A voile et à vapeur est une anthologie éditée par les éditions Voy'[el] qui a pour thème l’évocation de l’homosexualité et/ou la bisexualité dans un monde de fiction rétro-futuriste. Composée de 10 nouvelles aux longueurs variables, force est de constater qu’elle touche assez juste et propose une qualité certaine et une diversité dans les styles qu’on ne peut qu’applaudir. Le seul reproche que j’ai à lui faire réside finalement dans le fait que la plupart des textes sélectionnés (quoique de qualité, entendons-nous bien) sont finalement assez classiques voire attendus, et que seuls trois d’entre eux se détachent réellement au final.

Voici plus précisément ce que j’ai pensé de chaque texte, pris individuellement :

-Louis Geneviève de Beaumont de Tonnerre (Anthony Boulanger)
Ce texte ci fait parti des trois petites pépites que j’ai déjà évoquées. Si je dois admettre avoir eu un mauvais a priori à cause du protagoniste du texte (Le Chevalier d’Eon) que je considérais comme étant finalement un choix un peu facile, l’histoire m’a vite prouvé que je me trompais. Anthony Boulanger évite de tomber dans les clichés habituels qui nimbent un peu ce personnage atypique et préfère se concentrer sur une bonne petite histoire d’espionnage. Surtout, il brosse un univers extrêmement complet et cohérent en finalement bien peu de pages. Cette nouvelle explore beaucoup de concepts différents et est donc particulièrement riche. Vous l’aurez compris, je l’ai vraiment aimé.

-Dans les bras d’Orion (Céline Etcheberry)
Pas de chance, le texte précédent était une pointure, celui-ci est nettement plus décevant. Quoique mettant en place quelques concepts intéressants (un automate n’ayant pas conscience de sa condition, une ville volante, une folie amoureuse destructrice), le texte ne parvient jamais réellement à décoller et se révèle assez vite confus dès l’apparition de l’antagoniste. Cette confusion aurait pu créer un style si, en parallèle, l’auteure n’avait pas essayé d’expliquer / rationnaliser toute l’intrigue, ce qui fait qu’au final on ne sait jamais trop où se placer, et on a du mal à comprendre l’univers où on se trouve. Dommage, car niveau prose, c’était cependant très joli et on sent quand même une vraie maîtrise derrière.

-Les Mécanismes de l’Errance (Alex Barlow)
Ce texte est un peu « l’Inception » de l’anthologie, puisqu’il a la bonne idée de raconter une histoire dans l’histoire ! Très sympathique (et encore une fois remarquablement bien écrit), il arrive à brosser un univers dans la veine des Aventures de Jerry Cornelius / de la Planète au Trésor qui ne manque pas de charme. Encore une fois je l’ai trouvé un peu trop « classique » et prévisible pour vraiment le classer dans la catégorie des très bons, mais il reste d’une remarquable qualité et se lit particulièrement facilement. Il reste finalement très fidèle à sa structure : un conte destiné avant tout à divertir, et éventuellement à faire passer une petite morale. Et c’est un parti pris que je trouve assez malin !

-Poupée de Chiffon (Sophie Fischer)
Bien qu’il soit assez intéressant de suivre les « péripéties sentimentales » d’un vieil automate qui se meurt d’amour pour l’homme qui l’a remis en état de marche, Poupée de Chiffon est, encore une fois, un texte finalement assez attendu et dont la fin n’a rien de bien surprenant. Ce ne serait pas un mal en soi si d’autres pistes de réflexion étaient abordées, mais hélas le texte décide de se focaliser sur son objectif principal sans jamais aller piocher sur les côtés. Il reste néanmoins bien écrit.

-Ceci n’est pas une Histoire de Tortue (Tesha Garisaki)
Très, TRES intéressant ! Ce texte, qui s’intéresse au changement de sexe, est très bien mené et aborde beaucoup de pistes de réflexions passionnantes sans jamais s’emmêler les pinceaux. Les personnages sont particulièrement bien définis, et l’Univers quoiqu’anecdotique nous donne juste ce qu’il faut pour réussir à se visualiser un environnement minimal. Très bon point : la fin, qui me semble très adaptée et évite de tomber dans l’écueil du « happy » ending ou du « tragic » ending forcé.

-Une Histoire d’éléphants (Isaac Orengo)
Le premier texte de l’anthologie à quitter le vieux continent, destination l’Algérie ! Il propose l’univers particulièrement solide et savoureux d’une sorte de rétro-futur colonial, et emprunte intelligemment à Agatha Christie pour créer un héros détective assez sympa à suivre. J’aurais pour ma part préféré que le texte se concentre un peu plus sur l’enquête policière en elle-même au lieu de zapper cette partie (d’autant plus qu’elle aurait pu le faire en écourtant d’autres passages que je pense moins nécessaires) mais bon, le parti pris de l’auteur se tient aussi.

-Du vent dans les voiles (Jean-Basile Boutak)
Cette nouvelle-là à un concept particulièrement malin, que je ne vous révèlerai pas pour ne pas vous gâcher la surprise ! Disons qu’elle renverse joyeusement les codes, et pour le coup je dois admettre qu’elle était particulièrement inattendue. Pour être parfaite, il lui aurait sans doute fallu peut-être une écriture un brin plus soignée : mais bon, je pinaille bien entendu, ça reste remarquablement bien fait, et c’est particulièrement fun. Je la compte dans les trois perles que j’ai évoquées plus haut.

-Histoire Naturelle (Angou Levant)
Sans doute ma plus grosse déception. Pas parce que le texte est mauvais en soi, mais parce qu’il a et de loin le concept le plus intéressant de l’anthologie –que je ne vais une fois encore pas vous révéler pour garder la surprise. Or, il l’exploite finalement assez mal ! Outre la difficulté de suivre l’histoire via un héros qui m’a semblé finalement assez antipathique, on a l’impression étrange que les personnages ne se posent jamais les bonnes questions et on a donc du mal à trouver crédibles la plupart de leurs interactions. Dommage, car c’était franchement malin à la base…

-Le Pudding Bavarois (Jarod Felten)
Il restait une perle à définir : ne cherchez plus, la voilà ! Seule nouvelle à faire le pari d’une forme épistolaire, cette correspondance entre deux exilés britanniques qui se retrouvent en Bavière est passionnante. Très élégamment écrite, elle dispose d’un univers étonnamment solide et brasse un nombre de concepts juste dingue. On sent qu’il y a vraiment eu un énorme travail en amont pour réfléchir aux idées à faire passer, et le résultat est parfaitement à la hauteur. C’est, je pense, le texte de l’anthologie qui est le plus riche, ce qui fait qu’il est par conséquent un peu compact.

-Suivez cette Cathédrale ! (Gareth Owens)
C’est à Gareth Owens que revient la tâche de fermer cette anthologie, avec un texte qui, je dois l’admettre, m’a laissé un peu de marbre. Si l’idée de placer l’aventure en Russie et de faire référence à Lénine et à une éventuellement révolution à venir est bonne, le texte n’est finalement qu’une succession de combats peu intéressants et rate même, je trouve, le thème principal de l’anthologie. Le résultat est plus une ébauche de concept qu’autre chose et gagnerait à être développé davantage. Ceci étant une fois encore, c’est loin d’être honteux, et c’est assez bien écrit (et traduit, puisque l’original était en anglais).
Sigynn
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le 19 déc. 2014

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