On nous cache tout, on nous dit rien

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Témoin des faits, Platon recrée le long monologue tenu par Socrate lors d'un procès bidon, qui n'a d'autre objectif que de clouer définitivement le bec à celui que tous considèrent désormais comme un enquiquineur de première. Le plaidoyer est d'autant plus beau, et émouvant, qu'il est vain : le sort du philosophe est scellé, la ciguë l'attend, la République ne tremblera pas au moment d'écraser celui qui disait, pour elle, être un taon. La démocratie : à peine née, déjà pourrie.

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Borges oblige, le complot passe par le Livre : dans "Tlön Uqbar Orbis Tertius", nouvelle mémorable, une société occulte élabore et diffuse en catimini "[l’] encyclopédie méthodique [d’une] planète illusoire". Peu à peu, par capillarité, par lente et irrésistible contamination, la réalité de cette planète – ses concepts étranges, ses objets façonnés dans des matériaux impossibles – se substitue au monde dont nous avions hérité. Dieu est battu à son propre jeu. Vertigineux.

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Où sera le petit homme vert la prochaine fois ? Un pauvre type doté d'une bosse des maths XXL gagne chaque jour depuis deux ans le concours de la gazette locale. En réalité, il calcule des trajectoires balistiques pour un gouvernement invisible lancé dans une guerre mystérieuse contre on ne sait qui. Maître absolu de la fiction paranoïaque, Dick donne corps au complot ultime : celui qui nous fait douter non plus de la véracité de tel ou tel événement mais de la validité de la réalité elle-même.

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Ou comment, de fil entortillé en aiguille tordue, un legs philatélique révèle l’existence d’un réseau postal occulte. Farce psyché, survoltée, virevoltante, ce court roman est un travail de sape sournois, un sabotage insidieux de la réalité objective. Pynchon n’a de cesse de faire affleurer, sous l’apparente banalité, un réseau foisonnant de signes cabalistiques, d’indices insaisissables et saisissants. Poubelle publique, pile de pont, mur de chiotte : on ne les regardera plus du même oeil.

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Le complot comme une lente montée orgasmique : 800 pages bien tassées couvrant cinq ans d’embrouilles, 800 pages saturées de gesticulations frénétiques et… pouf… le texte s’arrête pile au seuil de l’instant fatidique, une silencieuse fraction de seconde avant que la cervelle de JFK ne gicle – enfin ! – sur la carrosserie étincelante de la limousine présidentielle. Que l’on ne s’y trompe pas : ce récit nerveux et hyperréaliste est aussi et d’abord et surtout un fantasme parano.

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Deuxième plongée nez pincé dans les coulisses crapoteuses de la politique US. La clique s’ébroue cette fois à Vegas, dans le Sud ségrégationniste, au fond de la jungle vietnamienne. Ce qu’il y a de remarquable chez Ellroy et qui le distingue du lot commun des écrivains conspirationnistes, c’est qu’il s’écarte du sempiternel et pénible cliché du gouvernement de l’ombre pour confier les rênes du complot à une poignée de têtes brûlées sans idéal, qui pensent d’abord à leurs fesses. Hard-boiled.

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Frappent chez Ellroy la connexion viscérale avec l’Amérique et son histoire, le besoin impérieux d’en découdre avec elles. A contrario, quel ressort intime pousse le Français Dugain à se coltiner une bio romancée d’Edgar J. Hoover ? Hormis le réflexe de pondre un livre, encore un, d’ajouter une énième ligne à sa bibliographie ? Tout à son labeur, il en oublie que l’inamovible patron du FBI, sur qui tout a déjà été écrit, homme de l’ombre surexposé, a depuis longtemps cessé d’être intéressant.

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Belle idée que ce Consortium de Falsification du Réel, Nations unies du bobard dont les membres éparpillés sur les cinq continents ont carte blanche pour échafauder et documenter le "scénario" de leur choix, pourvu qu’il modifie – un peu, beaucoup, dangereusement – le cours de l’Histoire. Bello, hélas, n’a pas les moyens littéraires de ses ambitions de storyteller : desservi par une écriture très plate, porté par des personnages sans épaisseur ni charisme, son récit manque de peps et de folie.

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Suite du précédent. On demeure séduit par l’hypothèse de départ, entre Orwell, Borges et Alain Chamfort (« Seules les plaisanteries doivent / Se faire dans le plus grand sérieux »). Mais on continue de s’agacer d’un récit qui fait la part trop belle aux dialogues empesés, de s’énerver contre une intrigue répétitive étalée sur deux gros tomes comme de la pâte à crêpe. Une seule envie, au fond : poser la saga, fixer le plafond, y écrire en rêvassant nos mystifications perso.