La vieille Babylone est devenue Babyland

Je ne vais pas vous résumer le livre, ni vous dire ce que j'en pense, mais plutôt vous compter l'histoire d'une certaine Anne-Quinoa (ce qui revient au même), de mon cru.


Anne-Quinoa est une femme prévoyante et follement enthousiaste. Sur son smartphone issu du commerce équitable, elle montre à son amant du moment l’Apps de la Ville de Paris où sont recensées toutes les festivités à venir. Le voilà prévenu, leurs journées et leurs nuits seront festives ou ne seront pas : Fête de la musique, Nuit Blanche, Gay pride, Paris plage, Techno parade, La Nuit des musées, Fête du cinéma, Le printemps des rues, We Love Green.. ses doigts virevoltent sur l’écran, il y en a des pages, et pour tous les goûts.


La fête était pour les ancêtres d’Anne-Quinoa une rupture dans le continuum de la vie quotidienne, elle est désormais le tout de la vie.


Anne-Quinoa est un « être non problématique », une Homo festivus n’ayant d’autre philosophie que le tout positif. Sa mutation anthropologique est achevée. La négativité qui a fait l’Histoire n’existe plus. Anne-Quinoa a définitivement remplacé le monde par l’éloge du monde, elle vit ici et maintenant, après l’histoire. Le Mal l’ulcère et même la malchance, ce vieux truc des anciennes civilisations, est désormais à la casse et remplacée par le dysfonctionnement, dont il faut dénicher les causes et traquer les acteurs. Entre deux fêtes Anne-Quinoa ne s’en laisse pas compter.


Elle brandit des valeurs exclusivement positives.


Du coin de l’œil, l’amant observe sans broncher cet enthousiasme de tous les instants. Il repense à ces deux hommes pris en otage lors de leur voyage de noces au Bénin et libérés au prix de la vie de deux soldats français. Puis lui revient l'élégie de Philippe Muray, Tombeau pour une touriste innocence :


"Elle était bête et triste et crédule et confiante


Elle n'avait du monde qu'une vision rassurante


Elle se figurait que dans toutes les régions


Règne le sacro-saint principe de précaution


Elle avait découvert le marketing éthique


La joie de proposer des cadeaux atypiques


Fabriqués dans les règles de l'art humanitaire


Et selon les valeurs les plus égalitaires


Sans vouloir devenir une vraie théoricienne


Elle savait maintenant qu'on peut acheter plus juste


Et que l'on doit avoir une approche citoyenne


De tout ce qui se vend et surtout se déguste


Dans le métro souvent elle lisait Coelho


Ou bien encore Pennac et puis Christine Angot


Elle les trouvait violents étranges et dérangeants


Brutalement provoquants simplement émouvants


Elle disait qu'il fallait réinventer la vie


Que c'était le devoir du siècle commençant


Après toutes ces horreurs du siècle finissant


Là-dedans elle s'était déjà bien investie


Faute de posséder quelque part un lopin


Elle s'était sur le Web fait son cybergarden


Rempli de fleurs sauvages embaumé de pollen


Elle était cyberconne et elle votait Jospin


L'agence Operator de l'avenue du Maine


Proposait des circuits vraiment époustouflants


Elle en avait relevé près d'une quarantaine


Qui lui apparaissaient plus que galvanisants


Elle est morte un matin sur l'île de Tralâlâ


Des mains d'un isIamiste anciennement franciscain


Prétendu insurgé et supposé mutin


Qui la viola deux fois puis la décapita


C'était une touriste qui se voulait rebelle


Lui était terroriste et se rêvait touriste


Et tous les deux étaient des altermondialistes


Leurs différences même n'étaient que virtuelles."

-Valmont-
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le 19 mai 2019

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-Valmont-

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