Anna Karénine
8.1
Anna Karénine

livre de Léon Tolstoï (1878)

Anna Karénine est le premier roman d'un auteur russe que je lis. J'avais déjà eu l'occasion de lire une nouvelle d'Alexandre Pouchkine mais le registre et le genre étaient totalement différents donc la comparaison est inenvisageable. Les romans russes ont une sorte d'aura mystique, on sait à l'avance que ce sera une lecture longue, que l'on déguste et savoure page après page. Anna Karénine n'échappe pas à la règle bien qu'au premier abord, le livre semble assez impressionnant de par sa taille, où l'on se dit qu'on va suivre la vie d'une femme pendant près de mille pages.

Néanmoins, et ce à ma grande surprise, le livre se lit plutôt facilement. C'est vrai qu'il est long donc il faut prendre son temps, cependant il n'y a aucun temps mort. Dès l'instant où l'on se glisse dans la vie de Anna, on n'en ressort qu'à la fin. Ce n'est pas une lecture hâtive et précipitée, on ne tourne pas les pages avec impatience, pressé de connaître la suite. On apprécie chaque page, chaque chapitre. La frénésie désespérée n'existe pas lorsqu'il s'agit de lire un roman russe, il faut être prêt à se poser pour un petit moment et à prendre le temps de lire chaque phrase sans pour autant chercher à en comprendre totalement le sens. Car c'est là que résident la magie mais aussi la difficulté de ce type de roman. Les personnages se posent énormément de questions tout au long de l'histoire et de leur existence, ce sont des interrogations complexes et représentatives de l'époque. Alors quand on ne connaît pas vraiment le contexte historique et social du pays à cette période, il est plutôt difficile de comprendre les réflexions, pensées et discussions échangées entre les personnages.
J'ai eu l'impression d'avoir parfois affaire à des girouettes, qui changent sans arrêt d'avis, dont le fil de leurs pensées est décousu et pas facile à suivre, qui sont, en fait, de véritables paradoxes vivants. Ils sont plein de contradictions au fur et à mesure que leur opinion change, que leur avis évolue, en fonction de ce qu'ils vivent, de ce qui est dit autour d'eux, de ce qu'ils perçoivent comme étant leur façon de penser.

Il en découle une certaine difficulté à comprendre les personnages et à leur attribuer un caractère et une personnalité. Je ne savais jamais trop sur quel pied danser avec eux. Une fois, ils agissent de telle manière, tendant à indiquer qu'ils ont tel trait de caractère ; le chapitre suivant ils agissent en total contraste par rapport à une situation passée. Dans un premier temps, ces comportements changeants sont déconcertants et on se demande à quoi faut-il s'attendre pour le reste de l'histoire ; puis, on se rend compte que ces changements perpétuels dans leur façon de voir les choses sont en réalité ce qui fait le charme de l'histoire. On s'y habitue, on découvre des personnages en constante évolution, on en vient même à apprécier et anticiper les prochains « retournements de situation » dans leur caractère et leur perception de la société russe qui ne manqueront pas d'arriver.
Ces personnages sont également très émotifs (et donc par extension, émouvants). Les larmes leur viennent facilement aux yeux, ils sont souvent sujets à des émotions très fortes qui les terrassent et s'emparent de leur âme, ils sont passionnés dans leurs conversations et leurs sentiments. C'est assez surprenant au début quand on ne s'y attend pas, on se demande pourquoi et comment la passion peut-elle prendre aussi aisément contrôle de ce corps et lui faire ressortir toute une palette d'émotions en l'espace de quelques instants. Mais cela aussi fait partie du charme des personnages d'Anna Karénine. Ils sont vivants donc ils ressentent avec force toutes les sensations de la joie, du malheur, du bonheur et de la gêne.

Je me suis prise d'affection pour le personnage d'Alexis Alexandrovitch Karénine. J'ai eu l'impression que c'était un personnage incompris par bon nombre de personnes dans son entourage et que de ce fait, personne n'était en mesure de compatir avec sa situation à lui.
Il y a un fossé d'incompréhension entre lui et sa femme, Anna. Cette dernière ne voit pas et ne comprend pas la tendresse qu'il lui porte et l'estime qu'il a pour elle. J'ai vraiment eu la sensation qu'il l'aimait beaucoup même s'il avait du mal à le lui montrer. C'est un amour viscéral mais qui semble inconvenant à montrer.

J'avoue que mon affection pour le mari d'Anna s'explique peut-être par le fait que je n'ai pas aimé le personnage de la jeune femme. Je lui reconnais certaines qualités, comme son courage pour afficher clairement qu'elle ne croit qu'en l'amour véritable, sa beauté et la capacité qu'elle a de s'en servir à bon escient, son amour inconditionnel pour son fils, son apparente indifférence pour les rumeurs et remarques faites sur son compte mais aussi l'assurance dont elle fait preuve pour ne pas vivre cacher ; néanmoins, son personnage m'a profondément agacée pour son inconstance et son apitoiement sur elle-même. Tout au long de ma lecture, elle m'a laissé avec un sentiment de perplexité et d'indécision. C'est une personne passionnée mais qui, au début, a bien du mal à savoir ce qu'elle veut réellement. Elle dit clairement être en train de mourir à petit feu auprès de son mari mais lorsque, enfin, elle a la possibilité de jouir d'une totale liberté, elle n'a plus le courage d'exprimer ses souhaits. Elle méprise son mari et tout en lui la rebute, pourtant leur situation reste inchangée pendant très longtemps, aucun des deux ne faisant la démarche qui leur permettrait d'arranger la situation.

Les quatre-vingt-dix dernières pages furent extrêmement pénibles et me semblèrent sans fin. Je ne supportais vraiment plus le personnage d'Anna, qui me paraissait n'être jamais satisfaite de rien. Elle cherchait la querelle même quand elle n'avait pas lieu d'être. Je l'ai trouvée très égoïste. Elle voulait tout avoir (son fils, l'amour véritable de Vronski, son propre bonheur absolu, une vie en société animée et amicale, la jeunesse et beauté éternelle) sans prendre en compte les gens qui l'entouraient. Ses sautes d'humeur devenaient invivables. Sa situation était peut-être difficile mais elle ne faisait rien pour l'arranger et préférait se torturer mentalement encore et encore, en ressassant de mauvaises choses et en ayant de mauvaises intentions. Je n'ai plus réussi à apprécier le personnage, tout en elle m'énervait.

Un aspect du livre que j'ai beaucoup apprécié, il s'agit des différentes histoires (celle de Dolly, de Lévine, de Stépan, de Serge, de Karénine) en parallèle de celle d'Anna. J'ai beaucoup aimé suivre les mésaventures de Lévine, de son amour pour Kitty, de sa vie à la campagne tellement différente de l'excitation permanente de la ville, de ses nombreuses cogitations. C'est un individu considéré comme bizarre parce qu'il a souvent un avis divergeant, parce qu'il a du mal à exprimer clairement ses idées et parce qu'il s'empêtre dans des détails dont ses interlocuteurs n'ont que faire. Ces caractéristiques ne le rendent que plus attachant. J'ai pris vraiment beaucoup de plaisir à le suivre.

En conclusion, Anna Karénine est un roman très complet et fourni, qu'on prend le temps d'apprécier. Je n'ai, personnellement, pas aimé le personnage d'Anna qui m'agaçait chaque page un peu plus ; ainsi, je suis bien contente qu'il y ait eu de nombreux autres personnages plus intéressants, plus émouvants et plus vivants pour compenser cette irritation. Bien que les longs discours et pensées changeants des personnages soient déstabilisants au premier abord, ils sont le coeur même des personnages russes : évolutifs, vivants, passionnés, intelligents. J'ai beaucoup aimé cette lecture, lente mais plaisante. Pour une première expérience avec un auteur russe, j'en suis vraiment contente.
Aunbrey
7
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le 10 sept. 2013

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Aunbrey

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