Cover Carnet de lectures 2020

Carnet de lectures 2020

Lire en prenant des notes les yeux fermés, laissant se former des limules de lectures se former au fil du temps, essayant de déchiffrer ces signes sauvages, obscurs, rêvés et parfois si clairs. Je m'y exerce depuis quelques années :

En 2019 ...

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102 livres

créee il y a plus de 4 ans · modifiée il y a plus de 3 ans

Cinquante façons de manger son amant

Cinquante façons de manger son amant (2015)

Gutshot

Sortie : 22 octobre 2020 (France). Recueil de nouvelles

livre de Amelia Gray

Annotation :

« Menaces » nous avait déjà fait découvrir l’univers d’Amélia Gray (scénariste pour Maniac et Mr Robot entre autres) et cette façon qu’elle avait de dérouler son histoire à partir d’un point d’épouvante (ces menaces cachées dans la maison d'un jeune dentiste à la dérive dans sa solitude, Sainte Apolline priez pour nous).

Dans cette suite de « short stories », elle montre la façon qu'elle a de travailler au plus proche du coup dans le ventre ("Gutshot", titre original vaut bien le titre en français tiré d'une nouvelle éponyme). On y découvre surtout la manière dont elle sait varier les angles, choisissant les situations, les formes variées des nouvelles courtes pour se livrer à une férocité jamais morbide (je pense toujours à l'horrifique 300 000 de Blake Butler).

300 millions
7.2

300 millions (2014)

300,000,000

Sortie : 2 janvier 2019 (France). Roman

livre de Blake Butler

Annotation :

La littérature et le mal, qu'il disait, certes. Mais si ce livre affreux est essentiel à lire c'est pour voir jusqu'à quel point on peut lire malgré ce qui dépasse le supportable. Alcofridas en a bien parlé : à côté les 120 journées, "Le chant de la mutilation" ou autre fantasme de torture n'est pas aussi réussi dans l'écarquillement des yeux à la lecture. Sûrement cela tient-il à la première partie, d'une écriture magistrale (et d'une traduction tout aussi impressionnante) nous plongeant dans le journal de Garvey. Le flottement et la folie nous contamine nous aussi, et, lorsque la même folie arrive à l'enquêteur et s'étend au reste du monde - c'est-à-dire à l'Amérique - on s'en trouve presque soulagé. Ce que l'on expérimentait est devenu fiction, mis à distance. On peut dès lors avancer dans le livre avec plus de tranquillité.

Habitacles

Habitacles

Sortie : août 2020 (France). Essai

livre de Jérôme Orsoni

Annotation :

Je ne cesse de dire que je n'aime pas les chimères littéraires pour parler des œuvres, et pourtant, je ne cesse d'en faire. Toujours le mot d'Ovide : "Video meliora, proboque deteriora sequor"...

C'est qu'on lit par comparaison, par appariement, et si Jérôme Orsoni tente un livre original, loin de la fiction, dans un mélange d'essai, de philosophie, de pointe acide de moralisme et de journal intime, je l'ai ressenti comme le mélange étrange entre les "Carnets du sous-sol" de Dostoïeski (modernisé) et le "Soleil et l’acier" de Mishima : grand dégoût du siècle, du kitsch, et recherche de la discipline, de la simplicité, de l'esprit par le corps.

Je convoque Mishima et Dostoïevsky, mais lui parle beaucoup plus de Wittgenstein, Leibniz, Platon, Spinoza, Sartre, Heidegger, Feldman & Cage, Alfred Loos & Musil,

Qu'on se rassure : pas des cabanes à la Macé, la cabane d'Orsoni est la course à pied, sans but comme le tir à l’arc zen et les habitacles sont des petites bombes dans notre confort de pensée contemporaine.

Un souffle de vie
7.6

Un souffle de vie (1978)

Pulsações

Sortie : 13 mars 1998 (France). Roman

livre de Clarice Lispector

JohnDoeDoeDoe a mis 10/10.

Annotation :

Dernier livre, inachevé, de Clarice Lispector, dire que l'auteur s'y interroge sur le souffle de vie, le sien et celui de l'écriture est trop peu dire. En en ayant entendu parlé de cette manière, je craignai de lire un de ces livres faibles se complaisant dans les grands hypnotismes de l'écriture se regardant elle-même vivre et décliner. Un livre de trop, trop abstrait, un livre de salut par la Littérature qui est sûrement ce que l'on a appris à détester au 20e siècle.

C'est injuste tant rien n'est moins artificiel, rien n'est moins intimement vivant que cette écriture et le rapport au monde qu'il déploie, qu'il est plus qu'un souffle qui s'affranchit de toutes les limites de la religion, de l'Anima, de toutes théories, pour s'incarner. Oui, elle discute avec son personnage, écrit le rapport à Dieu, et pourtant tout est vivace dans les lumières et les ombres, dans ce grand miracle qu'est l'écriture de Clarice Lispector.

De parcourir le monde et d'y rôder
6.8

De parcourir le monde et d'y rôder (2020)

Sortie : 20 août 2020 (France). Roman

livre de Grégory Le Floch

Annotation :

Il y a presque quelque chose de Boris Vian dans ce second roman de Grégory Le Floch paru chez Christian Bourgois après le très beau « Dans la forêt du Hardt » édité lui chez L’Ogre. Peut-être dis-je du Vian cause de l’éditeur (qui réédite Vian cette année) et de l’aspect très pop et en apparence superficiel de l’écriture, loin des enchevêtrements végétaux de son premier livre orphique. Mais pas le Vian amer de "L'Herbe rouge" ou de "l'Arrache-coeur," ni celui déroutant de "l'Automne à Pékin". Pas plus celui de "L’Écume des jours". Non, sûrement un Vian fantasmatique dans ce que ce nom renferme de joueur dans l'écriture et de fantaisiste dans son goût pour la 'pataphysique (science des solutions imaginaires), et ce pour le meilleur et pour le pire.

Cependant la comparaison est injuste au regard des références de Le Floch. Sûrement. Reste que je suis resté totalement à la surface de ces aventures absurdes à la Fabcaro de ce narrateur qui récupère un jour dans la rue un objet dont il cherchera à épuiser l’interprétation dans des rencontres et des voyages qui le conduiront dans le monde, enchaînant les possibles interprétations de ce morceau brun à moitié mou : monnaie, étron de Franz Litz, monnaie, statuette freudienne, jumeau perdu…

Sur l'idée d'une communauté de solitaires
5.5

Sur l'idée d'une communauté de solitaires

Sortie : 12 mars 2015 (France). Essai

livre de Pascal Quignard

Annotation :

Tissu de conférences aux flottements pleins des ombres de Port-Royal, inlassablement. Sur le motif de la retraite plutôt qu’une réflexion – que je me rêvais à attendre – sur la question de la communauté à la Nancy – Agamben – Blanchot.

Le Maître et Marguerite
8.1

Le Maître et Marguerite (1940)

(traduction d'André Markowicz et Françoise Morvan)

Мастер и Маргарита

Sortie : 16 septembre 2020 (France). Roman

livre de Mikhaïl Boulgakov

Annotation :

Nouvelle traduction qui restitue le mordant de la caricature fantastique de cette URSS des années 1930. Quelle plaisir de redécouvrir ce sabbat frénétique, le ronflement du vent dans la coiffure de Ponce Pilate, et les pitreries du Diable et de ses délicieux acolytes.

Métamorphoses
7.3

Métamorphoses

Sortie : 1 mars 2020 (France). Essai, Philosophie

livre de Emanuele Coccia

Annotation :

Malgré tout ce qui me rapproche de lui, les intérêts communs pour la biologie, l'entomologie, la philosophie, la botanique, je n'arrive bizarrement pas à lire ses livres sans me crisper. Je n'arrive pas à m'abandonner à la belle histoire de la métamorphose qui nous lie tous, pour Elle, avec Elle et en Elle, Elle, la Métamorphose Toute-Puissante, dans l'unité du Vivant, tout honneur et toute gloire pour les siècles et des siècles.

Cet évangile de la métamorphose, quand bien même, intellectuellement j'en conçois les fondements intellectuels, philosophiques, me crispent sur la forme, mais tout autant sur la manière de la présenter plutôt que de la problématiser.

Dans "la vie des plantes" c'était l'usage de la phénoménologie projetée dans les plantes ("l'être-au-monde" des plantes et tout le vocabulaire de la phénoménologie utilisé de manière à se faire pendre Husserl en pleine méditation). Ici c'est le peu de consistance du concept de "métamorphose", qui à n'être pas défini, réussit à être utilisé en science, en politique, en philosophie, en théologie, en obstétrique, et semble donc se prêter magiquement à tout, mot-magique qui semble dénouer toutes les mauvaises conceptions fixistes de ce monde de perpétuel changement.

Car en définitive, si l'on y réfléchit une seconde, cette "métamorphose", n'est qu'une esquisse de réflexion de la très classique catégorie ontologique du "devenir". Or sur le sujet, on ne peut pas dire que la tradition philosophique soit muette.
Or est-ce qu'un mot, métamorphose, paré de son éclat merveilleux comme les ailes du papillon peut suffire à penser autrement ce qui se passe sous la catégorie du devenir ? La "métamorphose" menace plutôt à mes yeux de devenir l'obstacle épistémologique de la philosophie écologiste, le symbole de son idéalisme, de ses naïvetés, voire de son manque de rigueur intellectuelle.
(suite en commentaires)

Ce qu'ici-bas nous sommes
7.7

Ce qu'ici-bas nous sommes (2020)

Sortie : 20 août 2020. Roman

livre de Jean-Marie Blas De Roblès

Annotation :

Lu sur le conseil de "La Salle des machines" de Mathias Enard, avec les promesses de l'Orient et d'Aby Warburg réunis autour d'un dieu absent au cœur d'une ville oasis et mirage à la fois.
Et une déception à la mesure de mon enthousiasme initial.
Diable que c'est poussif dans le récit et poussiéreux dans l'érudition. Quant à la promesse des collages qui émaillent le texte, ils font se rendre compte de l'art qui réside dans ce travail (qu'Ernst maîtrisait à un degré que je m'étonne de voir Blas de Roblès citer sans rougir). L'anecdotique se partage avec les clins d'oeil appuyés. Sans parler de l'écriture vite oubliée.

Monde ouvert
6.3

Monde ouvert (2020)

Sortie : 17 septembre 2020. Roman

livre de Adrien Girault

Annotation :

"Un GTA version Beckett" est le blurb ultime pour donner envie de lire le livre. Pourtant je crois le livre plus fin que ça, bien éloigné des récompenses et des mécaniques d'un jeu qui grince, qui brise le cadre, et où les deux paumés s'enfuient dans une Xantia hors d'âge.

La pensée écologique
4

La pensée écologique

Sortie : 7 février 2019 (France). Essai

livre de Timothy Morton

Annotation :

Détruire la Nature pour la préserver comme continuum artificiel ? La "Dark ecology" de Morton inquiète le devenir écologique. Et n'est-ce pas cela, penser ?

Le temps passe
8.4

Le temps passe

Time Passes

Sortie : 1926 (France). Roman

livre de Virginia Woolf

Annotation :

Extrait central de la "Promenade au phare" où le temps s'étire, où les fantômes passent, où l'écriture distille ce à quoi les marées renoncent et restituent. Ce court ensemble de page laisse vide, sur une plage mélancolique à l'intérieur de nous-même.

Éloge d'une soupçonnée
6.5

Éloge d'une soupçonnée

Sortie : mai 1988 (France). Poésie

livre de René Char

Annotation :

Poésie pythonissienne pour lecteurs d'éclairs et d'orages. Comment lire la poésie - cette poésie. En jetant les bras au ciel ? En ricanant sous la couette des préjugés ? Il faudrait éclater tous les mots, les reprendre, oublier la voix de Char lui-même, l'arrogance ventriloquant son poème une fois qu'on la connait.

Les Mandarins
7.9

Les Mandarins (1954)

Sortie : 21 octobre 1954. Roman

livre de Simone de Beauvoir

Annotation :

Toutes les ambiguïtés des temps modernes. Toutes les belles trahisons du romans.

La Passion selon G.H.
8.1

La Passion selon G.H. (1964)

A Paixão Segundo G.H.

Sortie : 1981 (France). Roman

livre de Clarice Lispector

JohnDoeDoeDoe a mis 10/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

Rencontrer un cafard, le néant, les choses, le Dieu, être vivant dans la dépersonnalisation, dans le vertige du moment.

Les Falsificateurs
7.5

Les Falsificateurs (2008)

Sortie : mai 2008. Roman

livre de Antoine Bello

Annotation :

"Convoque les obsessions de Borges, Dick et Le Carré"... Non, non et non. Ou peut-être si, mais si mal, si platement. 600 pages pour un "à suivre" après des aventures certes bien documentées mais dont le principe de base ne frise pas un sourcil et où les formules scénaristiques se répètent sans réelle virtuosité, juste un "truc" répété et étiré à loisir (la théorie du complot pour les Nuls). Un livre de divertissement, soit, mais rien à voir avec les vertiges de Borges, Dick ou Le Carré (pour le peu que je connaisse de lui, c'est-à-dire "La Taupe"). Lu en raison de l'avis de mes éclaireurs, je pense qu'après avoir arrêté de noter, je vais quitter SensCritique.

Étonnant vivant

Étonnant vivant

Découvertes et promesses du XXIe siècle

Sortie : 19 janvier 2017 (France). Essai, Sciences

livre de Catherine Jessus

Annotation :

Par rapport aux livres d'Odile Jacob que l'on a à peine le temps de digérer, celui-ci prend le temps de l'explication et de l'illustration de qualité. Mêlant les perspectives classiques sur l'histoire du vivant jusqu'aux chimères de la biologie de synthèse sans oublier les cités perdues pleines de fumeurs noirs, le livre déploie tous les points-limites de la science biologique actuelle et ses perspectives (des futures évolutions forcées aux antiobiorésistances jusqu'aux merveilles de la virosphère).

La Mort immortelle
8.1

La Mort immortelle (2010)

Le Problème à trois corps 3

Sǐshén Yǒngshēng

Sortie : 10 octobre 2018 (France). Roman, Science-fiction

livre de Liu Cixin

Annotation :

C'est très étonnant de voir une idée que l'on a eu adolescent et que l'on croyait génialement immortelle être ici développée avec tant de surprises et de brio.

L'Anaconda
7.1

L'Anaconda (1813)

Sortie : 2 septembre 2016 (France). Roman

livre de Matthew Gregory Lewis

Annotation :

A vrai dire je l'ai lu uniquement pour son édition où à chaque page on retrouve l'étrange bandeau noir et serpentin qui orne la couverture. Est-ce que cet artifice allait faire quelque chose à ma lecture ?
Eh bien, il me semble que cela joue admirablement de l'envoûtement en redoublant l'étrange claustration à l’œuvre au sein du livre ainsi que la présence mythique et terrifiante de l'Anaconda.
Sinon le récit, très bref, maîtrise ses effets gothiques dans la jungle de Ceylan, mais fait grincer par son cadre colonial.

Les Guérillères
7.9

Les Guérillères (1969)

Sortie : 1 septembre 1969. Roman

livre de Monique Wittig

Annotation :

Retour aux sources. Il y a dans le texte de Wittig un ressac de voix, de présences qui forment ces brefs paragraphes cerclés de silences. Toutes ces voix progressent, se soutiennent, forment un océan. On est soulevé, et on se dit que la littérature a été bien peu à la hauteur de ces textes.

Poésies
7.7

Poésies

Sortie : 1970 (France). Poésie

livre de Claude Roy

Annotation :

Voilà une poésie atypique en ce plein 20e siècle. Une poésie a-métaphorique quand Rimbaud avait sonné la modernité avec des clairons d'extases, ouvrant les vents azimutés du surréalisme et les disjonctions du vers et de la rime pour une musicalité mentale et parfois abstraite (quoiqu'on connait la sensualité du "pavillon en viande saignante sur la soie des mers et des fleurs arctiques ; (elles n'existent pas.)" ou la matérialité écrasées de soleil des poèmes de Char).

Claude Roy commençant à écrire en plein cœur de la nuit de la seconde guerre mondiale des poèmes ("Le sommeil la nuit") ouvre une voie de traverse, d'une simplicité enchanteresse pour dire l’expérience de la guerre et de la mort.

Anachronisme ou parti pris de ne pas sublimer le désastre et la beauté ? La suite de la poésie de Roy, marquée par l’ombre et l’amour confirme cette qualité presque candide de cette poésie de bestiaire, de chant simple, de ritournelle rythmée et rimée, d’image non-composée.

J'aurais un royaume en bois flottés

J'aurais un royaume en bois flottés

Sortie : 9 mars 2017 (France). Poésie

livre de Nimrod

Annotation :

Diable, c'est une anthologie. Je prélève les livres trop rapidement en bibliothèque.
Itinéraire du lyrisme à la politique, en passant par les vers clairs et peut-être par trop esthétiques pour l'urgence de vivre tel que je le lis en ce moment chez Pizarnik, Bachmann, Tsvetaeva.

Textes d'ombre : derniers écrits
8.1

Textes d'ombre : derniers écrits

Sortie : 15 octobre 2014 (France). Poésie

livre de Alejandra Pizarnik

JohnDoeDoeDoe a mis 10/10.

Annotation :

Fragment de fin. Ombres et vertiges. On a la gorge nouée à lire ces notations courtes et intenses, ressassées de nuit en nuit.

Au "bleu" obsédant de la poésie de Trakl succède le "lilas" de Pizarnik, qui ici, hélas, tristement, laisse complètement la place à l'obscurité la plus tenace.
Reste longuement en nous pourtant, ces images, ces odeurs, ce sentiment de dépersonnalisation.

Xénobiologie

Xénobiologie (2018)

Vers d'autres vies

Sortie : 14 février 2018. Essai

livre de Michel Cassé et Marie-Christine Maurel

Annotation :

Collaboration d’un astrophysicien et d’une biologiste, on ne peut pas dire que le livre soit écrit à quatre mains, mais plutôt alternativement. Les étoiles. La vie. Les combinaisons atomiques, les molécules organiques. Hormis les comparaisons de vulgarisation assez malaisantes (maman-nuage et papa-étoile), le livre illustre par ailleurs aussi les travers que pointait Thomas Heams (cf infra). L’apologie de la biologie de synthèse, des OGM et de CRISPR-Cas9 avec tout l’enthousiasme de la Silicone Valley, l’absence de recul par rapport aux effets de bords ne serait qu’une des dimensions problématiques, mais pour ce qui est du « récit de la vie » on en reste là aussi à l’histoire de la soupe primitive et à des non-révélations.
Rien de bouleversant dans ce livre, des agacements plutôt. C'était déjà mieux chez Carl Sagan.

Infravies
8

Infravies (2019)

Le vivant sans frontières

Sortie : 4 avril 2019. Essai, Sciences

livre de Thomas Heams-Ogus

Annotation :

Passionnante remise en cause de la question « Qu’est-ce que la vie » du point de vue de la biologie. « Mise en mouvement adaptative de la matière » ? Certes. C’est un peu général. Découvertes micro-organiques à l’appui, la recherche d’un critère distinctif permettant de distinguer le vivant du non-vivant semble voué à l’échec tant le rapport initial et continu avec le minéral, avec des formes hybrides recombinant des traits du vivant sans en posséder tous les marqueurs, les endosymbiotes et autres phénomènes portent à s’intéresser au cadre de penser de cette biologie. Révolution de pensée où le vivant n’est qu’une modalité du non-vivant, et effacement des seuils « vivant / non-vivant » pour une « dimension collective et relationnelle des entités matérielles qui ont contribué à façonner le monde biologique. » Cette réévaluation nécessaire pour la compréhension les infravies (mini-cellules, ultramicrobactéries, virus et autres phénomènes limites) permet d’envisager d’une part autrement l’apparition de la vie que comme un Big Bang ou une étincelle divine dans les mares de la Terre primitive, mais remet a en question le cadre actuel de la biologie.

C’est ainsi que le biologiste Thomas Heams adresse la question du « vivant-machine », de la métaphore informatique s’étant développé de manière parallèle à l’éclosion de la biologie moléculaire dans les années 1950. La vision machiniste (plutôt que simplement mécaniste) du monde de la biologie (code, automate, …) est un ensemble de métaphores qui limite la compréhension du vivant (l’ordinateur comme norme du vivant alors que celui-ci est inspiré du vivant même, du fonctionnement du cerveau). Qui s’intéresse à la biologie aura croisé des visions de ce type, avec la sacralisation du génome suite à la découverte de l’ADN (le vivant est une invention du gène pour se reproduire dit Dawkins). Et même si cette vision est contestée depuis les années 1990, elle reste majoritaire et les effets de discursivité du « vivant-machine » (du cerveau-machine etc.) restent dominants avec ses représentations sociétales (industrialisation du vivant, corps-marché, exploitation animale, etc.) qui peuvent être questionnés (surtout quand en biologie même ils ne rendent compte qu’imparfaitement des phénomènes, comme du châssis cellulaire comme chaine de montage). On ne s’étonne pas alors de voir le livre s’ouvrir sur une interrogation éthique face aux promesses non tenues et inquiétantes parfois de la biologie moléculaire.

Cochon farci
6.5

Cochon farci (1996)

Sortie : 1996 (France). Poésie

livre de Eugène Savitzkaya

JohnDoeDoeDoe l'a mis en envie.

Annotation :

Il y a quelque chose de cryptique dans ces poèmes plutôt simples dans la forme et compliqués parfois par le vocabulaire et les références. Comme si le poète s’adressait des clins d’œil compréhensibles à lui seul : tel lieu, tel événement, telle association secrète, tel nom qui rate complètement autre que lui. Le lecteur-ce-semblable-ce-frère semble avoir été oublié dans la course à la poétisation. Rien ne nous atteint et l’opacité de ces poèmes pourtant accessibles semble tenir à l’intention poétique plus qu’au poème lui-même.

Poésie du chier et de l’ongle raclé, du sensuel et de l’intime se mêlant au monde, de la passion pour l’or et l’ordure, « Cochon farci » lorgne un peu du côté de Bataille pour tout ce qui nous fait matériellement humain et que l’on occulte : la salive et le vinaigre de la vie, l’urée et la blessure, le ciel et les poils, l’enfance et le bonheur.
Quelque chose de Marcel Moreau, le lyrisme fou en moins.

Moi, laminaire
8.5

Moi, laminaire

Sortie : 1982 (France). Poésie

livre de Aimé Césaire

Annotation :

Chant noir, marqué par ses combats et par mort galopante, « moi laminaire » résonne de manière testamentaire avec la marque des amis disparus (et peut-être la sienne propre pense-t-il à tort) mais donnant à entendre moins des élégies, des lamentos, qu'une force de proclamation, d'insurrection et de révolte qui donne à ce recueil l'aspect d'une récapitulation en faveur de sa vie plutôt qu'une capitulation à la mort prochaine.

« J’habite une blessure sacrée

j’habite des ancêtres imaginaires

j’habite un vouloir obscur

j’habite un long silence

j’habite une soif irrémédiable

j’habite un voyage de mille ans

j’habite une guerre de trois cent ans

j’habite un culte désaffecté

entre bulbe et caïeu
j’habite l’espace inexploité

j’habite du basalte non une coulée

mais de la lave le mascaret

qui remonte la valleuse à toute allure

et brûle toutes les mosquées

je m’accommode de mon mieux de cet avatar

d’une version du paradis absurdement ratée

- c’est bien pire qu’un enfer -

j’habite de temps en temps une de mes plaies

chaque minute je change d’appartement

et toute paix m’effraie »

Vivre avec le trouble
7.9

Vivre avec le trouble (2016)

Staying with the Trouble: Making kin in the Chthulucene

Sortie : 12 juin 2020 (France). Essai, Philosophie, Sciences

livre de Donna Haraway

JohnDoeDoeDoe l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

Staying with the trouble !
Traduction tant attendue de la merveilleuse et lumineuse Donna J Haraway, le livre rassemble des parties disjointes formant ensemble cependant un jeu de ficelles, une toile d’araignée pour la Pimoa Cthulhu matrice du Chthulucène, ce temps à venir, avec un « h » en plus pour nous relier au monde chtonien, terrestre, plutôt que de craindre le réveil des Grands Anciens.

Comme avec « cyborg pour la survie terrestre » en 1985 pour le "Manifeste Cyborg", Haraway forge maintenant un nouveau slogan pour résister aux pulsions morbides de notre humanité : « Makin kin not babies » (ce que la traduction en « Faites des parents pas des enfants » restitue sans doute imparfaitement).

Livre foisonnant d’exemples pour « vivre dans un monde abîmé » selon la formule d’Anna Tsing, il permet de voir l'ampleur du changement paradigme qui s’annonce dans toutes les sphères du savoir mais aussi du savoir-vivre, du savoir-être-au-monde passant par cet impératif d’apprendre à « vivre dans le trouble », dans la pensée hésitante, palpatoire et tentaculaire, dans les récits sympoïétiques permettant d’ « ensemancer des mondes » et de développer la curiosité pour les autres modes d'existence.

On regrettera juste que la SF finale (Speculative Fiction, Scientific Fact, Speculative Feminism, String Figures) de « L’histoire des Camille » en reste à une reprise des lectures d’Haraway plutôt que de faire véritablement récit.

Requiem
8.2

Requiem (1991)

Requiem: Uma Alucinação

Sortie : 2006 (France). Roman

livre de Antonio Tabucchi

Annotation :

L’imagination est peut-être comme le supposait Nietzsche un effet de notre digestion. Alors les plats portugais consommés lors de cette lourde journée assommante de chaleur dans Lisbonne prêtent à des lenteurs, à des couleurs où Lisbonne se lie à la mer comme à l’arrière-pays. Le chapelet de personnages égrenés et de leurs histoires conduit à cet état de rêve et de torpeur où l’on retrouve avec bonheur, las, en fin de journée, le spectre familier et toujours un peu verdâtre de Pessoa. Toute histoire de Lisbonne, la ville aux sept collines, doit-elle aboutir à Pessoa ? Gageons que oui, pour le plaisir.

Je suis un monstre qui vous parle
8

Je suis un monstre qui vous parle

Rapport pour une académie de psychanalystes

Sortie : 2020 (France). Essai

livre de Paul B. Preciado

Annotation :

Dire que les fourmis psychanalytiques s'affolent parce que Paul B Preciado pisse dessus avec un sexe non-binaire serait injuste. Car Preciado tente de leur montrer les limites de leur modèle et la manière dont il faudrait, s'ils respectent l'ambition scientifique qui était celle de Freud comme de Lacan, réinventer le cadre de leur psychanalyse pour prendre en compte l'intersexe, le queer, le non-binaire et sortir d'un savoir ramené avec la psychiatrie au cadre conceptuel dans lequel il fut produit et dont il est comptable : l'imaginaire hétéro-patriarcal (le Père, le rapport reproductif, l'Oedipe tyrannique, absence de psychanalystes se revendiquant homosexuel), la différence sexuelle comme loi d'airain (permettant de juger du normal et du pathologique, et de la "dysphorie de genre"), et bien sûr une certaine misogynie (le thème de l'assemblée "Femmes en psychanalyse" est assez frappant : les femmes, ces créatures étranges), sans compter le cadre colonial, bourgeois, cisgenre des producteurs de la psychanalyse.

Au regard des réactions à cette conférence (qui ont poussé Preciado à la publication du texte), il faut croire que la majorité des analystes n'est pas prête à ce changement de "paradigme" auquel les invite Preciado. Pourtant le constat semble assez clair face à cet ensemble de dogmes datés établis de la fin du XIXe siècle (Freud) à la fin des années 1940 (Lacan) et n'ayant guère évolué malgré toutes les révolutions dans le domaine de la sexualité, de la biologie, de la sociologie, de la philosophie, du féminisme.

C'est toujours un plaisir de lire (et d'imaginer lire) Preciado, avec ce mélange de force conceptuelle, de confession au plus près de son corps, d'invectives, de colère, et pourtant au final de tendresse dans cet appel à changer, dans cet appel à quitter les vieux costumes de naphtalines des messieurs de la psychanalyse pour en inventer d'autre, tous les autres.

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