Reculer pour mieux sauter.
« Pompez tant que vous pouvez ! » semble être le mot d'ordre d'une préface réalisée par Marc Fumaroli qui n'en peut plus de glorifier son auto-establishment. A la force de ses bras et de sa témérité ascétique, il a accumulé un savoir astronomique et encyclopédique comme on n'en voit plus pour nous resservir de manière bien condensée sa science inimitable. Gonflée à la testostérone, son récital fait catalogue, sert la culture littéraire mais dévalorise le lecteur qui est littéralement écrasé sous la masse d'informations et de termes obscurs que seuls les rhétoriciens emploient pour combler un vide incarné par la présence mentale du public. Ce dernier, alors en proie à « l'ennui » et la lassitude face à tant de complaisance de l'orateur, piétine à la lecture d'un péritexte qui devrait paradoxalement lui donner goût de l'oeuvre qui va suivre. Mission échouée, puisque notre esthète ne fait rien d'autre que nous assommer, comme pour rendre hommage à L'assommoir de Zola. Alors de ce constat d'échec naît différentes questions, en vase communiquant : Suis-je trop bête ou s'agit-il du point d'orgue d'une littérature recluse sur elle-même qui ne tient tout bonnement plus rigueur de la « frivolité » du monde ?
Difficile de répondre, quand on verse soi-même dans le plagiat de cet auteur critique, qui aurait mieux fait de faire fi des normes pour se placer en postface plutôt que traiter de choses inconnues au bataillon littéraire du lecteur qui s'apprête à déguster un exemplaire du triptyque de Huysmans. Mais parce qu'on sait que l'œuvre originale n'a jamais été supplantée par sa glose, on regagne courage et on s'immerge dans la véritable préface : celle toute subjective de son auteur réalisée « vingt ans après le roman ».
A reculons, j'y reviens. Parce qu'il faut coût que coût que je traite de ce monument littéraire qui est passé par mon estomac depuis un large moment déjà. Faisandé jusqu'à la moelle, ce molosse a été muselé sans qu'il n'oppose résistance. Difficile à apprivoiser, car retors et fougueux, il ne manie pas sa nourriture avec délicatesse. Un roman aventureux, tortueux, difficile d'approche et loin d'être classique, qui ne laisse en somme aucun lecteur indifférent. Centré autour de la personnalité de Des Esseintes, ce violent pamphlet contre la société américanisée du 19ème siècle est une large ouverture au Pessimisme dans ce qu'il exprime de plus nihiliste. Close, esseulée, insulaire, l'œuvre est à l'image de son héros : maladive, maniaque, exubérante, en un mot comme en mille : Névrosée. Fragmentaire, sa composition expose des pièces interchangeables qui ne rechignent pas au catalogue lorsque les goûts de son protagoniste appellent à être communiqués. Alors les plus rébarbatifs, ces passages font partie de ceux qui ne laissent pas le souvenir impérissable d'une délectation trônant dans le commentaire acerbe d'une société décadente qui a enfanté son plus beau Monstre objecteur de conscience : Jean Des Esseintes. Véritable paria sans foi ni loi, mais suffisamment sensé pour vivre en marge de la société sans se compromettre, il vilipende la vie comme butinent les abeilles de leur dard au gré des fleurs. Aiguisé, le couperet du misanthrope est tranchant, et la prose maligne flirte avec l'excellence d'une période classique et la dépravation d'une écriture vingtiémiste. Foncièrement tourné vers l'avenir, donc, le style de Huysmans est à la fois dépouillé et ampoulé, une merveilleuse synthèse du monologue intérieur Célinien apparenté à la consistance d'une intrigue de Sarraute et enrobé par l'héritage Naturaliste et Réaliste de son époque. Véritable petite perle pour qui voudrait s'essayer au jeu des références en pagaille, A Rebours regorge de clins d'oeil et de réécriture qui comme il est de coutume pour toute grande oeuvre, appelle à la relecture « universitairement » studieuse. Pour faire court : un sacré pavé dans la mare, qui malgré les années n'a toujours pas subi l'ombre d'une érosion.