Cover Petite bibliographie d'autrices

Petite bibliographie d'autrices

La bannière, de Hishikawa Moronobu, représenterait Sei Shonagon, une femme de lettres de la fin du Xe siècle (ère Heian), autrice des Notes de chevet, l'un des grands chefs d'œuvre japonais.

Une liste annotée pour répondre à une demande, récurrente et bienvenue à la fois : que lire ...

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55 livres

créee il y a plus de 4 ans · modifiée il y a environ 3 ans

Don Quichotte
7.2

Don Quichotte (1986)

Don Quixote : Which Was a Dream

Sortie : 18 mars 2010 (France). Roman

livre de Kathy Acker

Pasiphae a mis 8/10.

Annotation :

Kathy Acker est à la fois autrice expérimentale, américaine, punk et militante féministe pro-sexe.
Je ne connais d'elle que ce Don Quixotte, What was a dream, réécriture au féminin d'un classique de la littérature mondiale. Découverte par ce très bel épisode de l'Atelier fiction :
https://www.franceculture.fr/emissions/latelier-fiction/don-quichotte-ce-qui-etait-un-reve
Dans Don Quixotte, une chevalier sort de la clinique où elle vient d'avorter, et part à la recherche de « l'idée la plus insensée que jamais femme eût conçue. C'est-à-dire, aimer». C'est beau, ravageur, on ne comprend pas tout (beaucoup de passages sont des réécritures, et il faudrait une érudition incroyable pour tout bien saisir ; l'écriture est explosée, les référents allusifs, c'est avant-gardiste jusqu'au bout mais on se dépatouille au milieu d'un si beau lyrisme que tout passe).
Quelques passages fondamentaux sur ce que c'est, être une femme dans un monde où le langage et la littérature sont au masculin.

"Étant morte, Don Quichotte ne pouvait plus parler. Étant née dans un monde d'hommes, faisant partie d'un monde d'hommes, elle n'avait pas de langage propre. Il ne lui restait plus qu'à lire des textes d'hommes qui n'étaient pas les siens."

Auprès de la mer

Auprès de la mer

Poésie

livre de Anna Akhmatova

Pasiphae a mis 9/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

Toute la poésie d'Akhmatova est évidemment sublime ; on connaît souvent Requiem, dont voici une lecture : https://www.youtube.com/watch?v=AP2g7AQBxDo&t=
Mais Auprès de la mer, texte de jeunesse, est pour moi le plus beau – et il est totalement épuisé ! Publié aux éditions Harpo & (qui prend très bien en charge la traduction et la publication des textes d'Akhmatova en France), en 2009 dans une traduction de Christian Mouze, il est maintenant difficile d'y avoir accès.
Du coup, le seul extrait que l'on trouve en ligne, c'est ici-même, sur Sencritique, dans une annotation de Rainure, dont je reproduis donc la copie :

"Un poisson vert nage vers moi,
Vers moi vole une blanche mouette,
Je suis insolente, mauvaise,
Radieuse et je ne sais pas
Que le bonheur c'est ça."

Extrait de Le sous-sol de la mémoire :

"Ce n'est pas vrai, d'ailleurs, que je languis
Et que le souvenir me préoccupe.
On me voit peu chez la mémoire et puis
J'en suis toujours, à chaque fois, la dupe.
Quand, lanterne à la main, je redescends
Dans le sous-sol, j'entends l'éboulement
Précipiter sur les degrés sa chute.
Ma lampe fume et je ne pourrai pas
Chez l'ennemi, revenir sur mes pas.
De grâce !... Ici, tout se tait maintenant,
Le festin de ma vie est terminé !
Dames qu'on escorta, voilà trente ans
Et ce fripon, mort de sénilité...
Ah quel malheur, me voilà en retard,
Je ne puis plus me montrer nulle part.
Mais j'ai frôlé les fresques sur les murs,
C'est prodigieux : la cheminée est chaude.
Comme rompant un sortilège obscur
Dans l'air moisi, plein de fumée, impur,
Etincelaient deux vertes émeraudes.
Le chat miaula. Rentrons à la maison !

Où se tient-elle ? Où se tient ma raison ?"

Trad. Satho Tchimichkian

La guerre n'a pas un visage de femme
8.6

La guerre n'a pas un visage de femme (1985)

U vojny ne zhenskoe lico

Sortie : 2004 (France). Récit

livre de Svetlana Alexievitch

Pasiphae a mis 9/10.

Annotation :

Svetlana Alexievitch est prix Nobel 2015.
Elle est aussi une de ces autrices enquêteuses, qui sillonnent les territoires, recueillent des témoignages, écrivent en sélectionnant, coupant, montant, dans les blancs de l'Histoire.

En l'occurence, dans La Guerre n'a pas un visage de femme, c'est auprès des ex-combattantes de l'URSS lors de la Seconde Guerre mondiale qu'elle est partie, pendant presque 10 ans. Ces femmes avaient entre 15 et 25 ans au moment de la guerre, avaient parfois fait des écoles militaires qui leur donnaient droit à des rôles d'encadrement (de bataillons d'hommes !), ou le plus souvent s'enrôlaient volontairement. On coupait leur longue tresse, on leur connait un uniforme mal taillé pour leur gabarit, et elles partaient sur le front, pas comme infirmières mais comme combattantes. Elles avaient parfois leurs règles toutes en même temps, les hommes les protégeaient mais ne voulaient pas les épouser au retour de la guerre. Alexievitch, dans son beau travail de monteuse, évoque beaucoup les larmes pleurées au long des entretiens ; les silences et les repentirs, aussi. La manière dont la présence ou l'absence du mari affecte la prise de parole.

Très grand livre de narration documentaire. La Supplication, que je n'ai pas encore lu, emprunte la même méthode pour l'après-Tchernobyl.

"Nous croyons tout savoir de la guerre. Mais moi qui écoute parler les femmes - celles de la ville et celles de la campagne, femmes simples et intellectuelles, celles qui sauvaient des blessés et celles qui tenaient un fusil - je puis affirmer que c'est faux. C'est même une grande erreur. Il reste encore une guerre que nous ne connaissons pas. Je veux écrire l'histoire de cette guerre..."

"Et puis ma voisine a reçu une lettre : son mari avait été blessé, il était dans un hôpital. J'ai pensé : "Il est blessé, qui va le remplacer ?" Un autre voisin est revenu amputé d'un bras : qui prendra sa relève ? Un troisième rentre chez lui avec une jambe en moins, c'est encore un qui manque. J'ai écrit, j'ai demandé, j'ai supplié qu'on m'enrôle dans l'armée. C'est ainsi que nous avions été élevées : nous avions appris que rien ne devait se faire sans nous dans notre pays. On nous avait appris à l'aimer. Et dès lors que la guerre avait éclaté, nous étions tenues d'apporter notre aide. Si l'on avait besoin d'infirmières, il fallait devenir infirmières. Si l'on manquait d'artilleurs pour la DCA, c'est là qu'il fallait s'engager."

Solitude ma mère
7.2

Solitude ma mère

Sortie : novembre 2006 (France). Roman

livre de Taos Amrouche

Pasiphae a mis 8/10.

Annotation :

Taos Amrouche, autrice kabyle, est d'abord connue pour son œuvre de cantatrice et pour ce qu'elle a apporté à la valorisation des chants traditionnels berbères.

Mais elle est aussi l'autrice d'une œuvre littéraire, et notamment de Solitude ma mère, une belle autobiographie par les amants. Sa langue évoque presque celle du XVIIIe siècle, elle est ronde, d'une grande pureté, déliée.

"Il était celui qui devait faire de moi une femme, pour que s'épanouît enfin ce bouton aux pétales si étroitement serrés qu'on le dirait de pierre. Car si j'ai connu la déchirure de l'enfantement, je ne suis pas une femme. Des hommes de tous âges et de diverses races ont eu beau m'approcher pour me prendre de force, quand je n'avais pas assez d'indifférence ou de dégoût pour être passive, je ne suis pas une femme pour autant. Une femme est douce, lisse, consentante, et je suis, moi, le fruit qui s'est refusé à mûrir, le fruit vert à l'âge où l'on ne devrait être que succulence."

Marie-Claire
7.8

Marie-Claire (1910)

Sortie : 1910 (France). Roman

livre de Marguerite Audoux

Pasiphae a mis 8/10.

Annotation :

On peut pour commencer aller écouter ce podcast : https://www.radiocampusparis.org/du-cote-des-autrices-marguerite-audoux/

Quel texte étrange ! Marguerite Audoux, déjà, intrigue. Couturière, issue d'un milieu populaire, Marie-Claire est plus ou moins son autobiographie ; orpheline très jeune, elle est confiée avec sa sœur à un orphelinat qui, plus tard, l'embauche contre son gré comme fille de ferme ; ardente lectrice, elle finit par monter à Paris pour s'y faire couturière. Les hasards de la vie lui font rencontrer un groupe d'écrivains / intellectuels, qui toujours par hasard, découvrent qu'elle écrit ses souvenirs, qu'elle a du talent, qu'elle mérite d'être lue. Et en effet, elle gagne le prix Fémina et son roman phare donne son nom à un journal féministe...

Alors c'est quoi, Marie-Claire ? autobiographie d'une enfant qu'on trimballe ; des amitiés ardentes qui les unissent, parfois, à des adultes de passage (ici, le personnage d'une sœur enseignante) ; un female gaze assez puissant porté sur ce groupe de petites filles qui reçoivent ensemble une instruction religieuse et ménagère ; une langue pure, efficace et sobre ; un monde d'implicites que l'enfant ne perçoit pas, que l'adulte lisant déplie. J'ai été assez subjuguée, ce texte a des charmes vénéneux qui ne se découvrent qu'avec une attention délicate.

"Parfois, il se faisait un grand mouvement. Les pieds se retiraient de mon petit banc, les genoux se rapprochaient, la chaise remuait, et je voyais se pencher vers mon nid une guimpe blanche, un menton mince, des dents fines et pointues, et enfin deux yeux caressants qui m’apportaient la confiance."

"Deux arbres seulement nous séparaient ; il fit encore un pas, il prit d'une main le tout jeune arbre qui était devant lui, et les branches fleuries firent comme un bouquet au-dessus de sa tête. La clarté était si grande, qu'il me semblait que l'écorce des arbres brillait et que chaque fleur rayonnait et, dans les yeux d'Henri Deslois, il y avait une douceur si profonde, que je m'avançai vers lui sans aucune honte."

Raison et Sentiments
7.6

Raison et Sentiments (1811)

(traduction Jean Privat)

Sense and Sensibility

Sortie : 1948 (France). Roman

livre de Jane Austen

Pasiphae a mis 8/10.

Annotation :

On ne présente plus vraiment Jane Austen.

M'a frappée, lors de la lecture de Raison et Sentiments, la place accordée par la romancière, dans l'itinéraire initiatique des jeunes femmes, au choix du mari : toujours pragmatique, loin de tout sentimentalisme, l'autrice sait trop, et ses personnages également, à quel point réussir son mariage, pour une jeune femme de son époque, c'est se donner les conditions d'une vie digne. Loin d'être la romancière des unions sentimentales et des histoires de cœur, Austen est la peintresse réaliste de tous les ressorts qui affectent ce moment crucial de la vie des femmes, et de toutes les erreurs qu'elles peuvent commettre en ce moment d'équilibre. C'est fin, sensible, et très drôle, on ne le soulignera jamais assez.

"Elinor voyait avec peine l'excès de la sensibilité de sa sœur, tandis que leur mère en était enchantée, et l'excitait au lieu de la réprimer. Elles s’encourageaient l'une l'autre dans leur affliction, la renouvelaient volontairement et sans cesse par toutes les réflexions qui pouvaient l'augmenter, et n'admettaient aucune espèce de consolation, pas même dans l'avenir."

"Les hommes, en écrivant l'histoire, ont sur nous tous les avantages ; ils ont plus d'instruction, et la plume est dans leurs mains."

"Elle craignait maintenant que sa mauvaise appréciation des choses l’eût rendue injuste, indifférente presque cruelle pour Elinor; que son affection se soit trop portée sur Marianne, parce que son malheur était plus évident, plus immédiatement émouvant, et qu'elle été portée à oublier qu'elle avait en Elinor une fille aussi durement frappée, et certainement avec moins de responsabilité de sa part, et plus de courage."

Cassandra au mariage
7.2

Cassandra au mariage (1962)

Sortie : 1962. Roman

livre de Dorothy Baker

Pasiphae a mis 8/10.

Annotation :

A-t-on oublié Dorothy Baker ? si le Emmaüs du boulevard de Rochechouart n'avait pas vendu ce bouquin, si je n'étais pas passée outre la couverture qui laissait présager les pires romances de plage (en me fiant davantage à la collection éditoriale Pavillons, gage de qualité), si je n'avais pas vu en 4e le petit mot plus qu'encourageant de Carson Mc Cullers, je ne l'aurais sans doute jamais croisée, et ç'aurait été tant pis.

Dans ce roman, mise en scène de la gémellité entre sœurs ; Cassandra est brillante et dépressive, piétine dans sa thèse, et attend que sa sœur revienne de son excursion d'un an à New-York pour que sa vie commence enfin, car il lui est évident qu'elle forme avec elle un couple mystique. Apparemment, c'est un peu moins évident pour cette dernière qui ramène un futur mari à la maison familiale. Le jeu des focalisations mène habilement la lecture (Cassandra semble si fiable, et ce n'est qu'indice par indice qu'on comprend que le couple qu'elle forme avec Judith n'est qu'unilatéral).

Alors, qu'est-ce qui sort ce roman de la longue lignée de ceux qui se contentent de mettre en scène une fascination malsaine pour la gémellité ? l'érotisme lesbien, déjà, dont on parle trop peu (surtout à cette époque, on l'imagine bien) et qui valut des problèmes à l'autrice (pour d'autres de ses livres). La fêlure psychiatrique, qui n'est pas, pour une fois, synonyme d'érotisation : Cassandra est un personnage fort, et de la famille, c'est la plus intelligente. Et puis il y a de ces pages.

"puis, sans réfléchir, je me mis la tête toute entière sous le jet, laissant l'eau me gifler et gicler brutalement jusqu'à la racine de mes cheveux, me bouchant complètement une oreille. Je n'y restai pas longtemps et redescendis sans penser au barreau fendu. J'atterris dans la poussière et je crois même que je laissai échapper quelques larmes. Il est des moments comme celui-ci où les gens comme moi ont besoin qu'on les ramasse, qu'on les brosse, et qu'on leur dise gentiment de ne pas être aussi irréfléchi, aussi intrépide, qu'il vaut mieux attendre de trouver un café, ou d'être chez soi où les verres ne manquent pas, et que le vagabondage n'est pas recommandable. Toujours assise par terre, je levai les yeux vers l'échelle et vis qu'elle était encore plus mal en point que moi avec son échelon qui pendait comme une côte brisée. Alors je me ramassai et me brossai aussi gentiment que possible, traversai la route (...)."

Terrible écriture de la vulnérabilité et de sa douceur.

L'Étang
7.5

L'Étang

Pond

Sortie : 4 janvier 2018 (France). Roman

livre de Claire-Louise Bennett

Pasiphae a mis 9/10.

Annotation :

L'Étang est le premier roman d'une jeune autrice anglaise, à suivre. Ce sont de toutes petites scènes de quotidien d'une ex-thésarde de lettres, un peu perdue, qui habite au bord d'un étang et vivote. Il y a de ces manières d'aborder les choses matérielles, et de cette absence de valence morale, et de cette sensualité du désir féminin, que l'on aime.

"Un merveilleux rebord large et long sans revêtement de bois, uniquement de pierre et de plâtre, bien frais : l'endroit parfait pour un saladier. Ou même plusieurs tout bien réfléchi, plusieurs saladiers en fait. Un rebord si grand qu'il pourra très bien accueillir trois saladiers de bonne taille sans paraître le moins du monde encombré. Il est alors réjouissant de déballer ses sacoches et d'arranger le tout bien soigneusement dans les saladiers sur le rebord. Les aubergines, les courges, les asperges et les petites tomates en grappes font terriblement classe ainsi réunies, et il n'est pas du tout étonnant qu'on puisse ressentir le désir soudain à n'importe quelle heure du jour de s'asseoir devant pour tenter avec palette et pinceau de capturer la patine exotique d'un si irrésistible assortiment d'illustres légumes, posés là sur le bon rebord frais."

Bleu éperdument
8.1

Bleu éperdument (1990)

Squandering the Blue

Sortie : janvier 2015 (France). Recueil de nouvelles

livre de Kate Braverman

Pasiphae a mis 9/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

Kate Braverman vient, hélas, de mourir.

Je l'avais découverte grâce à une soirée "Libraire d'un soir" à la librairie Charybde, où Claro, traducteur, critique et écrivain, était venu présenter quelques écrivaines. Il en avait lu un passage, et Braverman, Dieu sait si c'est beau quand c'est lu. C'est une écriture profondément lyrique, colorée et charnelle, et ça nous transporte toujours auprès d'américaines alcooliques, élevant seules leur enfant, des choses comme ça, des moments de rupture et de fragilité, des quarantenaires – et la couleur bleue, pas anodine.

Mais rien de mieux qu'un petit extrait de ce recueil de nouvelles pour s'en rendre compte :

"À présent il y a la densité de cette autre nuit nordique qui se souvient des rivières, des forêts et de la pluie. Peut-être cette nuit est-elle capable de compassion, cette nuit qui découle des éléments et impératifs immaculés de la terre. Elle s'interroge quant aux poètes qui mettent leur tête dans le four et des tuyaux pleins de monoxyde de carbone dans leur bouche. Peut-être est-ce un acte suprême d'alchimie, la transmutation du gaz et du poison en une substance qui absout. Sur la cuisinière dansent des flammèches bleues. Le genre de choses qui ancrent les univers. Pour les poètes c'est toujours l'hiver. Ils sont debout au bord du parapet des ponts nocturnes. Leurs orteils pointés vers l'immense néant bleu. Le monde se fige et retient son souffle. À nouveau nous voici des enfants. Les définitions bleues et fraîches nous les savons comme un enfant sait qu'il ne doit pas traverser la route ni toucher la flamme. Pourtant nous la touchons."

Sido
7

Sido (1930)

Sortie : 1930 (France). Récit

livre de Colette

Pasiphae a mis 8/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

Colette, c'est pareil, la présente-t-on encore ?
Elle a illustré exemplairement la problématique du couple de créateurs – ses livres, d'abord signés du nom de son mari, ont ensuite pleinement été assumés par elle. Elle n'a de cesse de développer une œuvre tantôt érotique et lesbienne, tantôt mondaine et rigolote, tantôt champêtre et nostalgique.

Ma première lecture, Sido, reste à ce jour mon meilleur souvenir ; livre hommage à sa mère (leur correspondance a également été publiée, et elle est délicieuse), elle invoque toutes les espèces végétales, les bonnes odeurs de cuisine, et le souffle de vents pour faire revivre cette dernière. Il y a une précision fascinante chez Colette dans la manière de nommer les fleurs, les aliments – ce vocabulaire technique des femmes, enfin valorisé. On retrouve cette pente chez Wittig (est-ce un hommage ?)

Le cycle auto(biographique ? fictionnel) de Colette est également très bon, surtout Claudine à l'école (si vous voulez voir d'étranges jeunes filles sécher les cours et baguenauder dans la forêt, tout cela en découvrant les joies d'un amical érotisme, ce livre est fait pour vous).

"Et si tu arrivais, un jour d'été, dans mon pays, au fond d'un jardin que je connais, un jardin noir de verdure et sans fleurs, si tu regardais bleuir, au lointain, une montagne ronde où les cailloux, les papillons et les chardons se teignent du même azur mauve et poussiéreux, tu m'oublierais, et tu t'assoirais là, pour n'en plus bouger jusqu'au terme de ta vie."

quel but ai-je servi dans ta vie
7

quel but ai-je servi dans ta vie (2019)

what purpose did i serve in your life

Sortie : 13 novembre 2019. Récit

livre de Marie Calloway

Pasiphae a mis 10/10, l'a mis dans ses coups de cœur et a écrit une critique.

Annotation :

Je renverrais d'abord à ma critique : https://www.senscritique.com/livre/quel_but_ai_je_servi_dans_ta_vie/critique/205218865

Ce livre, constitué d'un collage de textes, certains proches du témoignage, de la nouvelle, d'autres constitués par des échanges de mails ou des copies de chats, est un des monuments (on monumentalise déjà) de l'alt lit au féminin.

L'alt lit, c'est cette génération de jeunes auteurs américains née dans les années 2010 sur le web d'abord, autour de Tao Lin et de sa maison d'édition numérique Mumuu house ensuite (génération qui, si elle met en scène et utilise à plein les médias numériques et ses potentialités expressives, aboutit souvent dans le livre et, épisode paradigmatique de validation collective, dans la lecture publique). Marie Calloway, c'est cette fille qui se demande comment négocier son entrée là-dedans en tant que fille ; entre stratégies de séduction, d'adaptation et de rejet. Démarche plus qu'intéressante, autrice plus que fascinante. Hélas restée sans œuvre depuis la publication de what purpose did i serve in your life en 2013.

On peut en lire des extraits en VO sur Vice :
https://www.vice.com/en_us/contributor/marie-calloway
et Muumu house :
http://muumuuhouse.com/mc.fiction1.html

Aucun de nous ne reviendra
8.9

Aucun de nous ne reviendra (1965)

Auschwitz et après, tome 1

Sortie : 1965 (France). Récit

livre de Charlotte Delbo

Pasiphae a mis 10/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

J'ai découvert Charlotte Delbo grâce à l'écrivain / critique / traducteur Claro, qui en a parlé à la librairie Charybde en tant que "libraire d'un soir". Il a lu des extraits de sa trilogie, Auschwitz et après.

Delbo faisait partie de cet unique convoi de femmes, déportées politiques, qui partirent de Compiègne pour les camps en 1943, et qui furent saluées par un poème d'Aragon dans Le Musée Grévin.

"Lorsque vous reviendrez car il faut revenir
Il y aura des fleurs tant que vous en voudrez
Il y aura des fleurs couleur de l’avenir
Il y aura des fleurs lorsque vous reviendrez"

Elle lui répond d'ailleurs dans Mesure de nos jours :

"Ce poète qui nous avait promis des roses
Il y aurait des roses
sur notre chemin
quand nous reviendrions
avait-il dit.
Des roses
le chemin était âpre et sec
quand nous sommes revenus
Le poète aurait menti ?
Non
Les poètes voient au-delà des choses
et celui-ci avait double vue
si de roses
il n’y a pas eu
c’est que nous ne sommes pas revenus
et de plus
pourquoi des roses
nous n’avions pas tant d’exigence
c’est de l’amour qu’il nous aurait fallu
si nous étions revenus."

Son écriture est déchirante et cristalline à la fois. Plusieurs récits de déportation au masculin ont été canonisés – Levi, Antelme –, mais elle apporte sa voix de femme aux questions qui se posent sur l'écriture d'une expérience limite, sur la possibilité de communiquer cette expérience, ou même de revenir tout à fait. Elle alterne proses et récit en vers, et témoigne pour ces femmes qui, chacune à leur manière, ne sont pas tout à fait revenues.

"Je vous en supplie
faites quelque chose
apprenez un pas
une danse
quelque chose qui vous justifie
qui vous donne le droit
d'être habillés de votre peau de votre poil
apprenez à marcher et à rire
parce que ce serait trop bête
à la fin
que tant soient morts
et que vous viviez
sans rien faire de votre vie."

"C’est à cette gare qu’ils arrivent, qu’ils viennent de n’importe où.
Ils y arrivent après des jours et après des nuits
ayant traversé des pays entiers
ils y arrivent avec les enfants même les petits qui ne devraient pas être du voyage.
Ils ont emporté les enfants parce qu’on ne se sépare pas des enfants pour ce voyage-là."

Braises

Braises (1904)

Cenere

Sortie : 1904 (Italie).

livre de Grazia Deledda

Pasiphae a mis 8/10.

Annotation :

Braises m'a été conseillé par l'excellente @danseur_masque. Autrice sarde, son œuvre, très abondante et connue en Italie, est encore peu traduite en français.

Braises est une sorte de roman initiatique, où le jeune Anania part à la recherche de sa mère qu'il suppose déchue et qu'il veut relever, après qu'elle l'ait abandonné. Ascension sociale contrariée par ce problème éthique, bon, les plus grandes beautés de ce roman résident sûrement dans l'évocation charnelle de l'île ; montagnes, fleurs odorantes de l'été, escarpements, couleurs vives. On se rêve touriste en Sardaigne. Il y a aussi un côté conte moral à la simplicité désarmante qui se voit sans cesse contrecarré par... autre chose. A découvrir donc.

"Toute la montagne apparut recouverte d’un manteau violet de serpolet en fleur ; et, plus loin, les vallées très profondes et les hautes cimes vers lesquelles s’approchaient les voyageurs, enfouies sous le voile déchiré de la brume lumineuse, plongées dans des jeux d’ombre et de soleil, sous le ciel turquin où étaient peints des nuages étranges qui se dissipaient lentement, ressemblaient à un tableau d’une beauté incroyable, au rêve d’un artiste devenu fou."

"Il lui semblait sentir la force joyeuse de l'eau agitée, lui dont l'âme n'avait été qu'un petit étang aux rives étouffées sous les herbes fétides. Oui les acacias perdus dans les solitudes immobiles du paysage sarde avaient raison ; oui, bouger, marcher, courir à en perdre le souffle, c'était cela la vie."

Vernon Subutex, tome 1
7.3

Vernon Subutex, tome 1 (2015)

Sortie : 7 janvier 2015. Roman

livre de Virginie Despentes

Pasiphae a mis 7/10.

Annotation :

On parle beaucoup de Despentes et je ne la découvre qu'en 2019, avec sa trilogie des Vernon Subutex, récit d'une déchéance sociale habile puisqu'il permet à l'autrice, en mettant en scène un Vernon SDF, de nous faire voyager de canapé en canapé d'ami·es accueillant·es afin d'explorer toutes les déclinaisons de Parisien·nes quarantenaires.

Dans le genre portrait de société, c'est efficace, mais jamais désespéré (on est pas chez Houellebecq, mais chez une autrice : le cynisme ce truc de vieux type mâle). Si on voulait rentrer dans la psyché des électeur·ices de Sarkozy, des SDF qui refusent de quitter leur coin des Buttes-Chaumont, ou des stars du rock déchues leur jeunesse passée, il suffisait d'ouvrir un bouquin de Despentes.

Au fond c'est rigolo quand soi-même on a l'âge auquel tous ces personnages étaient encore rutilant·es : on voit comment vite la vie, les enfants, les achats mobiliers vous attrapent et font déchanter. En ce sens, c'est un livre angoissant.

"Elle n'est pas rentrée pleurer dans les bras de son père. Elle est allé en voir un autre. Est-ce que ce type t'a appris à nager est-ce qu'il a parcouru tous les magasins de la ville pour trouver le jouet que tu voulais est-ce qu'il a sacrifié ses soirées pour être sûr que tu connaissais ta récitation est-ce qu'il t'a appris à faire un exposé est-ce qu'il s'est cassé la tête le soir dans sa chambre pour rattraper son retard en mathématiques et pouvoir t'expliquer l'exercice le lendemain est-ce qu'il t'a regardé tourner dix fois de suite dans le froid sur le manège avec le petit éléphant qui te plaisait tellement est-ce qu'il t'a portée sur ses épaules pour que tu ne rates rien de la parade des princesses alors qu'il avait déjà mal au dos est-ce qu'il s'est relevé la nuit pour te donner de l'eau quand tu faisais des cauchemars est-ce qu' il t'a emmenée voir les dauphins sept fois de suite parce que tu les adorais est-ce qu'il a plié tes vêtements après les avoir repassés jusqu'à l'année dernière est-ce qu'il s'est demandé comment payer tes frais d'inscription quand ils ont augmenté est ce qu'il a fait la queue deux heures pour être sûr que tu verrais Lorie ?" Tome 2.

Poésies complètes
8.4

Poésies complètes

Sortie : 12 novembre 2009 (France). Poésie

livre de Emily Dickinson

Annotation :

D'abord, je renvoie au joli podcast de Noxer, pour lequel j'ai eu la chance de faire quelques lectures de poèmes : https://soundcloud.com/lalalalalalalalalalalalalalal/emily-dickinson-lespace-de-lintime

Avec Dickinson, c'est ce genre de rencontre lente et progressive, on s'apprivoise très doucement. Chacun de ses poèmes est si dense qu'il faudrait des heures pour bien le lire, et si vous ne me croyez pas, allez voir le superbe essai de Susan Howe, poétesse contemporaine, "Mon Emily Dickinson", où elle n'analyse qu'un seul et unique poème, "My Life had stood – a Loaded Gun –" On peut aussi aller lire la jolie biographie écrite par Claire Malroux, l'une de ses traductrices, "Chambre avec vue sur l'éternité".

Alors voilà. De temps en temps, lire un poème. Elle a tout exploré ; la mort, l'amour, les beautés des relations humaines, la solitude. Dire ça pour n'importe qui d'autre ferait lever les yeux au ciel, mais Emily n'est pas n'importe qui ; elle est la fondatrice d'une moitié de la modernité poétique américaine. Elle a fondu un vers libre, dense, rythmé ; elle a majusculé des termes qui n'étaient pas des symboles, mais autre chose. Et elle a fait ça quasi toute seule, sous la tutelle de deux ou trois personnalités du monde littéraire qui ne lui arrivaient pas à la cheville (même si HD c'est trop bien, allez la lire).

Extrait du poème évoqué plus haut :

"And now We roam in Sovreign Woods -
And now We hunt the Doe -
And every time I speak for Him
The Mountains straight reply -"

Et celui-là, qui m'a toujours semblé un clin d'œil aux sœurs Brontë :

"We do not play on Graves —
Because there isn't Room —
Besides — it isn't even — it slants
And People come —

And put a Flower on it —
And hang their faces so —
We're fearing that their Hearts will drop —
And crush our pretty play —

And so we move as far
As Enemies — away —
Just looking round to see how far
It is — Occasionally —"

Le Peu du monde
7.6

Le Peu du monde

suivi de Je te salue Jamais

To lígo tou kósmou

Sortie : 11 mars 2010 (France). Poésie

livre de Kiki Dimoula

Annotation :

Comme ne l'indique pas la capture retenue par Senscritique, c'est dans l'édition Orphée - La Différence qu'il faut découvrir la poétesse grecque Kiki Dimoula, car la traduction de Martine Plateau-Zigounas est mille fois supérieure à celle que propose Gallimard.

Je laisse parler des extraits de poèmes, plutôt que de m'appesantir.

Extrait de "Je suis passée"

"Je marche et la nuit tombe.
Je décide et la nuit tombe.
Non, je ne suis pas triste.
J'ai été curieuse et studieuse.

Je sais un peu tout. Un peu de tout.
Les noms des fleurs lorsqu'elles fanent,
quand les mots verdissent et quand nous avons froid.
Combien la serrure des sentiments tourne facilement
avec n'importe quelle clé de l'oubli.
Non, je ne suis pas triste."

(en lecture intégrale ici :
https://www.youtube.com/watch?v=fCI-vAeqt6w&t)

Extrait de "Le Signe de reconnaissance" :

"Tout le monde te prend pour une statue
moi je t'appelle femme.

Tu ornes un parc.
De loin, tu trompes.
Tu t'es, dirait-on, légèrement baissée
pour te rappeler un de tes beaux rêvese
et sembles t'élancer pour le vivre.
De près, le rêve se précise :
Tu as les mains liées derrière le dos
avec un corde de marbre
et ton attitude traduit ta volonté
de trouver une aide pour échapper
à l'angoisse du captif.
Telle était la commande faite au sculpteur :
Captive.
Tu ne peux
peser pas même une pluie dans ta main
pas même une marguerite légère.
Tes mains sont liées.

(...)

Tout le monde te prend pour une statue,
moi je t'appelle femme.
Non que le sculpteur t'ait livrée
au marbre femme
et que tes hanches promettent
une progéniture de statues,
une bonne récolte d'immobilité.
Pour tes mains liées
depuis tant de siècles que je te connais
je te dis femme."

Le Ravissement de Lol V. Stein
6.9

Le Ravissement de Lol V. Stein (1964)

Sortie : 1964 (France). Roman

livre de Marguerite Duras

Pasiphae a mis 9/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

Oh le Ravissement. Ce genre de roman lu juste après le bac, et qui vous renverse définitivement. On ne sait pas trop bien pourquoi (d'ailleurs, on n'aime pas tout de Duras – même si ses très courts textes, L'homme atlantique, L'homme assis dans le couloir, sont sublimes). Peut-être les pages sur l'indicible, sur le silence, sur les champs de seigle où se rencontrent les amant·es.

"Elle ne se demande pas d'où lui vient la faiblesse merveilleuse qui l'a couchée dans ce champ. Elle la laisse agir, la remplir jusqu'à la suffocation, la bercer rudement, impitoyablement jusqu'au sommeil de Lol V. Stein.
Le seigle crisse sous ses reins. Jeune seigle du début d'été.
Les yeux rivés à la fenêtre éclairée, une femme entend le vide - se nourrir, dévorer ce spectacle inexistant, invisible, la lumière d'une chambre où d'autres sont."

"J'aime à croire, comme je l'aime,
que si Lol est silencieuse dans la vie c'est qu'elle a cru,
l'espace d'un éclair,
que ce mot pouvait exister.
Faute de son existence, elle se tait.

Ç’aurait été un mot-absence, un mot-trou,
creusé en son centre d'un trou,
de ce trou où tous les autres mots auraient été enterrés.

On n'aurait pas pu le dire mais on aurait pu le faire résonner.
Immense, sans fin, un gong vide,
il aurait retenu ceux qui voulaient partir,
il les aurait convaincus de l'impossible,
il les aurait assourdis à tout autre vocable que lui-même,
en une fois il les aurait nommés, eux, l'avenir et l'instant."

Lecture d'un extrait de L'homme atlantique par une amie :
https://www.youtube.com/watch?v=4lfRbt_EA1E

Mémoire de fille
7.3

Mémoire de fille (2016)

Sortie : 1 avril 2016. Roman

livre de Annie Ernaux

Pasiphae a mis 9/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

Mémoire de fille, et la précision est importante – nous ne sommes pas dans ces Mémoires au masculin neutre –, c'est le récit d'un été, charnière, celui où la jeune fille vit sa première expérience sexuelle. Et comme toujours chez Ernaux, avec la restitution de la grille de valeurs de l'époque, toutes les injonctions contradictoires qui pouvaient peser sur les femmes, et cette question terrible du consentement – qui interroge, à sa manière trouble, bien des premières fois. Ernaux inscrit son récit dans une constellation d'autres récits d'été charnières, dans le cinéma et en littérature.

Elle écrit aussi beaucoup sur la place de ce livre dans son œuvre – livre tardif, alors même qu'il la hantait depuis le début. Mais comment écrire le récit d'un été de honte, d'humiliations, comment dire le mal qu'on a subi sans le comprendre ? Ecriture autosociobiographique (je n'invente pas le mot, il est d'elle), comme dans ses autres textes sublimes de transfuge de classe, mais aussi réflexions sur l'écriture de soi, riches.

Ernaux n'a pas cette écriture blanche qui est devenue un truisme ; son écriture est précise et condensée, mais lyrique, en voici la preuve :

"La fille de la photo n’est pas moi mais elle n’est pas une fiction. Il n’y a personne d’autre au monde sur qui je dispose d’un savoir aussi étendu, inépuisable, qui me permet de dire, par exemple, que
[...]
Et ainsi de suite, à l’infini.
Personne d’autre, donc, dont ma mémoire ne soit, pour ainsi dire, autant saturée. Et je n’ai pas d’autre mémoire que la sienne pour me représenter le monde des années 50, les hommes en canadienne et béret basque, les tractions avant, Étoile des neiges, le crime du curé d’Uruffe, Fausto Coppi et
l’orchestre de Claude Luter – pour voir les gens et les choses dans la certification de leur réalité première. La fille de la photo est une étrangère qui m’a légué sa mémoire.
Je ne peux pas dire pourtant que je n’ai plus rien à voir avec elle, ou plutôt avec elle qu’elle va devenir l’été prochain, comme en témoigne la violence du trouble qui m’a envahie en lisant Le bel été de Pavese et Poussière de Rosamond Lehmann, en voyant des films dont j’ai eu besoin de faire la liste avant de commencer à écrire :
Wanda, En cas de malheur, Sue perdue dans Manhattan, La fille à la valise et Después de Lucia, que je viens de voir la semaine dernière."

Le Travail de la viande

Le Travail de la viande

Sortie : 2019 (France). Poésie

livre de Liliane Giraudon

Pasiphae a mis 9/10.

Annotation :

"Ce n’est qu’après que surgiront Nerval et Rimbaud. Ils anéantiront Maeterlinck.
L’été, je les attachais sur mon vélo. Aujourd’hui, je revois exactement le fossé et l’herbe où j’allais pour les lire.

L’ennui avec le bruit, disait Cage, c’est la musique.
Le dépossédant.
Les poèmes foutaient du bruit dans la musique, rendaient la musique au bruit.
Défaisaient la langue dans la bouche.
Rendaient l’eau dans le fossé plus eau, les herbes plus herbes.

L’activité du poème n’est pas incessante.
Qu’en savons-nous ? De quelle autre activité pouvons-nous la rapprocher ?
Celle invisible des vers dans le cadavre ?"

+ sa lettre à une jeune poétesse :
https://soundcloud.com/user-564036492/lettre-a-une-jeune-poetesse-par-liliane-giraudon

Attachement féroce
7.1

Attachement féroce (1987)

Fierce Attachments

Sortie : 1 février 2017 (France). Roman

livre de Vivian Gornick

Pasiphae a mis 8/10.

Annotation :

Vivian Gornick, autrice américaine née de parents ukrainiens et juifs, est une marcheuse urbaine ; une féministe ; elle écrit à partir de sa vie.

Dans Attachement féroce, c'est sa relation à sa mère qui est explorée le long d'immenses marches / discussions qu'elles font ensemble dans les rues de New-York. Elle m'a entraînée avec elles dans ces rues. Elle les arpente, elles discutent, se chamaillent, et des souvenirs d'enfance remontent ; une enfance dans le Bronx, au milieu d'un immeuble où les femmes, juives, ont plus de densité que leurs maris, fils, frères, transparents dans les vestibules et cuisines où elles parlent. Tout est délicat : le récit de la relation, conflictuelle souvent, la manière dont la fille juge sa mère dont la vie est un contre-point à la sienne, qu'elle estime ratée également ; le récit d'une ascension sociale, du deuil du père, de la manière dont la relation aux hommes, dans cette vie, n'est qu'une toile de fond au lien persistant et douloureux qui unit Vivian à sa mère. C'est aussi un texte où le female gaze se fait puissant, et donne de la dignité aux coups d'œil derrière les fils à linge, aux coucheries secrètes, à la manière dont les enfants servent de béquilles à des mères qui ne les ont pas voulu·es. Et enfin, c'est le beau récit de la naissance d'une vocation d'écrivaine – sans imagination, précise-t-elle, donc d'autobiographe et de marcheuse.

Dans la mansarde
7.5

Dans la mansarde (1969)

Die Mansarde

Sortie : 1987 (France). Roman

livre de Marlen Haushofer

Pasiphae a mis 8/10.

Annotation :

Marlen Haushofer, dont je n'ai lu que deux livres – ce Dans la mansarde, et Le Mur invisible – semble tisser de curieux liens de texte à texte.

Ici, deuxième bouquin lu de l'autrice. Et quelque chose de fascinant : d'un livre à l'autre ce sont, bien sûr, des personnages différents, des histoires de vie différentes : mais quid du décor ? de cette maison de garde-chasse où s'isoler ? de cet enfermement involontaire loin d'autrui ? de cet âge de la vie où le personnage principal, femme et mère, se voit déchargé de ses responsabilités de genre ? c'est tout comme si l'autrice traçait, d'un texte à l'autre, de mystérieux ponts qui ne demandaient qu'à être élucidés (et pourquoi ?).

Le personnage se tient à l'écart des sentiments et des souvenirs, ayant construit autour de sa vie une routine protectrice parce que rigide. Le passé agit comme une force dont l'on ne découvre que peu à peu l'amplitude ; elle reçoit, tous les jours d'une semaine, quelques pages du journal intime qu'elle tint, plus jeune, pendant ces quelques mois où elle fut isolée dans une cabane de garde-chasse. Et l'on sent la routine tenir, dure et rude, pour ne pas laisser cette résurgence du passé advenir et forcer la femme à vivre de nouveau – avec toute la douleur que cela implique.

"J'avais pleuré pour la dernière fois après mon retour de Pruschen, pendant la première nuit que je passai avec Hubert. J'avais cru que tout irait bien de nouveau parce que j'avais recouvré le pouvoir de pleurer. C'aurait pu être le cas si Hubert avait eu la même réaction. Mais c'est un homme et on lui avait appris quand il était petit garçon à se maîtriser. Quand deux êtres sont ensemble et qu'un seul pleure, rien de bon ne peut en sortir, on ne peut en attendre aucune délivrance réelle."

"Qu'advient-il de nous pendant ces nuits où nous dérivons, allongés sur le dos, et épions le grondement lointain de la puissante cascade qui nous engloutira ? Nous savons que les miracles n’existent pas, qu'aucun être humain encore n'a échappé à cette chute d'eau et que plus rien ne nous sépare de ceux qui l'ont atteinte avant nous qu'un petit laps de temps. Un jour, trois ans, dix ans, vingt ans. Parfois cette pensée n'est pas si désagréable. Je n'ai pas d'effort à faire, je n'ai même pas besoin d'agiter les mains dans les eaux noires qui me portent et m'emportent."

Mon Emily Dickinson
7

Mon Emily Dickinson (1985)

My Emily Dickinson

Sortie : mai 2017 (France). Poésie, Essai

livre de Susan Howe

Pasiphae a mis 8/10.

Annotation :

Susan Howe est une poétesse américaine contemporaine, dont je ne connais pas encore l'œuvre poétique ; mais cet essai s'apparenterait au travail de Woolf dans, par exemple, l'Art du roman : pas un essai universitaire, mais un essai-poème (on pense aussi à ceux de Cixous).

Ici, elle s'attache à présenter le poème de Dickinson "My Life had stood – a Loaded Gun", et déroule l'écheveau de l'écriture de la poétesse dont elle se fait l'héritière, à plus d'un siècle de distance. Mais elle réfléchit aussi aux liens entre les femmes, l'écriture, et la syntaxe. Et ça donne ça :

"Emily Dickinson s'empara des miettes de son enseignement "supérieur" réservé aux femmes que rejetait un nombre croissant de ses contemporaines les plus brillantes ; elle les combina à un appétit vorace et "malséant chez une femme" pour des lectures hors norme, puis fit fructifier cette combinaison. Elle élabora une forme poétique nouvelle à partir du sentiment fragmentaire de demeurer à jamais aux confins de l'intellect, là où des voix masculines pleines d'assurance proféraient un discours séduisant et inaccessible, remontant à travers l'histoire jusqu'à l'anagogie primitive. En utilisant des éléments de géométrie, de géologie, d'alchimie, de philosophie, de politique, de biographie, de biologie, de mythologie et de philologie rapportés d'un territoire étranger, une femme "protégée" eut l'audace d'inventer une nouvelle grammaire enracinée dans l'humilité et l'hésitation. HÉSITER, du latin, qui veut dire coller. Bégayer. Se retenir dans le doute, avoir du mal à parler. "Il peut s'interrompre mais il ne doit pas hésiter" – Ruskin. L'hésitation décrivait une boucle qui encerclait tout le monde en cette période pleine de certitudes marquée par l'agressivité de l'expansion industrielle et la brutalité de l'édification des empires."

"Emily Dickinson et Gertrude Stein comptent de toute évidence parmi les précurseurs les plus novatrices de la poésie et de la prose modernistes, et pourtant jusqu'à aujourd'hui les critiques les plus influents, de Harold Bloom à Hugh Kenner, persistent à omettre leur nom et à faire comme si leur œuvre n'existait pas. Pourquoi ces deux exploratrices étaient-elles des femmes, pourquoi étaient-elles américaines : voilà deux questions trop souvent oubliées dans la propension au détail biographique qui étouffe "amoureusement" leur voix."

La Maestra

La Maestra

Sortie : 1996 (France). Roman

livre de Vénus Khoury-Ghata

Pasiphae a mis 7/10.

Annotation :

Sur Twitter, je suis un jeune littéraire complètement fan de Khoury-Ghata, versant poétique (que je ne connais pas encore) ; on trouve beaucoup de captures de ses poèmes sur son compte, @simoneperrez.

La Maestra est un court roman. C'est la fuite d'Emma, une bourgeoise malade en fin de vie, vers un village de Huastecos, dans les montagnes. C'est la manière dont ils l'accueillent, dont les enfants se confient à elles, dont les adultes se méfient. Il y a les cactus qu'on mange quand la pluie ne tombe pas, la pauvreté, l'indifférence du pouvoir central. C'est un petit roman calcaire, beau souvent, lyrique par toutes petites touches.

"Les enfants se mettent en rangs par deux. Les plus petites devant, les plus grandes derrière, leurs faces inquiètes tournées vers toi. Que vas-tu leur apprendre ?
D'un même mouvement, elles s'accroupissent pieds nus sur le sol en terre battue de l'école, exhibent dix-huit entrejambes de couleurs différentes : du blanc, du vert, du rouge, les couleurs du drapeau mexicain. Tu n'as jamais vu une classe accroupie. Comment vont-elles écrire dans cette position ?"

La Princesse de Clèves
6.4

La Princesse de Clèves (1678)

Sortie : 16 mai 1678. Roman

livre de Madame de La Fayette

Pasiphae a mis 8/10.

Annotation :

Première rencontre ratée en hypokhâgne, où notre professeure fit le choix non stratégique de nous donner à lire La Princesse de Montpensier, plus court ; rachitique, comme esquissé.

Mais c'est dans La Princesse de Clèves que les qualités vertigineuses de l'écriture de Madame de la Fayette se déploient. On commence par rire, avec un portrait incendiaire de la cour d'Ancien Régime. Puis on tremble devant les émotions pures et morales de la jeune fille ; mariée, elle déchoit et se déchire. Premier roman psychologique, et l'un des plus grands. Il faut se remettre dans le schéma moral d'époque. Il faut voir comme la moindre scène est ciselée, comme l'érotisme affleure derrière de minutieux détails ; comme les miroirs cachent des reflets langoureux, comme tout prend un sens second.

Et puis si l'on s'ennuie du roman, on va lire les articles passionnants que François-Ronan, son plus grand spécialiste, lui consacre avec un talent de conteur :
https://contagions.hypotheses.org/1286

"Il se rangea derrière une des fenêtres, qui servait de porte, pour voir ce que faisait Madame de Clèves. Il vit qu'elle était seule ; mais il la vit d'une si admirable beauté, qu'à peine fut-il maître du transport que lui donna cette vue. Il faisait chaud, et elle n'avait rien sur sa tête et sur sa gorge, que ses cheveux confusément rattachés.

(...)

On ne peut exprimer ce que sentit Monsieur de Nemours dans ce moment. Voir au milieu de la nuit, dans le plus beau lieu du monde, une personne qu'il adorait ; la voir sans qu'elle sût qu'il la voyait, et la voir tout occupée de choses qui avaient du rapport à lui et à la passion qu'elle lui cachait, c'est ce qui n'a jamais été goûté ni imaginé par nul autre amant.

Ce prince était aussi tellement hors de lui-même, qu'il demeurait immobile à regarder Madame de Clèves, sans songer que les moments lui étaient précieux. Quand il fut un peu remis, il pensa qu'il devait attendre à lui parler qu'elle allât dans le jardin ; il crut qu'il le pourrait faire avec plus de sûreté, parce qu'elle serait plus éloignée de ses femmes ; mais voyant qu'elle demeurait dans le cabinet, il prit la résolution d'y entrer. Quand il voulut l'exécuter, quel trouble n'eut-il point !"

L'Affamée
7.4

L'Affamée (1948)

Sortie : 1948. Roman

livre de Violette Leduc

Pasiphae a mis 7/10.

Annotation :

J'ai découvert Violette Leduc par un biopic qui lui fut consacré en 2013 (Emmanuelle Devos jouant son rôle, bien trop belle pour cette laideur que l'autrice revendiquait, au fondement de son identité). Elle jouit d'une sorte de réputation sulfureuse : écrivaine lesbienne, autrice de nouvelles et courts romans érotiques, amoureuse éconduite de Simone de Beauvoir (et par elle pourtant propulsée sur la scène littéraire de l'époque), amie proche de Genet.

Mais c'est son écriture, bien sûr, qui est extraordinaire, et la placerait, si elle y était affiliée, aux tout premiers rangs des auteurs du Nouveau Roman. Écriture charnelle, phrases courtes, mise en scène de soi comme ratée, médiocre et jalouse, mise en scène de l'obsession amoureuse dans ce qu'elle a de moins ragoutant... c'est une écriture qui dérange, celle des reléguées, des laides, de celles qui n'ont jamais la première place, et qui pourtant ont envie de hurler.

"L'Affamée" est le récit de son grand amour pour Simone de Beauvoir, qu'elle traquait dans le café où elle écrivait.

"J’ai la nuit, j’ai les murs sur lesquels j’étends mes bras. Je caresse les briques. Le grain des briques est revêche. Il décourage ma main. Dans les rues ma main n’a rien de tiède. Je m’accroupirai dans le métro. A la station Strasbourg-Saint-Denis, je la tendrai. Un agent me demandera ce que je fais avec ma main. Je lui dirai qu’elle mendie de la chaleur. Il vérifiera mes papiers. Il me chassera. Je reviendrai. On m’embarquera. Mendier autre chose que l’argent est impossible."

Tu es une rivière
7.4

Tu es une rivière (1995)

Nǐ shì yī tiáo hé

Sortie : 2004 (France). Roman

livre de Chi Li

Pasiphae a mis 8/10.

Annotation :

Chi Li est une romancière chinoise que j'ai découverte, il y a quelques années, au hasard d'un bac à occasions Boulinier. Trois de ses courts romans publiés chez Actes Sud s'y voisinaient, et leurs couvertures aux couleurs pastel représentaient de très douces scènes de tendresse familiale.

C'était trompeur ! je ne me souviens pas des intrigues précises de chacun, mais ce sont toujours des histoires familiales complexes, où les femmes retirent le mauvais lot et cherchent le désir, au milieu d'enfants aimés / mal-aimés. Romans sociaux à la chinoise – on retrouve les univers très citadins de Lao She, bariolés, complexes et mouvants – avec une forme de cruauté maternelle en prime.

"Il dégustait son œuf à petits coups de langue comme si c'était de l'amour qu'on avait versé dans son bol. Il avait toujours méprisé la campagne mais Lala était déjà une femme et non plus une jeune fille quand elle était entrée dans son univers. Les seins opulents de Lala, quand ils se balançaient sous son nez, exhalaient un chaud parfum de lait et ses fesses rebondies, son rire sonore, ses francs accès de colère le mettaient sous son charme."

Rumeur

Rumeur

Suivi de Chère Madame Schubert

Sortie : 24 janvier 2015 (France). Poésie

livre de Ewa Lipska

Pasiphae a mis 8/10.

Annotation :

Ewa Lipska est une poétesse polonaise contemporaine, que j'adore. Je l'avais d'ailleurs étudiée en classe avec mes 6e, qui étaient tombé·es sous le charme de son Poète seul la nuit devant l'écran de son ordinateur (pas tout à fait seul, puisqu'il avait un chien aimant).

Ses courtes lettres à Madame Schubert son incroyables. Je vous en laisse juges.

"Chère Madame Schubert, mon voisin m'a dit :
"Je suis retourné à mon enfance pour ne plus lire Dostoïevski, Nietzsche et Marx. À présent je lis des contes. Quand je suis allé au port récupérer les cendres de ma mère qui arrivaient d'Australie, j'ai contemplé en vain le soleil couchant. La boule rouge roulait sur place. À partir de demain, vous pourrez me voir uniquement en mon absence. Je suis chez les frères Grimm."

"Chère Madame Schubert, je vous écris en polonais. C'est une langue étrange. Elle colle au palais. Il faut sans cesse la traduire en d'autres langues. Parfois son parfum lourd manque de finesse et a le goût d'une moutarde sans piquant. Il arrive qu'elle s'emballe dans une histoire d'amour. Vous vous souvenez de ce vertige lexical tandis que nous courions sur la plage – la pluie lavait les restes des propos de nos lèvres ?"

Les étoiles de la faim

Les étoiles de la faim

Poésie

livre de Christine Lavant

Annotation :

Encore une fois, cadeau de l'amie Laumé.

Christine Lavant, poétesse autrichienne, a eu une vie désastreuse : toujours malade, tuberculose, dépression, elle a fini par rencontrer la poésie de Rilke et la foi (une foi cependant complexe). Sa poésie, du peu que j'ai pu lire, est belle, féroce ; relation de colère, de rancune et de compétition envers Dieu.

"Tu m'as arrachée à toute joie.
Mais cela n'empêche
que je souffrirai le temps exact
que moi je voudrai, Seigneur.
Me voici devant toi pleine du plus sauvage
orgueil et de la plus farouche colère.
Lève ta main et renverse moi,
je n'en bondirai que plus haut
et tu m'auras à jamais devant tes yeux,
moi, rouge petite boule de colère.
Chaque lieu me renvoie vers toi
parce que, de ce seul lieu où j'étais tout entière
cœur, et joyeuse, et douce comme un oiseau,
tu m'as arrachée, pour me rouler en boule
et me jeter dans la souffrance éternelle."

"Détruis l'arbuste de mélancolie et sème
trois graines de pavot blanc dans mon cœur,
j'ai besoin de rêves plus légers
pour passer le pont."

Pour en voir plus, un petit thread :
https://twitter.com/electre2/status/1183665161422409728

L'Œil le plus bleu
7.7

L'Œil le plus bleu

The Bluest Eye

Sortie : 1970 (France). Roman

livre de Toni Morrison

Pasiphae a mis 8/10.

Annotation :

Quand j'ai commencé à poster mes textes sur internet, c'est la première chose qu'on m'ait dit d'aller lire (c'était Hobbes), alors forcément, je garde une place de choix dans mon cœur pour ce livre.

J'ai lu depuis d'autres romans de Morrison ; leur complexité est incroyable, sur la question des relations lorsqu'elles sont parasitées par des histoires de positions sociales et de domination (j'y avais été moins sensible plus jeune). Évidemment la question raciale aux USA, mais jamais mieux abordée que par elle. Et un lyrisme incroyable, cruel, coloré.

"Puis elles avaient vieilli. Leur corps s'était usé, leur odeur était devenu aigre. A s'accroupir dans les champs de canne, à se baisser dans les champs de coton, à s'agenouiller sur les berges de la rivière, elles avaient transporté un monde sur leur tête. Elles avaient abandonné leurs enfants à eux-mêmes et elles avaient élevé leurs petits-enfants. Soulagées, elles s'enveloppaient la tête dans des chiffons, et la poitrine dans de la flanelle; elles abandonnaient leurs pieds dans des chaussons de feutre. Elles en avaient fini avec le désir et l’allaitement, elles étaient au-delà des larmes et de la terreur. Elles étaient les seules à parcourir les routes du Mississippi, les chemins de Géorgie et les champs de l'Alabama sans être agressées. Elles étaient assez âgées pour se montrer irritables quand et où elles le voulaient, assez fatiguées pour désirer la mort, assez désintéressées pour accepter l'idée de la douleur tout en ignorant sa présence. Elles étaient en réalité et enfin libres."

"Je ne savais pas pourquoi je cassais ces poupées. Mais je savais que personne ne m'avait jamais demandé ce que je voulais pour Noël. Si un adulte, ayant le pouvoir de combler mes désirs, m'avait pris au sérieux et m'avait demandé ce que je voulais, il aurait su que je ne voulais rien à moi, que je ne voulais posséder aucun objet. Je voulais plutôt ressentir quelque chose le jour de Noël. La vraie question aurait dû être: "Ma chère Claudia, qu'aimerais-tu connaître à Noël?" J'aurais répondu: "Je veux m'asseoir sur le petit tabouret dans la cuisine de maman, les genoux couverts de lilas et écouter papa jouer du violon pour moi toute seule." La taille du tabouret fait pour moi, le sentiment de sécurité et la chaleur de la cuisine de maman, l'odeur des lilas, la musique et pour que tous mes sens soient de la fête, peut-être, après, le goût d'une pêche."

Mais leurs yeux dardaient sur Dieu
7.6

Mais leurs yeux dardaient sur Dieu (1937)

Their Eyes Were Watching God

Sortie : 13 septembre 2018 (France). Roman

livre de Zora Neale Hurston

Pasiphae a mis 8/10.

Annotation :

Zora Neale Hurston, autrice afro-américaine, était également anthropologue ; elle a travaillé sous la direction de Boas sur la culture folklorique afro-américaine et le vaudou haïtien – connaissances qu'elle utilise dans ses romans, pour que leur arrière-plan réaliste soit juste.

Elle a également été chef de file du mouvement Harlem renaissance. Un thread pour en apprendre plus et lire quelques extraits :
https://twitter.com/electre2/status/1264478156007800832

"Moi j'avais idée de prêcher un beau sermon sur les femmes de couleur qui se posent là-haut, mais y avait pas aucune chaire dressée pour moi. La liberté elle m’a trouvée avec ma tite bèbe aux bras, alors j’ai dit m’en vais prendre un balai et une marmite et lui ouvrir grand la route au milieu de la broussaille."

"Ah, être un poirier – ou n'importe lequel de ces arbres en fleurs ! Sous les baisers des abeilles tandis qu'elles chantent le commencement du monde ! Janie avait seize ans. Un feuillage vernissé et des bourgeons tout près d'éclore et le désir de prendre à bras-le-corps la vie, mais la vie semblait se dérober. Où donc étaient-elles, ses abeilles chanteuses à elle ? Rien dehors ni dans la maison de grandmaa ne lui répondait."

Pasiphae

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