Rouge sur blanc, tout fout le camp (une année 20/20 en livres)

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22 décembre

D'une noirceur toute maléfique et hallucinée, ce récit du séjour de Bouvier - déjà l'un de mes auteurs préférés - à Ceylan, où l'auteur à passé neuf mois de fièvre et de délire sous la torpeur tropicale, en 1955, m'a proprement subjugué. Que Bouvier ait mis 27 ans à remettre en ordre ses notes en dit déjà long sur l'épaisseur d'une œuvre placée "sous l'empire de mauvaises planètes".

Moi qui comparait il y a quelques mois le style de Sylvain Tesson, que je découvrais, à celui de son illustre prédécesseur, j'en ai pour mes frais. Tesson n'arrive pas à la cheville du Maître quand il s'agit d'écrire. D'ailleurs, comment le pourrait-il ? On voit dans ce "Poisson-Scorpion" Bouvier se départir des lambeaux de sa conscience de petit érudit occidental pour atteindre la quintessence de son art et de son style. Ce qui a sans doute été pour lui une descente lente, implacable, dans les enfers, constitue par réciproque, comme par poussée d'Archimède, l'éclosion glaçante et mirifique d'une œuvre à la beauté incomparable.

Mille sont les passages époustouflants, comme cette nuit torride où Bouvier s'endort sur le champ de bataille d'une armée de termites assiégée ; ou encore cette lettre reçue d'Europe qui enflamme son esprit déjà abrasé à mesure qu'elle éteint les dernières forces de son âme. Fantômes, démons, mages et vermine se bousculent en un chapelet paradant, mis en musique par un style inconcevable d'éclat bouillonnant.

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22 octobre

Un recueil fluide et simple de nouvelles de l'écrivain voyageur. Une grande partie de ces récits explore l'avidité de l'homme, dans des situations un peu trop semblables, quoique globalement assez bien tournées, pour susciter plus qu'un intérêt poli et quelques sourires tristes.

Ce qui m'a le plus plu, en définitive, c'est de m'imaginer l'étincelle de réel qui se cache derrière ces courtes fictions, ce regard jeté par Tesson sur une cabane dans la forêt sibérienne, sur un phare du Kamtchatka, sur une crique égéenne ou l'anecdote racontée par un afghan édenté avec son turban sur la tête, qui ont mis en route le moteur à imagination de l'auteur français.

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13 septembre

Un manuel réussi et assez décapant, destiné à libérer la sexualité autant qu'à combattre certains présupposés sur le rôle des femmes et des hommes, la transidentité ou les secrets du corps. Pédagogie, humour et soutien irriguent ce "Jouissance Club" qui gagne à être posé à portée de main, des fois qu'on manque subitement d'imagination dans ses rapports sexuels...

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6 septembre - 8,5/10

Présenté comme un essentiel des lectures féministes, victime d'un succès non démenti qui témoigne d'une nouvelle époque post-me too, "Sorcières" fait largement honneur à sa réputation.

Pas peu fier d'en ouvrir les premières pages, j'ai très vite été happé par le style très accessible de Mona Chollet, l'inépuisable profondeur de ses sources et l'angle de son attaque. Il y a en effet dans la figure de la sorcière de nombreux mythes à déconstruire et analyser, qui en disent bien plus long sur notre société que ce que le péquin moyen (moi le premier jusque là) peut imaginer. En explorant différents profils de femmes préférentiellement ciblés par les préjugés sexistes (célibataire, sans enfant, âgée), Chollet illustre avec brio l'effroi que suscite pour le patriarcat l'idée même d'une femme dont le contrôle du corps et de l'esprit lui échappe.

Cette vérité, assenée par l'autrice avec beaucoup d'intelligence dans la démonstration, mériterait de bien plus amples développements. Je n'évoquerais que quelques points précis qui m'ont particulièrement plu : l'intersectionnalité ouverte et manifeste de Mona Chollet dans sa manière d'aborder les discriminations ; la légitimité accordée aux fictions et produits de culture populaire comme source de démonstration, montrant ainsi à quel point ils traduisent des réalités tangibles ; le lien très réussi (qui a marqué pour moi la principale claque du livre) entre appropriation du corps de la femme, progrès technique et destruction de l'environnement. Cette dernière partie de l'ouvrage appelle en moi de nouvelles lectures et investigations, tant elle a fait écho à ma pensée profonde.

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25 avril - 7,5/10

Par un inexplicable procédé, Duras parvient à faire coexister plusieurs livres en un seul. Ce roman n'a bien qu'une seule et même histoire, d'une linéarité étouffante, mais il s'articule autour de parties aux rythmes et aux tons bien différents.

Écrasant de chaleur, bercé par les vagues, il nous guide auprès d'une Médée sortie des eaux, Shéhérazade ensorcelante qui capture le cœur des hommes en leur racontant une seule histoire, la sienne. Comme avec "Les petits chevaux de Tarquinia", dont je garde un souvenir de satiété plus homogène, Duras donne ici vie à l'étirement du temps. Parfait en période de confinement. Canicule littéraire, parsemée d'ombreuses embardées. On s'essouffle, on écrase, mais on jubile presque du mal qui nous est infligé, tant celui-ci est synonyme d'été.

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31 mars

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22 mars

Ce court roman me fait enfin renouer avec mon auteur préféré. J'y retrouve la quête passionnée de Tournier pour l'exploration et la mise en lumière des mythes, notamment bibliques. Dans ce qui pourrait ressembler à un film des frères Coen, le sarcasme en moins, il réinterprète ici l'histoire de Moïse, qu'incarne un migrant irlandais fuyant sa patrie pour le Nouveau Monde.

La prose est superbe, il faut le reconnaître. Mais à mi chemin, à mesure que son héros s'identifie au Prophète, "Eléazar..." passe de l'évocation subtile, de la parabole éthérée à la personnification radicale. Le récit perd alors en intérêt ce qu'il gagne en substance biblique explicite. Tournier égare son histoire autonome dans son commentaire de l'Exode et c'est dommage.

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23 février

Bon. Beaucoup de choses à dire sur ce livre qui oscille entre le pamphlet anticapitaliste maladroit, le livre de recettes magiques et le manuel involontaire de désinformation. Précisons d'emblée : je n'avais jamais lu Vargas pour laquelle j'ai pourtant beaucoup de respect, ma famille étant grande admiratrice de ses polars.

Le moins que l'on puisse dire, c'est que "L'Humanité en Péril" part du constat sincère et désespéré d'une femme courageuse (elle a abattu un gros travail de documentation) et responsable, consciente que son seul nom pouvait lui offrir une tribune non-négligeable auprès d'un public par forcément sensibilisé aux affres tentaculaires des bouleversements climatiques et de l'effondrement de la biodiversité.

Le résultat est pourtant alarmant du point de vue de la rigueur attendue d'un tel recueil de données et de pistes de progrès. Trois sources sur quatre sont contestables, le propos complètement désorganisé, les pistes d'action contradictoires...cela fait déjà beaucoup. Même sans travailler dans le domaine de l'environnement, et confronté quotidiennement à ces problématiques, j'aurais trouvé ce torchon illisible. J'ai dû m'accrocher pour en achever la lecture.

Bien sûr tout n'est pas à jeter. De nombreuses informations sont correctes, de nombreuses pistes pertinentes. Mais c'est sans compter le ton, carricatural à souhait entre "Nous le peuple" et "Eux les politiciens à la solde des lobbies". Sans compter non plus sur cet horripilant levier rythmique, son censeur, inventé par l'autrice pour justifier de l'inconsistance formelle de son propos... Heureusement - j'ai cru que cela ne viendrait jamais - il est rappelé à la fin que "Nous", malheureux désinformés plein de bonne volonté mais à qui l'on ment éhontément depuis des décennies, avons aussi une responsabilité dans le choix de nos dirigeants par le suffrage universel. Ouf, "Nous" ne sommes pas tous blancs.

Je crois que le sujet mérite quand même un propos d'une autre tenue.

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2 février

Pas très emballé par le style direct et très descriptif de ce roman, j'avoue n'avoir que modérément adhéré à son pitch. La fin de "La clé USB", au titre aussi aride qu'une partie de son sujet, offre tout de même un peu de profondeur et d'émotion à un récit somme toute pas très intéressant.