De prime abord, en voyant des extraits dans Fakir, je me disais que Ruffin faisait un destin croisé de lui-même et de Macron, pour montrer la déconnexion et l'imposture de ce dernier. Et je me disais, comme Juan Branco, que c'était tomber dans le piège du personnalisme, que Ruffin se prenait au piège du présidentiable de la Ve république, etc...


Pour qu'on sache d'où je parle, voilà ce que je pense de Ruffin : c'est un Camille Desmoulins, un igniteur, mais en aucun cas un homme d'Etat. J'avais adoré Merci patron, ce brulôt qui montrait la bêtise et le repli sur soi de l'oligarchie en la personne de Bernard Arnault. J'ai été bien moins convaincu par Nuit debout. En tant que député insoumis, il se disperse souvent, et son élocution heurtée est souvent pénible à écouter. Mais il a de bonnes intuitions de chien truffier.


Le livre et J'veux du soleil se complètent, au sens où il commence là où le film finit, sur la personne de la gilet jaune Marie, qui dit avoir pleuré après l'allocution présidentielle de décembre 2018.
Il se divise ensuite en chapitres dans lesquels on suit, à peu près chronologiquement, les parcours de Macron et de Ruffin. Mais Ruffin ne parle quasiment pas de sa vie, mais des gens qu'il a rencontrés, et dont il dit qu'ils l'ont sauvés. Qu'il les comprend, car il pense avoir les mêmes fêlures, celles que Macron ne montre pas, occupé qu'il est à réseauter dans la haute administration et surtout les cercles d'affaire de haute volée. On croise donc des destins de paumés, que Ruffin met en face de Macron, auquel le livre s'adresse, comme on met le nez dans la merde. Ho, bien sûr, on peut reprocher à Ruffin une complaisance morbide dans ce sens. Mais c'est un tel contre-discours face à la novlangue aseptisée de la bureaucratie au pouvoir que personnellement, je le lui passe. Ruffin est un être entier, on peut croire qu'il surjoue, mais son parcours lui-même tend à démontrer le contraire. C'est quelqu'un qui tente des choses, en s'essayant à une des choses les plus difficiles actuellement - faire se rencontrer des gens de milieux différents, servir de pont.


Pour ce qui est du style, ça se lit d'une traite, très facilement, avec cette diction ruffinienne si fluide, au style ponctué, qui rappelle Céline dans son goût pour les accumulations, les ruptures de rythme, les chutes, le mélange de style recherché et parlé. C'est le style qui cimente les idées, qui ne s'enchaînent pas de manière chronologique, et relèvent du va-et-vient, mais font de ce livre, au final, à la fois un portraît de Macron et un essai sur la déconnexion des élites (Citer Dorian Gray sur la fin : Ruffin littérateur est quelqu'un de rusé).


Passons au synopsis. Comme je le dis, comme c'est le style qui cimente, le plan semblera un peu décousu, et c'est normal.


Monsieur le président.
Retour sur les gilets jaunes puis la scolarité commune au lycée La Providence à Amiens, institution bourgeoise que Ruffin a vécu de manière étouffante, comme un vase clos, et dans laquelle Macron a grandi à l'abri.


Ministre. Au frais de la république.
Sur le silence, à Bercy, de Macron face aux demandes d'Ecopla. Sa manière d'utiliser son logement de fonction pour organiser deux repas par soir afin de réseauter au maximum. Au frais du contribuable.


Secrétaire général adjoint. Le petit génie de l'Elysée.
Récit de galère de Peggy, caissière de supermarché. Envol de Macron sous la direction de Serge Weinberg. Le réseau le lance dans la presse en 2012. Auto-stoppeuse Laurelyne qui cherche du boulot. Retour sur la honte du CICE.


Etudiant. Un intellectuel en politique.
Retour sur les espoirs littéraires de Macron, qui sont restés de l'ordre de l'affichage, alors que Ruffin a souvent écrit laborieusement et dans la honte. Tout cet étalage, avec une prétention à la philosophie usurpée mais complaisamment relayée, pour pondre Révolutions, un livre très creux.


Enarque. Le temps des parrains.
Interrogations sur ce que put être la période de service de Macron, après son admission à l'ENA, en stage à la préfecture de l'Oise. Mais c'es l'occasion de rencontrer le premier parrain, Heny Hermand, qui fait un prêt à 500 000 euros et paie le mariage des Macron. Ruffin, lui, pigiste, rencontre un fixeur, Zoubir, ouvrier du bâtiment. Premier contact avec les cassés de la vie. Retour sur les trois parrains d'En Marche ! Henry Hermand, Jean Peyrelevade, Henri Moulard.


Banquier. Le jockey des fortunés.
Pantouflage chez Rothchild, rencontre avec les grands : Niel, Arnault. Exemple d'entourloupes avec le fiasco de la chaîne Numéro 23. Ruffin publie Les petits soldats du journalisme, raconte la renaissance ignominieuse de Combat, sort Merci Patron !. Se scandalise que 88% du temps d'antenne soit utilisée par les CSP+. Revient sur les liens entre Macron et Drahi, le patron surendetté, via Bernard Mourad. Le battage médiatique est organisé.


Candidat. Enfin au contact.
Le chapitre revient sur la scène de Macron venant, à l'invitation de Ruffin, rencontrer les employés de Whirlpool, et comment Ruffin et un syndicaliste frontiste se sont retrouvés à empêcher le candidat de se faire lyncher par la foule. Macron parle d'aller "au contact" comme d'une bravade, là où Ruffin cherche des rencontres. Parallèle entre Macron faisant la leçon à un braqueur aux Antilles et l'entretien de Ruffin avec un ex-braqueur de Bondy.


Chef de l'Etat. Un président en sécession.
Comment Ruffin a découvert le scandale de la Dépakine, médicament antiépileptique qui crée des troubles autistiques chez les enfants des patients. Le scandale de l'usine de Mourenx. Le silence et la complaisance de Macron face aux patrons pharmaceutiques, qu'il reçoit au soir après son allocution à Versailles, le 9 juillet. Anecdote intéressante sur l'affluenza, trouble que connaîtraient les enfants d'ultrariches, ne connaissant aucune notion de bien et de mal.


La crise. Briseur de Marcel.
Retour sur les gilets jaunes. Macron prisonnier de ses soutiens, qui refuse de faire quoi que ce soit en matière de justice fiscale. Destruction des cabanes de gilets jaunes, ces endroits qui retissent du lien social, et du portraît géant de Marcel Sanchez qu'on voit dans J'veux du soleil. Autisme, hybris, folie d'une classe dirigeante barricadée.


Post-scriptum. Votre sourire figé.
Galerie des estropiés parmi ceux qui ont manifesté. On termine sur une citation de Prévert, Le président Doumergue n'a pas cessé de sourire, sur la répression aveugle par la bourgeoisie.

zardoz6704
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le 15 avr. 2019

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N'en déplaise à certains (ceux qui sont en permanence sur les écrans et les radios) ce livre est indispensable. Il ne fait pas plaisir, ah ça non, il dit juste la vérité, la réalité de la macronie.

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