A la lecture d'un second roman de Gaiman, il me semble qu'il est coutumier d'un certain style (ce qui ne sera pas forcément confirmé par des lectures ultérieures, allez savoir). On est dans un monde totalement ordinaire, et pas forcément très reluisant, et paf, d'un seul coup, on bascule dans le fantastique, dans une sorte d'univers parallèle. C'était le cas avec l'excellent Neverwhere, ça l'est de nouveau avec ce troublant American Gods. Mais la comparaison s'arrête là : si le premier de ces deux univers parallèles était plutôt féérique, presque façon Peter Pan, le second est carrément glauque, voire par moment sordide.
Est-ce donc parce que Neverwhere se déroule à Londres et American Gods dans des Etats-Unis que je qualifierais volontiers de profonds ? Est-ce là la marque du mépris envers l'ancienne colonie que nourrit le britannique bon teint ? Peut-être bien après tout...toujours est-il qu'aux États-Unis, les dieux sont minables et évoluent généralement dans les endroits les plus reculés qui soient. Si j'ai bien compris, d'ailleurs, Gaiman est allé lui-même sur le terrain repérer les endroits improbables où se déroulent les principales péripéties de ce qu'il faut bien appeler un road movie. Enfin plutôt un road novel en l'occurrence. Toujours est-il qu'on peut lire ce bouquin comme une charge violente contre la civilisation - si tant est qu'il soit pertinent d'utiliser ce terme - étasunienne, ses motels, ses lieux touristiques bidons, ses trous paumés, ses produits de consommation, ses cafétérias pourries, son histoire faite de violences et de spoliations, et, puisque c'est de cela qu'il est censé s'agir, ses idoles modernes : le pognon, la bagnole, la police et les armes entre autres.
L'intrigue, toute en faux-semblants, est tortueuse mais tout de même bien fichue. Puisqu'elle arrive à retomber droit sur ses pieds en fin de roman. Non sans être passée par des contorsions assez extravagantes : voilà un bouquin à la lecture duquel on ne peut prédire, à aucun moment, la façon dont il va évoluer. C'est assez remarquable en soi. Pour autant, en le refermant, j'ai eu l'impression d'un truc cohérent et Gaiman s'est même payé le luxe d'une sorte de happy end, toutes proportions gardées. A côté de cela, je ne peux écarter l'hypothèse que mes connaissances, vraiment basiques, des mythologies anciennes (nordique, égyptienne, hindoue, amérindienne, africaine,etc.) m'aient empêché de saisir un vrai fil conducteur, dissimulé au profane, mais présent quelque part dans le scénario.
La lecture n'en est pas pourtant désagréable, avec une sorte de sensation pour le lecteur d'être promené au fil des vastes plaines de l'ouest et des univers plus ou moins parallèles auxquels ces dieux ont accès. Quelques personnages bien sentis et bien campés venant agrémenter l'ensemble, qu'ils soient divins ou humains, voire les deux à la fois. Une fresque ambitieuse, qui laisse un gout parfois étrange dans la bouche, mais qu'il faut prendre le temps de savourer (plus de 600 pages en poche) sans craindre d'avoir le sentiment d'en perdre, à tout instant, le fil.