Il y a comme une sorte de charme étrange qui s'empare de vous quand vous commencez à lire les enquêtes du Juge Ti de Van Gulik, charme qui a pour conséquence qu'ayant débuté la lecture par quelque hasard, vous serez fort probablement entrainé irrésistiblement à lire l'ensemble des 17 volumes contant ses aventures. Et puis à regretter qu'il n'y en ait point d'autres encore.
Robert Van Gulik, qui fut ambassadeur de la Hollande en de nombreux pays d'orient et voyageur infatigable n'est certes pas un auteur comme les autres; il n'avait après tout aucune "carrière" à réaliser en ce domaine. Ce qui lui donna une sorte de liberté de ton et de désintéressement que seule guida son insatiable curiosité culturelle et son humanité. Avec cette sorte d'élégance et de distanciation qui lui permit de dire ainsi " Non, rien ne demeurera. Ni nos noms, qui deviendront des sons ténus, et n'évoqueront au mieux, pour ceux qui viendront après nous, qu'une personnalité qui ne fut pas la nôtre. Ni ce que nous avons dit ou fait, car dès que les mots sont dits, et les actes accomplis, ils deviennent pour nous étrangers, glacés et lointains; ils suivent la voie qui leur est propre, sans se retourner un instant pour nous jeter un regard."
Mais Van Gulik ne fut pas non plus indifférent à son temps; ce qui donne aussi à ses romans cette sorte de force et de justesse qui nous permet, comme ici dans "Assassins et poètes" de trouver ce genre de page :
" La poétesse leva sa coupe et la tourna dans ses mains quelques instants. Puis elle déclama d'une voix chaude et sonore :
"Le vin ambré est chaud dans les coupes d'or
Les rôts et venaisons exhalent leur parfum
Dans la vaisselle d'argent
Et les chandelles rouges brillent haut et clair."
Le magistrat Lo hocha la tête en souriant de satisfaction mais le juge remarqua la lueur de gêne qui brillait dans les gros yeux du Fossoyeur rivés sur la poétesse.
Celle-ci récita alors le couplet parallèle :
"Mais le vin est la sueur et le sang des pauvres,
Les rôts et les venaisons leur chair et leurs os.
Et les chandelles rouges
Répandent leurs larmes de désespoir."
Il se fit soudain un silence consterné. Le poète de cour, cramoisi, jeta à la poétesse un regard courroucé.
- Vous faites allusion à des difficultés passagères, Yo-lan, et que l'on ne rencontre que dans les régions touchées par les inondations ou la sécheresse, dit-il en maîtrisant difficilement son émotion.
- On les rencontre partout et toujours. Et vous le savez ! répliqua-t-elle sèchement. "
Tiens donc, les choses auraient donc si peu changées depuis l'époque du Juge Ti.
steka
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Les romans que je conseille souvent à mes amis et La culture et la domination

Créée

le 7 août 2013

Critique lue 325 fois

11 j'aime

steka

Écrit par

Critique lue 325 fois

11

D'autres avis sur Assassins et poètes

Assassins et poètes
Whale
8

Critique de Assassins et poètes par Whale

Toujours aussi passionnant, Van Gulik sait comment charmer ses lecteurs par ses histoires policier de la Chine du Moyen Âge.Cette fois-ci, le juge Ti devra redoubler d'efforts afin de résoudre deux...

le 4 oct. 2023

Du même critique

La Société du Spectacle
steka
10

Du Devenir marchandise

Lire « La société du spectacle » n'est pas chose aisée. Non pas que ce livre soit particulièrement difficile en lui-même, mais parce que cette difficulté tient à la nature même de son objet. En...

le 25 nov. 2011

95 j'aime

17

Le Prince
steka
9

Machiavélique ?

"Je prétends que ceux qui condamnent les troubles advenus entre les nobles et la plèbe blâment ce qui fut la cause première de la liberté de Rome : ils accordent plus d’importance aux rumeurs et aux...

le 1 déc. 2011

83 j'aime

30

Discours de la servitude volontaire
steka
10

De notre servitude volontaire

Ce livre fut écrit il y a cinq siècles. Pourtant, chez tous ceux pour qui le mot Liberté a encore du sens et qui accessoirement savent lire, son actualité s'impose cruellement. Car si la domination a...

le 26 nov. 2011

65 j'aime

2