A l'est d’Éden, avec son nom biblique, annonce la couleur : ce livre sera ambitieux et ce livre traitera du bien, du mal et de tous les chemins entortillés entre les deux qui se trouvent être les sentiers sur lesquels nous marchons et sur lesquels nous nous tordons les chevilles et sur lesquels aussi nous lançons des confettis lorsque le printemps revient car nous avons l'optimisme au ventre. A l'est d’Éden, avec son nom doux de l'ailleurs à côté, précise la lumière : ce sera un livre à la Steinbeck, à l'échelle de l'homme, à hauteur d'épaule, côte à côte. Et en sortant de ce livre je demande : qui d'autre que lui pour manier des thèmes aussi puissants avec autant d'humilité, autant de subtilité, autant de fausse simplicité, autant d'amour pour ses personnages, autant de délicatesse dans les émotions, autant de rythme en traversant pourtant tout le XIXe siècle, autant de fraternité avec son prochain qui est son personnage et son lecteur ?


Qui d'autre que lui je ne vois pas.


Plongeons. La fraternité : un thème qui est au centre du livre avec des échos non dissimulés à l'histoire d'Abel et Caïn, histoire qui revient sans cesse hanter la famille Trask pourtant entourée de l'aura bienfaisante des Hamilton dont le chef de famille, Samuel, reste l'un de mes personnages préférés. A l'est d’Éden : un pavé il est vrai que j'ai mis longtemps à lire mais une fois familiarisé avec les personnages il est difficile de s'en désolidariser, sans s'en rendre compte, on en devient partie, et on est heureux avec elle et l'on regarde les mêmes jours bercer de leur lumière la douce vallée et on partage la peine qui les accable trop souvent ; ça faisait bien longtemps que je n'avais pas pleuré en lisant un livre ni senti de si grand désarroi ou tristesse pour des personnages de fiction mais nous sommes si proches qu'il est impossible de ne pas s'émouvoir ou alors je ne sais pas ce qu'il faut.


Une chose est sûre : je trouve que certains personnages de ce roman détonnent par rapport à ceux que l'on peut trouver dans d'autres de ses livres. Je pense surtout à des personnages comme Cathy ou Lee ; la première à cause de son caractère extrémiste et imprévisible, le deuxième notamment pour l'intégration dans l'oeuvre de thématiques liées à l'immigration et des clichés envers les autres cultures. Les autres personnages sont je dirais plus classiques mais cela n'enlève en rien la qualité de leur écriture. Formidable qualité. Je crois que ça ne cessera jamais de me bluffer. La profondeur psychologique, les relations qu'entretiennent les personnages entre eux, tout cela est magistralement rendu.


En fait au final je me sens minable à essayer d'expliquer de façon confuse pourquoi j'ai aimé le livre, pourquoi je l'aime, je me sens à côté de la simple et pénétrante écriture de Steinbeck, à côté de tout ce qu'elle porte sans le faire savoir, avec une légèreté de promenade et un parfum de soir d'été.


Je ne conseilleras pas cette fresque à quelqu'un qui débute l’œuvre de Steinbeck car elle est peut-être son aboutissement mais aux amateurs qui ont un peu de bouteille, un seul mot : foncez !

JulieToral
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le 3 août 2015

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