Jean ANOUILH reprend la structure de la pièce éponyme de Sophocle avec un petit nombre de personnages (sans le devin Tirésias et Eurydice, la femme de Créon et en ajoutant la nourrice d'Antigone) mais en 133 pages au lieu de 46 (même si la taille des caractères est plus petite dans l’édition de Sophocle). La modernisation apportée par Anouilh affadit la pièce : le texte, éloigné de la beauté et de la sobriété de la version antique, évoque plus la « sitcom » (qui n’existait pas en 1944), croyant se rapprocher du public en adoptant son langage, démagogie, espérons, involontaire. L’auteur prend le parti de la distanciation vis-à-vis de son sujet en glosant sur l’essence de la tragédie : « Maintenant, le ressort est bandé. Cela n’a plus qu’à se dérouler tout seul. C’est cela qui est commode dans la tragédie. […] Et puis, surtout, c’est reposant, la tragédie, parce qu’on sait qu’il n’y a plus d’espoir, le sale espoir ». Dans sa version, Anouilh rend « sympathique » Créon, qui cherche à être accommodant vis-à-vis de sa nièce Antigone, moins prisonnier de son rôle de chef de la cité de Thèbes, même si il est « résolu de s’employer tout simplement à rendre l’ordre de ce monde un peu moins absurde ». Il connait la vie, sa fragilité et comment apprécier chaque moment : « La vie n’est pas ce que tu crois. C’est une eau que les jeunes gens laissent couler sans le savoir, entre leurs doigts ouverts. […] La vie, c’est un livre qu’on aime, c’est un enfant qui joue à vos pieds, un outil qu’on tient bien dans sa main, un banc pour se reposer le soir devant sa maison ». C’est Antigone qui s’entête, sans raison apparente, un peu comme une enfant qui dit non par principe à ses parents, vraisemblablement par résurgence de son enfance mal vécue : « Comprendre… Vous n’avez que ce mot-là dans la bouche, tous, depuis que je suis toute petite. […] Je ne veux pas comprendre. C’est bon pour vous. Moi je suis là pour autre chose que pour comprendre. Je suis là pour vous dire non et pour mourir ». Par égoïsme, par orgueil, elle est prête à sacrifier sa vie et son amour pour son fiancé, Hémon, fils de Créon, se croyant libre en acculant Créon à la faire mourir. « Elle a préféré sa folie et la mort » dit Créon à son fils. Une pièce à ne pas lire après celle de Sophocle, tant elle ne soutient pas la comparaison et dont la postérité sera bien moindre. Elle a surtout un intérêt historique, en étant écrite pendant l’occupation nazie, même si Jean Anouilh se garde de tout manichéisme, allant au-delà de la lecture simpliste, Antigone = Résistance et Créon = Pétain.