Bien qu'Orwell ne soit pas écrivain et que cela se voie, j'ai le désir de citer toutes les phrases possibles et imaginables, de " La guerre c'est la paix, la liberté c'est l'esclavage, l'ignorance c'est la force " à " Il aimait Big Brother " en passant par " La postérité n'entendra jamais parler de vous. Vous serez gazéifié et versé dans la stratosphère. Rien ne restera de vous ". Le style d'écriture n'est que peu riche, malgré un vocabulaire qui m'a appris quelques termes, et j'ai regretté que le sentiment d'oppression, de perdition, d'angoisse, ne se ressente pas plus qu'il n'aurait pu l'être au fil de la lecture.
Mais on comprend vite que ce n'est pas ce qui importe et que le roman — si c'en est un — se laisse lire, nous explique le contexte avec une précision journalistique, et suit les actions d'une manière particulièrement fluide. Si Orwell n'écrit pas " mal " pour autant, tout simplement parce qu'il n'écrit " pas ", je me suis souvent perdu dans les scènes de souvenirs et de rétrospection, même si la notion de doute du temps est bien amenée, notamment dans la troisième partie. 1984 a un but à accomplir, en évitant bien heureusement un message et d'une morale dégoulinante. Comme un membre du Parti, le livre à quelque chose à faire, à dire, et il le fait.
Et, comme beaucoup de chefs-d'œuvre, la réflexion dans le fond est suffisamment exceptionnelle pour me marquer profondément et faire de 1984 une prémonition terrifiante. La réalisation, dans dix mois, dans dix ans, dans cent ans, d'un tel système totalitaire — qui se garde bien de signifier au peuple qu'il l'est — semble logique et évidente. Le travail des membres du Parti semble tellement facile, les médias et l'informatique sont tellement envahissants, l'homme tend tellement vers la guerre et l'aliénation aujourd'hui que Big Brother — si tant est qu'il existe — pourrait prendre le pouvoir du jour au lendemain. Et, comme il l'explique auparavant dans La Ferme des Animaux, que ce pouvoir revienne aux bureaucrates ou au peuple, il ne sera toujours qu'une dictature articulée autour d'une notion : la gratuité. Et face à cette gratuité, il n'y aura pas de héros, ni chez les prolétaires ni dans les romans ; le personnage de Winston a d'ailleurs tout son intérêt dans le fait qu'il n'est pas un héros. Le protagoniste pourrait être Parsons, Syme, Julia, ou un prolétaire, ça n'aurait pas d'importance.
Pour conclure en double penseur, nous sommes tous des héros, et nous ne le sommes pas.