C'est un roman ambitieux et à la hauteur de son ambition : raconter l'histoire d'un matelot français, Narcisse Pelletier, abandonné sur une plage australienne et « redécouvert » plusieurs années plus tard par un géographe, Octave de Vallombrun . La narration est dynamique, mêlant le roman épistolaire (Octave correspond avec le Président de la Société de Géographie et lui rapporte ses pensées et ses découvertes) et le récit du déracinement de Narcisse, en discours indirect libre (car, qui pourrait raconter cette histoire finalement ?). Il y a donc deux mouvements : le récit d'Octave chemine vers le passé car il cherche à comprendre comment Narcisse est devenu « sauvage » ; le discours indirect libre chemine chronologiquement, jusqu'à ce que ces deux récits se rencontrent sur la frise.
J'ai apprécié la complexité des personnages ; par exemple, Octave développe longuement ses pensées et ses impressions, ce qui nous permet de voir l'histoire à travers le regard d'un esprit positiviste du XIXe siècle, et c'est très intéressant. Le personnage de Narcisse est lui, très énigmatique. C'est une autre qualité de ce roman : il tient en haleine avec une énigme, un mystère. Comme Octave, on aimerait savoir comment s'est faite cette transformation si profonde en Narcisse, et s'il parviendra jamais à redevenir l'homme qu'il était, ou à exister dans deux mondes à la fois, qui sont présentés comme complètement incompatibles. Le nom aborigène de Narcisse signifie « soleil », ce n'est pas pour rien : il disparaît en France lorsqu'il se lève en Australie.