Marc Dugain, en quelque sorte, nous avait "déjà fait le coup" du faux manuscrit, la plongée en esprit étranger et l'appropriation de l'histoire pour mieux la romancer.
C'était alors qu'il racontait l'histoire de J.Edgar Hoover, dans "La malédiction d'Edgar".
Pourtant dans Avenue des Géants, contrairement à son récit sur le charismatique leader du FBI où tout était, sinon factuel, ancré dans une réalité historique et parcouru de noms authentiques, il reprend ici le curieux réflexe de modifier les patronymes qui ont inspiré son roman, ainsi qu'il l'avait fait dans "Une exécution ordinaire" où il n'y avait guère que Staline présenté sous son vrai nom.
Pourquoi cette démarche ? A ce que l'on en devine, il y a autant de libertés prises avec le destin de Hoover qu'avec celui du tueur en série qui a inspiré cet Al Kenner au faux-nom proche de celui de son modèle, tout comme l'auteur cachait celui de Poutine dont on reconnaissait sans peine, par sa fonction et son intervention dans la crise racontée, le portrait dressé dans Une exécution ordinaire.
Et puis, après tout, il n'y a pas de publicité mensongère. Marc Dugain annonce bien chacune de ses oeuvres comme des romans et non des essais historiques, même si une recherche approfondie préside à son travail. Il ne fait pas dans le journalisme, mais dans l'immersion romanesque.
Alors pourquoi à nouveau cet entre-deux ?
Bref, ceci n'était qu'une parenthèse d'étonnement.
Le roman lui-même se lit assez vite une fois qu'on rentre dans l'histoire et qu'on perçoit toute l'étendue psychologique du propos, ce qui est ici une bonne chose.
La force du récit, qui eût pu être au choix lénifiant ou franchement repoussant selon sa sensibilité de lecteur, se situe, au-delà de la situation principale, dans les arrières-plans, ce portrait d'époque fouillé, cet air du temps et les contradictions philosophiques d'une nation déchirée entre culpabilité, fierté, agressivité, pacifisme, conservatisme, avant-gardisme, goût de liberté et rêve primaire de confort matériel.
Le roman puise aussi une grande richesse dans sa profondeur de l'étude des névroses, des traumatismes, de la perversité, et son obsession cliniquement décortiquée pour le "passage à l'acte".
Cependant, c'est presque un contrepied. On comprend vite, même si l'on ne sait pas exactement ce qu'on s'apprête à lire, qu'on arpente l'esprit d'un tueur. Et de meurtres, si ce n'est ce double du début qui lance le personnage principal sur son chemin fatal, on n'en verra guère.
Et c'est cela qui est réellement captivant. C'est presque un détournement du fait-divers terrifiant, innommable. La menace est là, sourde, diffuse, angoissante. Et pourtant pas éclatante, ni démontrée. Mais nous demeurons tenus malgré tout au récit des événements, conscients que d'autres choses se passent.
Ce n'est nullement voyeuriste, ni complaisant. C'est un regard qui se veut sincère sur un esprit qu'on a laminé dès l'enfance, et qui, à mon sens, parvient à l'être.
Oneiro
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le 25 mars 2013

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