Les Monsieur/Madame, chefs-d'œuvre postmodernes

Annotation :

Madame Chipie évoque le cinéma coréen : un personnage insupportable, qui persécute les autres. Mais, ensuite, c'est elle qui sera persécutée, par un médecin qui en plus le fait en bonne conscience. A la fin, on la plaint.

C'est très exactement le schéma narratif d'"Orange mécanique", d'Anthony Burgess puis de Stanley Kubrick.

Il y a un passage d'Emmanuel Carrère là-dessus, sur la manière dont on a plaint Saddam Hussein au moment de sa mort abjecte. Je ressens la même chose pour Madame Chipie.

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Monsieur Rapide est un pervers narcissique qui persécute Monsieur Lent. Ce dernier, tel le Bartleby de Melville, adopte la résistance passive du "J'aimerais mieux pas" et, justement, de l'extrême lenteur, pour paralyser toutes les velléités managériales de Monsieur Rapide, sorte de mélange loufoque entre le coach bien-être qui t'emmerde pour "te bouger" et le culte de l'efficacité propre aux macronistes. A la fin, Monsieur Lent se cache sous son lit ; il échappe ainsi à Monsieur Rapide, et se rendort. Moins consommateur, moins oppressif, Monsieur Lent est le véritable héros du livre : archétype de l'écologiste de tous les jours, bon et sans fioritures ; on l'aime, on l'admire.

Annotation :

Un récit déchirant dans lequel le bon Monsieur Sale finit propre, perdant ainsi son identité et sa beauté. D'infâmes Messieurs (Monsieur Beau et Monsieur Net, répliques glaçantes de Dupond et Dupont), incarnations comme Monsieur Rapide du managériat à l'époque du capitalisme tardif, le croisent dans un jardin propret, et viennent laver sa maison, puis le laver lui-même. Monsieur Sale, à la bouille rose tout à fait sympathique, devient une simple boule sans âme et sans expression, sous les applaudissements des Managers. Glaçant, vous dis-je.

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Monsieur Petit cherche un travail. Après de nombreux échecs, le travail qu'il trouvera, ce sera de raconter à l'auteur du livre sa recherche de travail. Nous avons donc là un récit spéculaire tout à fait savoureux, rappelant avec virtuosité la fin d'A la recherche du temps perdu.

Il y a par ailleurs un ver de terre qui s'appelle Werther, ce qui est une raison suffisante pour lire l'ouvrage.

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Le surréalisme entre à l'école. Il y a, dans ce tome-ci, un phénomène de pure gratuité : l'auteur ne semble même plus avoir réfléchi à une quelconque histoire ; il se laisse aller à une narration automatique, permise par le "Incroyable" du titre ; tout ce qui n'est pas vraisemblable étant incroyable, tout était permis. Le renversement complet du monde s'opère ici, sans prétention, comme si le conteur, ayant tous les droits, n'avaient même pas besoin de mettre en scène sa virtuosité : l'incroyable est le régime normal du récit.

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Classique du récit de voyage.
Le héros part, découvre la terre promise (l'endroit où il fait chaud et où il n'éternue plus), et revient ensuite dans son pays natal avec un magicien pour y apporter le soleil.
D'aucuns y verront un apologue christique.

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Monsieur Malin n'est pas classable dans les méchants, comme l'est Monsieur Malpoli, mais c'est un véritable raclure d'ironie. On lui voue une haine saine.

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Monsieur Chatouille est très clairement le meilleur héros de toute la collection. Il a une faille, comme tous les héros : ses impulsions. Saura-t-il s'en sortir ? Il fait face à un monstre, symbole du non-civilisé, du barbare qui règne en chacun de nous. Pour le vaincre, il faudra à Monsieur Chatouille se surmonter lui-même, surmonter sa faille.

Annotation :

Classique de la nouvelle à chute, avec un "Pourquoi pas ?" qui ouvre des abîmes métaphysiques.

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Cet ouvrage est une tragi-comédie : la qualité du personnage, la curiosité, est tournée en défaut par ses médiocres contemporains. Tel Cyrano, Monsieur Curieux subit une cabale autour de son grand nez. Sauf qu'il n'y a pas de grandiose en lui : ce sera un écrasement complet. Il fait partie des personnages (avec Monsieur Sale, notamment) qui, à la fin de l'ouvrage, ne sont plus rien : on l'a dressé à perdre sa curiosité, avec force douleurs physiques, qui font bien rire les autres personnages. Moi, ça m'émeut.

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C'est l'histoire d'un idiot du village qui finit footballeur.

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Très belle fable métalittéraire sur la manière dont les récits changent les sentiments : les pirates n'avaient pas peur avant que Monsieur Peureux ne leur évoque ses peurs ; très rapidement, ils ressassent les discours de Monsieur Peureux, et finissent par avoir peur de tout. Le héros s'en sort grâce à la peur qu'il diffuse partout. Diffuser leurs peurs, ainsi survivent les peureux, -à méditer.

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Belle démonstration de la proximité intrinsèque entre le génie et la bêtise.

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Vertige des apparences : Monsieur Malchance voit un chevalier et se persuade que son armure le protège. Or, si le chevalier a une armure, cela ne signifie pas qu'il est protégé, mais justement qu'il est en danger. Monsieur Malchance l'apprendra à ses dépens.

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Même constat que pour Madame Chipie, sauf que Monsieur Farceur, à la fin, se relève d'entre les morts pour accomplir la farce suprême : couper la moitié de la moustache de Monsieur Tatillon. Chant du cygne d'un créateur écrasé par la médiocrité de ses contemporains.

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Madame Proprette n'a pas de personnalité.
On l'a bien vu chez Monsieur Sale : le propre, c'est la mort, -seule la saleté vit.
Nouvelle preuve ici : le véritable héros du livre, c'est Monsieur Méli-Mélo, qui apporte un peu de vie en dérangeant la maison de Madame Proprette.

Annotation :

Une bonne introduction à la notion sociologique de "régulation sociale". Les Monsieur Madame sont saisis lors de leur loisir dominical. Deux écueils traversent la journée :
-l'envol de Monsieur Petit et Madame Petite, heureusement rattrapés par Monsieur Grand, exemple de solidarité populaire permettant l'intégration de tous dans la vie sociale ;
-l'arrivée du "trouble-fête" qu'est Monsieur Chatouille. C'est ici qu'intervient Monsieur Malin, véritable héros régulateur et civilisateur, qui retourne la force du monstre (son impulsion à chatouiller) en bénéfice sociale : ses longs bras lui permettent de tenir les cerfs-volants durant le déjeuner.
Ainsi l'individu déviant est ramené dans une norme inclusive.

Annotation :

Postmodernité : la catastrophe devient une fête.

Annotation :

La lutte s'engage entre Mme Bonheur et M. Grincheux, ce dernier cherchant à faire perdre son sourire à celle-ci. Selon les lecteurs, M. Grincheux pourra incarner le nihiliste, le désespéré ou le collapsonaute ; Mme Bonheur, elle, sera vue tour à tour comme un divin exemple de résilience ou comme un monstre de naïveté. En somme, Mme Bonheur est une héroïne catholique de gauche ; l'interprétation qu'on fera d'elle dépendra du positionnement politico-métaphysique du lecteur.