Livres-monstres

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La crête indépassable de l'expérimentation scripturale, sûrement le plus monstrueux des livres-monstres... Joyce endort le langage et le laisse se déployer, un peu à la manière des personnages de Lewis Caroll, sur près de mille pages polyglottes, polysémiques et musicales avant tout. Ce "work in progress" qui occupa les dix-sept dernières années de la vie de son auteur, devrait occuper ses lecteurs pour quelques siècles encore.

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Livre "hénaurme" qui voudrait côtoyer l'éternité en ne relatant qu'une seule journée dublinoise. Certains passages, qui annoncent Finnegans Wake, sont vraiment difficiles, voire chiants pour la plupart des lecteurs - dont je ne m'exclus pas (notamment Les sirènes, Les boeufs du soleil, Circé...). Mais si l'on veut rentrer dans le génie de cette oeuvre par ses bouts les plus praticables, les premiers chapitres avec Bloom, ou encore l'épisode de Nausicaa me paraissent indiqués.

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Recueil de nouvelles, relativement mince et de lecture très plaisante (malgré quelques difficultés ponctuelles surtout dues aux nombreuses références), si Fictions est un livre-monstre, c'est à travers sa vaste érudition et surtout par ses jeux baroques de renvois, de miroirs, de symétrie, qui finissent par tramer un labyrinthe vertigineux...

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La nouvelle éponyme de ce merveilleux recueil évoque un objet - l'Aleph - qui contiendrait (il faut imaginer l'inimaginable) l'univers tout entier dans quelques centimètres carrés : ce qui constitue la meilleure métaphore pour un livre aussi bref que dense et quasi infini...
Mais je voudrais insister sur le fait que les histoire de ce recueil, et les liens qu'elles établissent entre elles, ne sont pas seulement géniaux sur un plan intellectuel ; pour la plupart, ces nouvelles sont aussi tout à fait captivantes. D'où résulte, je le dis en tout subjectivité, l'un des plus grands plaisirs de lecture qui nous soient donnés de connaître...

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L'auteur monomane par excellence, pour venir à bout de son monstrueux objectif (je rappelle : écrire un livre de 300 pages sans la lettre "e"), emploie toutes les ressources de la littérature universelle. Plus qu'un roman, La Disparition est une véritable encyclopédie, d'une grande force métaphorique, pour un univers sans "e"...
(On peut rappeler, à titre de piste interprétative, que le roman "W ou le souvenir d'enfance", que le même auteur consacre à la disparition de ses parents dans les camps de concentration, est dédié "à E"...)

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Ne sous-estimons pas la démence de Rabelais, qui, pour chanter le vin, la bonne chère et la curiosité universelle, détourne de multiples auteurs antiques et mêle l'érudition à la farce, jongle entre style savant et style populaire, parodie les "doctes" de la Sorbonne et les langages administratifs de son temps ; ou encore, dans ce premier livre, fait parler son Panurge dans pas moins de douze langues avant de lui faire adopter un "bon françois" - avec la saveur que l'on sait. Tout cela dans l'esprit d'un "gai savoir" toujours vivifiant.
Le bon temps où l'homme était encore un géant pour l'homme.

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Une certaine modernité naît avec Mallarmé, c'est bien connu... Ce qu'il diagnostique comme la "disparition élocutoire du poète" invite le langage à se déployer de lui-même, en suivant ses logiques et musiques intrinsèques. (On peut en cela rapprocher l'entreprise de Mallarmé de celle de Joyce.) Ce qui donne lieu à de fameux charabias, que l'on déchiffre comme des rébus de syntaxe et de lexique.
A lire (dans Divagations) "Le nénuphar blanc" : où l'on voit que l'effort peut être justifié.

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Narration-bulldozer... J'imagine que le lecteur idéal de ce livre en énoncerait les 400 pages d'une seule traite, athlète surhumain du souffle (puisque ici se succèdent une poignée de narrateurs aux capacités respiratoires improbables), pour enfin tomber d'épuisement en prononçant les derniers mots de cette sombre saga, écrite en grand style élisabéthain, relatant les cruels déboires de la famille Sutpen...

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Torrent verbal, épopée tortueuse, sadique et sarcastique, parodique et paroxystique, l'oeuvre précoce de Lautréamont brasse des siècles de littérature et distille une poésie sans précédent pour les siècles à venir...
"Et, quoique l'on pourrait mettre un point d'exclamation à la fin de chaque phrase, ce n'est peut-être pas une raison pour s'en dispenser !"

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Les "Poésies" de Ducasse forment un manifeste (en prose, malgré leur titre) qui peut sembler paradoxal au vu de l'oeuvre précédente de l'auteur, puisqu'il ne s'agit plus ici que de chanter "le Bien, le Beau, le Vrai". À une abondante énumération commentée d'auteurs que condamne Ducasse au nom de son esthétique nouvelle, succède la mise en oeuvre d'un puissant dispositif littéraire : le détournement systématique de grandes sentences morales. (Guy Debord, et bien d'autres, auront retenu la leçon.)
"Le plagiat est nécessaire. Le progrès l'implique. Il serre de près la phrase d'un auteur, se sert de ses expressions, efface une idée fausse, la remplace par l'idée juste."
"La poésie doit être faite par tous. Non par un."

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Bon, Sollers veut faire son Joyce, il se la pète grave... Mais on ne saurait contester l'énorme réservoir de culture et l'énergie verbale intarissable dans lesquels il puise la matière de ce livre profus, écrit sans un seul signe de ponctuation.

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Autre auteur de la génération Tel Quel, Denis Roche nous livre un collage protéiforme, d'une liberté totale, qui donne la mesure de ce qu'a pu faire d'intéressant la pointe de l'avant-garde française de ces années-là.

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"The Waste Land" est un poème-somme qui emprunte des éléments à toute l'histoire universelle (qui est aussi l'histoire littéraire) pour saisir le réel tel qu'il apparaît au poète en ces temps de misère : une étendue de ruines, jonchée des vaines richesses de tous temps et tous lieux, désormais dépourvues de Sens... Mais nous pouvons être sauvé... Shantih shantih shantih !

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Avec Finnegans Wake, l'autre grand livre-monstre réputé "illisible" du XXème siècle... De celui-ci, je ne saurais pas dire grand chose, sinon qu'en plus des multiples langues occidentales qu'on y retrouve articulées autour de l'anglais (notamment pas mal d'occitan, paraît-il), on y rencontre aussi, entre autres, des idéogramme chinois. Ce qui indique un peu l'étendue de vue et d'ambition de son auteur.

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On ne saurait dire grand chose d'original sur le chef-d'oeuvre ultime de la littérature française... En s'inscrivant parfaitement dans la plus rigoureuse tradition littéraire de l'occident, l'oeuvre de Proust en constitue aussi la plus fine fleur, l'indépassable cime, - "le terminus", pour citer Gracq. Proust offre sûrement l'exemple le plus insigne d'un destin tout entier consacré, sacrifié, absorbé dans la littérature (cette pierre philosophale), lui qui se dévoua corps et âme au credo qu'on pourrait résumer par ses propres paroles : "la vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent pleinement vécue, c'est la littérature."

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On peut considérer Céline comme un auteur "monstrueux" sur plusieurs plans... Comme c'est de littérature qu'il s'agit ici, je choisis d'intégrer dans cette liste ce livre plutôt qu'un autre, car Féérie est probablement l'ouvrage le plus libre et le plus "expérimental" de l'auteur. Avec Guignol's Band, Céline avait atteint un niveau de déconstruction de la langue absolument sans précédent. Ici, il met ce phrasé tellement extraordinaire au service d'une chronique qu'il poursuivra dans ses suivants et ultimes romans (la trilogie).
(à suivre)