La couverture laissait pourtant prévoir l’entourloupe avec ce titre en gras sous forme d’injonction : « Candidats, Répondez ! » suivi plus bas du bandereau « Précis à l’usage des électeurs ». En période d’élection, au prix modeste de 18€, l’éternel conseiller Jacques Attali a décidé de s’adresser à la France entière afin de l’éclairer sur le choix à venir quant à l’élection présidentielle. Aux électeurs, donc, mais aussi aux candidats en personne. Autant ratisser large.


En 5 pages très exactement, l’astrologue Attali nous prédit l’avenir pour les 5 ans à venir (et pas plus, comme cela c’est raccord). Dans un maelström de catastrophes à venir mêlant l’accroissement de la population en Afrique, l’augmentation du pouvoir financier, l’augmentation des inégalités, les désordres écologiques, les renversements de régimes, la dispersion de l’idéal européen enfin bref un fatras d’événements décidément difficiles à pressentir pour un individu non éclairé, Jacques Attali pose le constat de départ : Ça va chier de partout et surtout en France !


En bon Nostradamus des temps moderne (celui qui aura donc survécu à la fin du monde à cette même fin d’année 2012), la méthode est infaillible : Jacques Attali a bel et bien prédit des attentats sur le sol français. Et puis ne soyons pas mauvaises langues car après tout il reste encore un peu plus de 6 mois avant de se taper tout le reste sur le coin de la gueule. Ne soyons pas de mauvaise foi non plus puisque Jacques Attali prédit également du positif comme des avancées dans les « nouvelles technologies de mise en réseau » qu’il associe à une « croissance potentielle de grande ampleur à même de libérer des centaines de millions de gens de la pauvreté ». C’est ce qu’on peut appeler aujourd’hui l’ubérisation de la société mais là ce n’est pas de bol car en 2012 Jacques il ne l’avait pas deviné aussi clairement que le reste. Enfin bon qui sait, en 2017 le monde peut encore sortir 100 millions de gens de la pauvreté grâce à cette avalanche d’auto-entrepreneurs en permanences connectés.


Assez moqué l’introduction et rentrons dans le dur du bouquin. Car cette fois Attali a décidé d’innover en nous épargnant ses conseils généralement de but en blanc pour l’avenir. Comme il l’écrit lui-même :



« Le but de ce livre n'est pas de présenter un programme, en
choisissant des réponses uniques à chaque question.
Il est d'aider les électeurs à comprendre les enjeux et à se faire leur propre opinion, puis à exiger des candidats qu'ils précisent leurs propres choix. »



Le cœur vaillant il met même le lecteur au défi :



« Qu'on ne cherche pas à deviner ma préférence, ni d'après l'ordre des réponses, ni par la longueur de chacune: j'ai essayé d'être aussi convaincant que possible dans l'énoncé des différentes options. J'ai naturellement une conviction sur chacun de ces sujets, Ce n'est pas ici le lieu de la dire. »



Ah ! Challenge accepté !


Déjà on peut s’étonner qu’en préambule Jacques Attali sépare 15 questions sur les 153 qu’il considère comme primordiales. Et que rien que parmi celles-ci on a le droit à des associations à peine déguisées telles que



« Faut-il modifié la politique du quatrième âge et la loi sur les
conditions de fin de vie ? »



En clair : est-ce qu’on ne pourrait pas euthanasier nos très vieux qui coûtent chers ? Euh désolé Jacques mais il n’y a que toi - et peut-être Alain Minc - pour penser les choses en ces termes là… eh puis associée à celle-ci c’est pareillement glauque :



« Faut-il, et comment, tenter de contenir ou de favoriser
l'augmentation de la population du pays? »



Hmmm… on ne pourrait pas ne pas juste laisser les gens faire comme ils veulent ?


Bon encore deux autres de la liste des 15 où décidément Attali n'a pas l’air d’avoir une palette d’option très développée.



« Faut-il renoncer, et dans quelles conditions, à utiliser l'énergie
nucléaire civile? Ou faut-il donner la priorité à la réduction des
émissions de gaz à effet de serre? »



Ainsi la seule alternative à l’énergie carbonée devient l’usage de l’énergie nucléaire. Et vu qu’on nous présentait plus haut le réchauffement climatique comme une menace imminente, on peut déjà deviner quelle est la solution la plus censée pour notre cher Jacques. Surtout que dans les 15 questions primordiales il doit être le seul à estimer important de s’interroger sur le fait d’augmenter ou non notre nombre de sous-marins nucléaires. Le truc qui fera assurément la différence avec Daesh, le Pakistan, la Corée du Nord et bientôt l’Iran. Après tout Emmanuel Todd, un autre grand expert "Toutologue" bien d’chez nous, l’avait bien dit au Japonais juste après Fukushima : « Il aurait été plus rationnel d’arrêter le nucléaire civil et de développer le nucléaire militaire contre votre voisin Chinois. » Tu m’étonnes que l’avenir il craint avec des conseils pareils…


Allez la dernière du lot :



« Faut-il maintenir notre modèle de solidarité, qui favorise les
retraités, ou donner la priorité aux jeunes, aux élèves, aux
étudiants, aux chômeurs ou précaires? »



Tu le sens le gros biais de formulation ? Qui voudrait vouloir avantager les vieux (surtout le fameux 4ème âge, hein) dans une société ? Évidemment qu’il va falloir baisser nos retraites (et le Smic) pour laisser aux jeunes et aux pauvres une chance d’entrer dans le monde du travail. Égoïstes ! Les rentiers c’est vous !


Alors voilà tout le bouquin est comme ça, ou pas loin. Et là ce ne sont que les questions sans le développement autour. Parce que sinon cela donne plus loin Jacques Attali qui s’interroge sur les moyens d’économiser 90 milliards du déficit public en trois ans et plus. Et là sur 2 pages d’énoncer plusieurs moyens allant de la baisse du fonctionnement de l’état, des revenus des hauts fonctionnaires, des dirigeants d’entreprises... publiques (nb : qu'est-ce que tu croyais !?) etc… Et puis il enchaîne sur quelque chose de plus « symbolique et radical » comme réduire les effectifs des collecteurs d’impôts, moins indemniser le chômage des salariés les mieux payés et… bon attendez là je fais un copié-collé sinon on va croire que je déforme :



« le non-remplacement de 3, voire même de 4 fonctionnaires sur 5 ; la réduction des dépenses d'infrastructures de l'État et des collectivités territoriales; la suppression d'une grande partie des subventions au logement social ; la suppression des décharges syndicales d'enseignants; un meilleur contrôle de la politique du médicament (13 000 tonnes détruites chaque année après avoir été remboursées par la Sécurité sociale) ; la suppression de la cinquième semaine de congés payés; l'augmentation de la durée du travail dans la fonction publique; la désindexation des remboursements de la Sécurité sociale sur les revenus. »



Et de préciser :



« Peut-on imaginer un programme présidentiel annonçant à l'avance quelques-uns de tels choix? Il le faudra bien. »



Eh oui il faudra. There is no alternative.


Ou plutôt si car par dépit, probablement, Jacques Attali consent à avancer une deuxième alternative. Ou une troisième si on considère que couper dans le fonctionnement de la gestion de l’Etat était la version sociale-démocrate qui précédait la version sociale-libérale que je viens de recopier.



« À moins que les Français préfèrent maintenir à l'identique le niveau de leurs services publics et acceptent de payer davantage d'impôts ... »



Alors si jamais Jacques Attali me lit j’espère qu’il comprendra que deviner ses préférences à la longueur de ses phrases c’est tout de même à la portée de n’importe qui. Eh puis les points de suspensions on sait le traduire également, hein, ça signifie : "les cons". Enfin bravo tout de même pour l’exercice de style de cet ouvrage mais c'est prodigieusement raté et involontairement comique.


Mais maintenant que j’y pense : ce Jaques Attali qui donne des conseils un peu partout, que ce soit en public dans les médias ou les clubs très fermés comme celui du Siècle et bien évidemment les bouquins qu’il publie tous les trois mois ou presque, enfin bref ce guide très avisé sur les conduites du pays et du monde en général, en 2012 il a voté quoi au juste ?


Attendez je cherche… parce que oui Jacques Attali n’est pas de ceux qui conservent ce choix pour eux seuls… ah oui voilà : François Hollande.


Finalement c’était instructif de lire ce bouquin en 2016.

Ashtaka
2
Écrit par

Créée

le 25 mai 2016

Critique lue 381 fois

10 j'aime

9 commentaires

Ashtaka

Écrit par

Critique lue 381 fois

10
9

Du même critique

Le Labyrinthe de Pan
Ashtaka
9

Un Conte de Fées du XXème siècle

Les adaptations de Walt Disney font autorité chez nos contemporains dans la manière dont l'histoire d'un conte merveilleux se doit d'être racontée. Au point de susciter une certaine exaspération et...

le 3 nov. 2016

16 j'aime

Les Questions Cons
Ashtaka
3

Combien de temps perd-on sur Youtube ?

Combien il y a-t-il de grains de riz dans un sachet ? Combien de temps pour vider un stylo Bic ? Le calendrier iphone a-t-il une fin ? On ne nous ment pas sur la marchandise : on va vraiment répondre...

le 3 mars 2016

15 j'aime