La Bible
6.7
La Bible

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Allez, un avis argumenté, juste une fois

Ouais, je sais, je ne comptais pas le faire mais voilà: il y a tellement de commentaires ironiques, haineux ou tout simplement injustifiés sur la Bible que je me suis dit que le point de vue d'un gars qui l'a entièrement lue, sans a priori, ne serait peut-être pas superflu. Ouais, je parle de moi...


Vous vous demandez certainement comment un type normal peut avoir envie de lire ce pavé indigeste à notre époque ? Tout d'abord, sachez que je ne suis pas normal. Ensuite je dirais qu'il y a trois raisons:


1) Parce que je fais partie d'une catégorie de gens qui n'arrêtent pas de se prendre la tête sur le sens de la vie et qui cherchent des réponses un peu partout, dans toutes les philosophies/religions/mythologies encore accessibles. Difficile dans ce cas d'éviter la Bible...


2) Par curiosité intellectuelle. Comment prétendre connaître réellement l'Histoire de l'Humanité sans prendre connaissance des écrits qui ont nourri spirituellement et socialement l'Occident et une partie de l'Orient pendant des millénaires ? Pour faire simple, l'Europe telle qu'elle commença à germer au Moyen-âge n'aurait tout simplement pas existé sans la religion comme facteur de rassemblement.


3) Par défi. Ça m'a quand même pris presque deux ans, nom de Dieu !


Les circonstances étant établies, passons à l'essentiel: est-ce que ça valait le coup ? Clairement oui.


Alors d'accord, c'est parfois franchement chiant. Y'a plein de parties dans la Bible qui sont une véritable torture: je veux parler de l'énumération. C'est tout de même un fameux tic de l'Antiquité ça, mine de rien. Ça me fait penser aux "chapitres" les plus laborieux de l'Iliade d'Homère. La première fois que ça arrive, c'est lorsqu'on nous donne toutes les indications nécessaires pour construire un "temple portatif", très utile pour recueillir l'Arche d'Alliance quand on se la trimbale 40 ans dans le Désert. Il y a aussi toutes ces lois, indispensables pour structurer la vie des Hébreux de jadis. C'est long et presque désespérant. N'oublions pas les passages qui se répètent (Chroniques/Rois) et d'autres qui tournent en rond avec les mêmes idées (généralement le fait qu'Israël s'est détourné de YHWH, répété 1000 fois dans les Psaumes).


Et puis, il y a ces perles, qui justifient à elles seules la lecture qu'on s'impose. Le Livre de Job est une merveilleuse révolte contre Dieu, presque inespérée dans un Livre Saint, écrite dans un style d'une poésie saisissante ("Pareil à la fleur, l'homme s'épanouit et se fane, il s'efface comme une ombre.", "Où étais-tu lorsque je posais les fondements de la Terre ?"). Un souffle épique traversé par une interrogation philosophique d'une grande maturité. L'Ecclésiaste est un autre chef d'oeuvre de la Bible, étonnamment éloigné des préoccupations divines. L'auteur, soi-disant le Roi Salomon, s'interroge sur le sens qu'un Homme peut donner à une vie finalement si courte, où tous nos efforts semblent condamnés à disparaître sous la poussière des siècles. Tout le monde connaît son fameux "Vanité des vanités, tout est vanité." Un livre aussi beau qu'émouvant. Il y aurait encore à parler du Cantique des cantiques, un poème érotique certes très soft mais assez surprenant vu le contexte ou encore le Livre des Proverbes, à la recherche d'une sagesse humaine plutôt que divine...


Autres critiques souvent formulées, l'Ancien Testament serait bourré de contradictions et serait souvent violent, parfois abjecte. C'est vrai aussi. Mais lire la Bible sans connaissance du contexte historique dans lequel elle fut rédigée est tout simplement stupide, voire dangereux. Elle fut écrite par des dizaines d'auteurs différents, dont les plus anciens vivaient une époque si psychiquement et socialement différente de la nôtre qu'il est ridicule d'y espérer trouver une éthique moderne, en tout cas en dehors des Évangiles. Oui, les homosexuels sont condamnés à mort, à une époque où la fécondité était une question de survie pour tous les peuples et peut-être plus encore pour le peuple hébreux qui n'a jamais été vraiment porteur d'une grande civilisation matérielle (même à son âge d'or davidique). Ça n'enlève bien sûr rien à l'horreur de la chose mais elle l'explique aisément, à 2500 ans de distance. Même chose pour le statut peu enviable de la femme, propriété de l'homme, comme dans la majorité des pays de l'époque. Et oui, il y a aussi beaucoup d'appels à la violence, plutôt normaux au vu de l'ère d'arides conquêtes dont il est ici question. Ces contingences historiques sont bien sûr à bannir de toute pensée moderne et humaniste, mais restent nécessaires pour nous renseigner sur l'évolution des moeurs de l'Antiquité.


Ce qui est passionnant à suivre, à travers l'histoire du peuple hébreux que raconte la Bible, c'est l'évolution de l'idée de Dieu que se font les Hommes à travers les siècles. D'un Dieu vengeur et jaloux, on passe petit à petit à un Dieu aimant et réconfortant, alors même qu'Il s'éloigne de l'être humain, comme pour le laisser à son libre-arbitre: d'abord à ses côtés dans le Jardin d'Eden, puis physiquement présent via l'Arche d'Alliance et quelques apparitions, il finit par ne plus s'exprimer que par la bouche des Prophètes, voix lointaine qui tente de guider l'Homme vers la Paix. Nous assistons donc à un affinement graduel de la conception de Dieu, qui demande peu à peu à moins se préoccuper des rites extérieurs pour davantage vivre sa foi dans la solitude de son coeur. L'Ancien Testament, la Bible hébraïque, c'est un apprentissage progressif de la spiritualité en partant d'un cauchemar initial (la chute de l'Homme). Une réflexion qui se construit tout au long des siècles, sous nos yeux, et qui n'évite donc pas les hésitations et autres contradictions.


Cette réflexion épique est pourtant incomplète telle quelle. Les Juifs l'ont poursuivie à travers une littérature foisonnante et bien ultérieure: Talmud, Midrash, Kabbale... Les Chrétiens, eux, l'ont complétée avec le Nouveau Testament aux idées vraiment révolutionnaires (pour l'époque). Loin de rejeter l'ancienne loi, la Loi de Moïse, le Christ vient la compléter d'une façon qui frise la perfection, à travers une symbolique extrêmement travaillée (et retravaillée sans doute par les "témoins" qui racontèrent son histoire pour l'embellir au maximum). Ici, la religion est entièrement intériorisée, les rites d'antan sont devenus obsolètes. Jésus fait montre d'une sagesse peu égalable, non seulement dans sa manière d'appréhender son rapport au monde mais aussi dans sa façon d'éviter les pièges posés par ses ennemis (surtout les Pharisiens, bande de salauds !) qui cherchent sa mort. Car n'oublions pas que le Christianisme, c'est l'une des premières "révolutions" de l'humanité (avec le Bouddhisme, qui lui s'émancipait de l'Hindouisme). Malheureusement, ouais, l'histoire est répétée 4 fois, et la relative naïveté de l'ensemble, une fois de plus, n'est supportable que si l'on se place au niveau symbolique. Ma remarque ne nie bien sûr absolument pas la véracité historique de Jésus, certifiée par tous les historiens sérieux, mais met en garde contre un extrémisme toujours latent, malheureusement déjà mis en scène dans le Nouveau Testament dans la figure de Saint Etienne, premier martyr de l'Église.


La lecture de la Bible aura donc été pour moi une expérience fascinante, parfois rebutante, parfois très gratifiante. Un retour à la Lettre permet de se rendre compte à quel point l'ostentation et la fermeture d'esprit dont le Vatican a parfois fait montre est en contradiction totale avec l'humilité et la pensée progressiste de sa doctrine initiale. Car, comme Jésus le dit lui-même: "L'Homme n'est pas fait pour la Loi. C'est la Loi qui est faite pour l'Homme."


NB: Lire la Bible sans indications étant l'erreur ultime à ne pas commettre, je vous propose ma version, peut-être la meilleure: La Bible de Jérusalem, Éditions Cerf. Ses annotations très détaillées sur la théologie et le contexte socio-culturel biblique vous rendront la lecture bien plus constructive tout en apportant un point de vue scientifique (explications linguistiques, historiques, archéologiques, etc.) qui complètera vos impressions.

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le 21 juin 2011

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Amrit

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