Ah, Vaneigem. Que j'aime l'ardeur de sa plume, parfois grandiloquente mais si attrayante.
Raoul Vaneigem, auteur belge, était membre de l'Internationale Situationniste de 1961 à 1970 ; c'est en m'intéressant à ce mouvement que j'ai souhaité le lire.


J'ai dévoré Traité de savoir vivre à l'usage des jeunes générations (1967) en particulier la deuxième partie, plus dense théoriquement et dont on sent poindre l'influence de Henri Lefebvre. Il est indéniable que cet ouvrage a eu une influence sur le mouvement de Mai 68, sans doute davantage que La société du spectacle (1967) de Debord qui a connu surtout un succès retentissant lors de sa ré-édition avec Gallimard.
J'ai aussi lu Entre deuil du monde et la joie de vivre (2008) qui évoque les déboires de sa vie ainsi que celle de l'Internationale Situationniste. Si l'arrogance de Vaneigem et ses réflexions assez bancales sur la société de consommation ont pu m'exaspérer, j'ai été sensible à sa volonté de détruire ce monde pour un autre afin de vivre, et non survivre.


Vivre et non survivre, voici, finalement, ce qui compose le principal enjeu de la pensée de Vaneigem ; cette préoccupation se retrouve ainsi dans "Appel à la vie contre la tyrannie étatique et marchande" (2019).


Ce bref "essai" comporte tous les "ingrédients" qui composent le style de Vaneigem : exaltation, références historiques et appel à un hédonisme, à un retour à la vie.
Un camarade m'eut dit que après Traité de savoir vivre, les ouvrages de Vaneigem se ressemblaient beaucoup ; je veux bien le croire, je n'ai rien appris de nouveau théoriquement parlant ici.


Vaneigem dépeint notre monde et envisage celui d'après. J'ai été assez agréablement surprise qu'un soixante-huitard comme lui - enfin, il me donne cette impression - insiste autant sur le féminisme et l'anti racisme.
Certains passages incisifs comme par exemple, lorsqu'il déclare que "l'identification de la vie à la survie est l'un des mensonges fondateurs de la civilisation marchande" et que par conséquent, "la survie est la vie dénaturée". (on pourrait même dire, la vie nue, pour faire référence à certain Agamben). Il s'avère aussi pertinent quand il dénonce l'ouvriérisme forcené.
Pour enfin vivre, Vaneigem invoque l'autonomie et la gratuité. Or, on s'attendrait à ce qu'il prenne pour exemple les années 70-80 en Italie, où de nombreux squats et d'opérations d'auto-réduction voire de gratuité ont eu lieu. Ce serait pertinent, vu que cette période n'était pas si lointaine historiquement. Mais non, Vaneigem choisit d'évoquer l'autogestion pendant la guerre d'Espagne en 1936... Peut-être choisit-il ceci parce que l'Espagne n'était encore tout à fait noyée dans le capitalisme et que Vaneigem semble vouloir une sorte de retour en arrière - intenable, selon moi -.
Mais soit, ces références historiques sont peut-être pertinentes pour illustrer le propos de Vaneigem, encore faudrait-il qu'il les maîtrise !
A l'entendre, les communes autogérées pendant la guerre d'Espagne avaient aboli l'argent et avaient remis en cause certaines moeurs, un certain sexisme. Or, rien qu'une lecture avertie de Autogestion et Anarcho-syndicalisme : analyse critique sur l'Espagne 1931 - 1990 (1999) de Frank Mintz (Mintz, qui est, soit dit en passant, une référence qui me semble incontournable lorsqu'on souhaite s'intéresser à l'autogestion en Espagne) montre très bien que certaines communes n'avaient pas aboli l'argent, et même maintenaient des écarts de salaire. Ensuite, le rôle des femmes était très souvent en retrait. Pour évoquer des changements de moeurs, un retour à la vie, parler de l'autonomie désirante aurait été de loin beaucoup plus pertinent, je le maintiens.


Je passe sur ses réflexions approximatives sur les "casseurs", qu'il critique en semblant trouver vain la violence : selon lui "la gratuité est une arme qui ne tue pas", qu'il faudrait privilégier à celle de l'émeute. Il appelle donc à ne pas payer d'impôts, de taxes etc.
Bon. Ne pas payer son loyer hors trêve hivernale, c'est quand même s'exposer à être viré de son domicile. D'ailleurs, Vaneigem parle d'abord de ne pas payer d'impôts, mais bon, pour cela, il faudrait déjà être imposable. Il n'évoque pas ou peu les enjeux du logement ou de la nourriture gratuite pour tous (à travers des cantines, des autoréductions etc) alors que cela est l'ESSENTIEL.
On dirait qu'il brandit la gratuité comme un concept vague sans proposer des moyens d'action concrets ou au moins rappeler des expériences passées, qui, si possible, ne datent pas de près d'un siècle.


Pourtant, je "recommande" cet ouvrage car malgré ses approximations, donne une forme d'élan en invitant à considérer la gratuité, à comprendre la distinction entre vie et survie.

Blackfly
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le 9 août 2020

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