Tu profites pour lire Analyser la situation de l’insomnie qui t’empêche de te rendormir après 4 heures, ou de la matinée d’un dimanche que l’amour de ta vie t’a libérée en emmenant les amours de votre vie à la piscine, à charge pour toi de faire un peu de rangement et cuire le rôti pour midi.
Tu tournes la page de faux-titre. Première ligne de la dédicace : « à mon cancer du poumon ». La suite : « à Aline aussi / qui surveille cela / comme le lait sur le feu, / et tente de faire barrage / avant que tout ne déborde ». Tu tournes encore la page, une épigraphe empruntée à Thomas Vinau : « Celui qui peint / qui joue / ou qui écrit / est le pillard / de l’enfant dévasté / qu’il était ». Tu as déjà compris que les neuf nouvelles du recueil seraient à peine des histoires.
Tu te souviens de la préface des Contemplations et du « livre d’un mort » qu’il aurait fallu y lire, tu trouves toujours que ça n’a aucun sens dans la mesure où il n’y a guère de classiques qui ne soient écrits par des morts, et tu sais aussi qu’ordinairement on qualifie de posthumes les ouvrages publiés après la mort de leur auteur. L’impression produite par celui-ci, c’est celle d’un livre écrit posthume, le livre d’un mort-vivant. D’un futur classique aussi, qu’on redécouvrira dans vingt ou cent ans, après tout on en a redécouvert qui ne sont pas meilleurs.
D’ailleurs, et pourtant, tu sais aussi que c’est du lu et relu, écrit et réécrit, ce côté à l’écart des gesticulations du monde, ces souvenirs « emportés dans le tourbillon des mensonges et des misères de la vie, noyés dans l’immense fleuve de l’oubli » (p. 75, dans « Victoire au finish sur les cannibales »), ces récriminations sur « cette activité de perdant : écrire » (p. 102, dans « Petit Portrait de l’écrivain sur le tard »).
Mais tu redécouvres, pendant que le boulanger ouvre boutique ou que le rôti ne cuit pas, que ça n’est pas parce que c’est du lu et relu, écrit et réécrit, que c’est faux. D’autant qu’Analyser la situation propose quelques variations, de ces nuances qui te font dire que dans la littérature tout se joue sur des détails, ou que plutôt il n’y a pas de détails. Dire que le monde est mal fichu, – quelle nouveauté ! Ajouter qu’on n’a pas renié ses idéaux de jeune homme – que de hardiesse ! C’est autre chose d’écrire : « Ce monde si mal fichu que depuis les rêveries foldingues de mes vingt ans je n’avais pas changé d’un poil certes, mais qui finalement ne m’avait point trop changé non plus » (p. 65, fin de la nouvelle qui donne son titre au recueil).

Alcofribas
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le 13 juil. 2017

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