissé de
La gerbe qu'un héros gâteux
Portait au monument aux Morts.
Comme tous les gens levaient leurs
Yeux pour voir hisser les couleurs,
Je la recueillis sans remords.

Et je repris ma route et m'en allai quérir,
Au p'tit bonheur la chance, un corsage à fleurir.
Car c'est une des pir's perversions qui soient
Que de garder une rose par-devers soi.

La première à qui je l'offris
Tourna la tête avec mépris,
La deuxième s'enfuit et court
Encore en criant "Au secours! "
Si la troisième m'a donné
Un coup d'ombrelle sur le nez,
La quatrième, c'est plus méchant,
Se mit en quête d'un agent.

Car, aujourd'hui, c'est saugrenu,
Sans être louche, on ne peut pas
Fleurir de belles inconnues.
On est tombé bien bas, bien bas...
Et ce pauvre petit bouton
De rose a fleuri le veston
D'un vague chien de commissaire,
Quelle misère! "

Annotation :

https://www.youtube.com/watch?v=YOEE6HRjyeo

Fascinant poème qui vaudrait, à notre époque d'hystérie pubidonde, à Brassens d'être catalogué sur la liste des dangereux pervers du monde médiatico-culturel quelque part entre Polanski et Frédéric Mitterrand.

Dans une zone qui m'a toujours fait penser aux taudis de la Cité des enfants perdus, une gamine de 13 ans, "Princesse", séduit un guitariste saltimbanque de passage, "croque-notes". Celui-ci, conformément à la morale et sa responsabilité d'adulte, refuse ses avances.

La dernière strophe est d'une sublime ambigüité.

"Y'a pas eu détournement de mineure,
Le croque-note au matin, de bonne heure,
A l'anglaise a filé dans la charrette
Des chiffonniers en grattant sa guitare.
Passant par là quelques vingt ans plus tard,
Il a le sentiment qu'il le regrette. "

Merveilleuse composition musicale, au passage.

Annotation :

https://www.youtube.com/watch?v=xpEhmxs25R8

Toujours dans le thème ambigu des amours interdites entre un vieux monsieur et une petite fille, voilà une des chansons les plus aigre-douces de Brassens.

Un Monsieur y comble de cadeaux (d'où son surnom Père Noël) une petite (jeune ?) fille, en échange de son affection.
Chaque complet se termine invariablement par cette opposition :

"Il a mis du grain dans ta grange,
Il a mis les mains sur tes hanches"

"Il a mis de l'or à ta branche,
Il a mis les mains sur tes hanches."

etc.

Seul le dernier vers diffère, et,en n'ayant qu'à changer un seul mot, Brassens nous livre avec retenue les conséquences de ce contrat:

"Le joli temps des coudées franches
On a mis les mains sur tes hanches."

Annotation :

https://www.youtube.com/watch?v=uBGU0GXoYAI

Poème bucolique et romantique très touchant:

"Au fond des yeux de Bécassine
Deux pervenches prenaient racine,
Si belles que Sémiramis
Ne s'en est jamais bien remis'.
Et les grands noms à majuscules,
Les Cupidons à particules
Auraient cédé tous leurs acquêts
En échange de ce bouquet.
Au fond des yeux de Bécassine
Deux pervenches prenaient racine.

C'est une espèce de gredin,
N'ayant pas l'ombre d'un jardin,
Un soupirant de rien du tout
Qui lui fit faire les yeux doux.
C'est une sorte de manant,
Un amoureux du tout-venant
Qui pourra chanter la chanson
Des fleurs bleu's en toute saison
Et jusqu'à l'heure du trépas,
Si le diable s'en mêle pas."

Annotation :

https://www.youtube.com/watch?v=HoWx3-zfnF4

Ballade triste sans l'être, la Marche nuptiale dégage quelque chose d'unique dans la discographie de notre troubadour préféré. On peut dire que Brassens est touché par la grâce ?

Superbe reprise de Barbara au demeurant (dont je préfère le rythme à l'originale).
https://www.youtube.com/watch?v=uSaxD_vdKkc

Annotation :

https://www.youtube.com/watch?v=IesJ00jaK1M

Reprise des thèmes de la fête, de la jouissance, de la glorification de la vieillesse, des rabats-joie

"Quand nous serons ancêtres,
Du côté de Bicêtre,
Ne nous faites pas boire, oh ! non,
De ces eaux minéral’s,
Bénites ou lustrales,
Mais du bon vin, cré nom de nom"

Annotation :

https://www.youtube.com/watch?v=fCJ70IM0_4g
(je recommande ce concert, marquant par la connexion touchante avec le public)

Thèmes un peu similaires à l'Ancêtre dans cette chanson, qui décrit cette fois un enterrement cheap faute de moyen

" "Chez l'épicier, pas d'argent, pas d'épices
Chez la belle Suzon, pas d'argent, pas de cuisse
Les morts de basse condition
C'est pas de ma juridiction"

Or, j'avais hérité d'grand-père
Une paire de bottes pointues
S'il y a des coups d'pieds quelque part qui s'perdent
Çui-là toucha son but

C'est depuis ce temps-là que le bon apôtre
Ah! C'est pas joli
Ah! C'est pas poli
A une fesse qui dit merde à l'autre

Bon papa
Ne t'en fais pas
Nous en viendrons
A bout de tous ces empêcheurs d'enterrer en rond"

Annotation :

https://www.youtube.com/watch?v=LO4IKnfEmp0

Hommage à son hébergeuse de toujours

"Chez Jeanne, la Jeanne
On est n'importe qui, on vient n'importe quand
Et, comme par miracle, par enchantement
On fait partie de la famille
Dans son coeur, en s'poussant un peu
Reste encore une petite place

La Jeanne, la Jeanne
Elle est pauvre et sa table est souvent mal servie
Mais le peu qu'on y trouve assouvit pour la vie
Par la façon qu'elle le donne
Son pain ressemble à du gâteau
Et son eau à du vin comme deux gouttes d'eau"

Annotation :

https://www.youtube.com/watch?v=UJj2ekUOJ2M

Le Grand Meaulnes de Brassens.
Comme souvent chez Brassens, le potache et l'émotion pudiquement retenue se mêlent sublimement.

"Le mort ne chantait pas : "Ah ! c'qu'on s'emmerde ici !"
Il prenait son trépas à cœur, cette fois-ci
Et les bonshomm's chargés de la levée du corps
Ne chantaient pas non plus "Saint-Eloi bande encor !"
Les quat'z'arts avaient fait les choses comme il faut
Le macchabée semblait tout à fait mort. Bravo !"

Annotation :

https://www.youtube.com/watch?v=26a8hVR2hio

Je me souviens avoir vu cette interprétation au Bobino en 69 lors de l'expo sur Brassens à la Cité de la Musique à la Villette, il y a quelques années (vers 2011 ?). La chanson a cette capacité hors norme à imposer une vraie tension, avant de la libérer nerveusement au dernier vers !

Annotation :

https://www.youtube.com/watch?v=_9uueylu3Lg

Tout est faux, mais tout beau

"Aux lueurs des fausses chandelles
Enlevant ses fausses dentelles,
Elle a dit, mais ce n'était pas
Sûr, tu es mon premier faux pas.
Fausse vierge, fausse pudeur,
Fausse fièvre, simulateurs,
Ces anges artificiels
Venus d'un faux septième ciel.
La seule chose un peu sincère
Dans cette histoire de faussaire
Et contre laquelle il ne faut
Peut-être pas s'inscrire en faux,
C'est mon penchant pour elle et mon
Gros point du côté du poumon
Quand amoureuse elle tomba
D'un vrai marquis de Carabas."

Annotation :

https://www.youtube.com/watch?v=aQBkeq6xq_Q

Chanson typique de la fin de carrière de Brassens, toujours plus raffinée dans la composition poétique et toujours plus complexe dans la composition musicale, qui exploite son thème jusqu'au bout.

Comme souvent à contre-courant, Brassens fécilite son cambrioleur pour son goût.

"Sache que j'apprécie à sa valeur le geste
Qui te fit bien fermer la porte en repartant
De peur que des rôdeurs n'emportassent le reste,
Des voleurs comme il faut c'est rare de ce temps."

... sans en faire trop non plus (parce qu'il faut pas déconner):

"Fort de ce que je n'ai pas sonne les gendarmes,
Ne te crois pas du tout tenu de revenir,
Ta moindre récidive abolirait le charme,
Laisse moi je t'en pri', sur un bon souvenir. "

Même s'il était pour moi peut-être de trop, remarquons le PS anar pour clore la chanson:

"Post-scriptum. si le vol est l'art que tu préfères,
Ta seule vocation, ton unique talent,
Prends donc pignon sur rue, mets-toi dans les affaires,
Et tu auras les flics même comme chalands."

Annotation :

https://www.youtube.com/watch?v=aJIseD0AG5U

Chanson humoriste sur le thème éculé de la déception amoureuse, qui fonctionne par la juxtaposition entre le vocabulaire souvent précieux et pompeux des débuts de strophe, la rupture de rime de fin et l'excuse suivant une bonne insulte cordiale exprimée en vouvoiement:

"Fi des chantres bêlant qui taquinent la muse érotique,
Des poètes galants qui lèchent le cul d'Aphrodite,
Des auteurs courtois qui vont en se frappant le cœur...
Parlez-moi d'amour et j' vous fous mon poing sur la gueule,
Sauf le respect que je vous dois. "

Annotation :

https://www.youtube.com/watch?v=SaKeQjjzExA

"Aujourd'hui ça et là, les gens boivent encore,
Et le feu du nectar fait toujours luire les trognes.
Mais les dieux ne répondent plus pour les ivrognes.
Bacchus est alcoolique, et le grand Pan est mort."