Je pourrais m’arrêter là mais je suis trop bavarde pour ça. Je n’attendais RIEN de ce roman, Le titre ne m’attirait pas vraiment, pas plus que la couverture blanche de chez Minuit. J’avais pas vraiment envie de le lire, mais bon on me l’avait conseillé… Et puis c’était un coup de coeur de mon libraire, alors je me suis dit que j’allais m’y mettre..
ET WAW.
C’est bon, ça fait du bien que la littérature contemporaine s’élève comme ça !
On suit un meurtrier (no spoil c’est dans les premières pages) qui raconte au juge pourquoi il a tué un homme. Il nous raconte toute sa région : comment l’économie avance, comment les gens sont broyés… Il parle doucement, franchement, honnêtement, de ces gens du quotidien : les pêcheurs, les commerçants, les ouvriers… Nombre d’entre vous connaissent l’histoire, je vais passer en vitesse.
Ce roman a gagné mon coeur en parlant du Finistère nord : on est dans le Glaz, le bleu de la mer, le gris partout, le sel et le vent fou. Les bateaux qui claquent sur les quais et les chantiers qui ferment., ici l’arsenal de Brest
Les gens, on les reconnait, ils pourraient être mes oncles, mes cousins. Erwan aurait pu être mon frère. J’étais comme un poisson dans l’eau dans ce monde qui est si proche du mien. Tout le livre est composé « comme le protagoniste parle », on retrouve son ton un peu bourru, terre à terre et pas toujours très raffiné, ses élans poétiques d’observateur de la côte, d’amoureux de son rocher. Ce phrasé nous accompagne à merveille dans cette « embrouille », parce qu’au final notre héros il « s’est fait avoir en beauté ».
Viel est parfaitement éloquent : la tension est palpable, on suit cette vérité, la force de ce « témoignage », j’ai été scotchée ! La parole s’enroule autour des liens complexes qui unissent tout ce petit monde. Le tout est tellement humain ! Ca frappe juste, ça touche où ça fait mal, nous laissant sonné comme après une course en plein vent.
L’incipit sonne un peu comme l’Etranger de Camus, tout semble être arrivé « parce que », mais la suite détricote l’absurde de ce destin brisé : personne n’est mort par hasard. Personne n’a agi à cause du temps ou par désoeuvrement. J’aime follement ce retournement : l’absurde de l’existence est vaincu. On s’oriente sur une réflexion sur le droit : à quel moment l’individu peut se faire justice ?
Quand (et si) les lois n’empêchent pas quelqu’un de pourrir la vie d’une communauté, que faire ?
On a bien sur la version du meurtrier, mais on a également la réponse de son fils, et celle du maire, toutes trois très différentes, mais toutes extrêmes. Comment ne pas penser à l’Agamemnon d’Eschyle ? Ici aussi un père est pris dans la tourmente entre bien commun et survie familiale. J’adore ces textes ludiques nous offrant de belles réflexions de droit commun.
Mal/heureusement on sait la vérité de ces situations : ces villages appauvris par la fermeture de chantiers qui deviennent le jouet de projets « ambitieux » mais pas toujours très honnêtement menés… Qu’un appel d’une telle force se cache dans les propos d’un homme banal c’est un tour de force ! Notre belle Bretagne victime du chômage nous offre toujours des beaux humains.
C’est toujours ça.
« C’est toujours une certaine forme d’ignorance qui produit des pensées neuves. » Tanguy Viel
Ce roman est paru chez Minuit.
D’ailleurs ce livre a reçu le Grand Prix RTL-Lire 2017, c’est pas pour rien ????