Il aura fallu attendre l’adaptation au cinéma de son roman Cloud Atlas (aka Cartographie des nuages) pour que je lise mon premier David Mitchell. De nombreux avis élogieux, pour certains émanant de sources avec lesquelles je partage des affinités, m’avaient pourtant encouragé à découvrir l’auteur. Parfois, on devrait prendre le temps d’écouter les conseils. On devrait abandonner la routine, lâcher le livre du moment pour obéir aux exhortations amicales. Bref, j’aborde l’auteur américain bien tardivement, la mémoire encore imprégnée par la retranscription visuelle commise par Andy et Lana Wachowski. De manière étonnante, le film respecte les grandes lignes du roman, même s’il se permet quelques entorses, notamment un entrelacement des différentes histoires et un happy-end extra-planétaire, somme toute consensuel. Pour le reste, les réalisateurs ont su restituer les ambiances et divers registres narratifs, les adaptant au médium cinéma, d’une façon assez admirable.

Pour l’heure, parlons du roman. Les lecteurs de ce blog connaissent ma méfiance des images qui bougent, surtout lorsqu’il s’agit de l’adaptation d’une œuvre écrite. Comme je l’ai mentionné plus haut les Wachowski tirent plutôt habilement leur épingle du jeu. Mais le roman s’avère à la fois différent et supérieur car Mitchell s’y montre moins démonstratif sur certains points.

Impossible de résumer Cartographie des nuages. Par sa construction, le roman échappe à la linéarité plan-plan de bon nombre de livres. À bien des égards, l’œuvre de Mitchell s’apparente à une partition dont les différents segments se répondraient, comme en écho, évoquant un thème plus général. Celui de la lutte intérieure de l’humain, partagé entre ses instincts et son désir d’idéal. Celui de l’ascension et de la chute de toute civilisation. Une dialectique en forme d’éternel retour que ne renierait pas Ursula Le Guin.

Le foisonnement des styles frappe d’entrée de jeu. L’écriture de Mitchell manifeste une virtuosité qui laisse parfois pantois. L’auteur saute d’un style de langage et d’un registre d’émotion à un autre, sans que cela ne semble à aucun moment forcé.

Cartographie des nuages se décline en six mouvements organisés autour d’un point d’orgue. Six récits focalisés sur un personnage central, narrateur de son histoire personnelle et dont le point de vue nous permet d’appréhender son monde. Des histoires hachées par des césures, enchâssées dans une trame dont le motif rappelle celui d’une double spirale, un Esse évoquant le symbole du Tao. Six époques échelonnées entre le milieu du XIXe siècle et un futur indéterminé mais que l’on pressent comme lointain. Six atmosphères différentes correspondant à des traitements littéraires particuliers, tous parfaitement restitués par l’auteur.

Chaque mouvement se distingue ainsi par son style propre. Récit de voyage pour Adam Ewing, roman épistolaire pour Robert Frobisher, thriller paranoïaque pour Luisa Rey, autobiographie bouffonne pour Timothy Cavendish, dystopie consumériste pour Somni 451 et récit de fin du monde pour Zachry. Dans chaque cas, David Mitchell s’adapte à la langue de l’époque, faisant œuvre de (re)création, à la fois visuelle et langagière pour les parties futuristes. Il distille ses effets, qu’il ressortent de l’aventure maritime, du drame, du suspense, de la comédie, de la spéculation ou de l’eschatologie, avec une réelle maîtrise démontrant sa connaissance de la littérature. Si je ne suis pas complètement conquis par le procédé, sans doute un peu trop mécanique, je demeure toutefois charmé par son résultat.

Avec Cartographie des nuages, l’auteur américain parvient à composer plusieurs variations autour d’un même motif. Une mélodie subtile et entêtante. Quelque chose qui rappelle le palindrome latin « in girum imus nocte et consumimur igni ». Assurément une expérience à tenter.
leleul
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le 25 mai 2013

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leleul

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