J'ai toujours trouvé Stephen King plus "mainstream" que certains de ses collègues lorsque l'on aborde le thème de l'horreur. Si souvent, Stephen King explore de manière fort réussie les peurs profondes de tout un chacun, rares sont les moments où le lecteur quitte véritablement sa zone de confort pour se frotter à quelque chose qu'il n'a jamais vu, jamais ressenti. C'était, lorsque je m'amusais à comparer Barker et King, ce qui me frappait le plus entre les deux. Globalement, Stephen King est un bien meilleur conteur et s'attache à découvrir nos peurs communes avec brio, tandis que Barker est beaucoup plus poétique et loin de jouer la carte des peurs "communes", explore ses propres angoisses dans lesquelles il nous projette.
Sans supériorité l'un à l'autre (je suis un lecteur absolu des deux), leurs livres sont extrêmement différents. Barker n'atteint jamais la facilité avec laquelle King déroule ses histoires, mais King ne parvient que rarement à dépeindre des scènes aussi uniques et dérangeantes que celles de Barker. Bref, pas la peine de faire la gueguerre des deux auteurs, là n'est pas la question.


D'ailleurs, pourquoi vous faire chier avec cette histoire de Barker/King? Eh bien à cause de Christine et de quelques autres récits. Parce que oui, King est bien "mainstream" dans son horreur: il s'écarte rarement des sentiers battus, et reste sur des images de créature efficaces certes, mais pas révolutionnaires. Il y a en revanche, dans toute l'oeuvre de King, un aspect, un thème de son champ horrifique que j'ai toujours trouvé en décalage avec le reste, car s'échappant justement des peurs "communes".
Et c'est les créatures mécaniques.
Force est de constater que lorsqu'il aborde le sujet, de un, King est bon, et de deux, c'est sacrément original. Car oui, à titre personnel, je trouve cela un peu farfelu, mais souvent extrêmement réussi. Je n'aurai pas, je pense, une mémoire suffisante pour réunir ici toutes les histoires relevant de ce thème: je me rappelle de "La Cadillac de Dolan", nouvelle où cette obsession mécanique, sans basculer vers le fantastique, donne lui à quelques scènes surréalistes; je me rappelle également d'une nouvelle où une machine industrielle était possédée par le diable; je me rappelle d'une nouvelle, "Le Camion de l'oncle Otto" ou quelque chose dans la genre, dans le recueil "Brume" qui s'engageait également vers ce côté "enfer mécanique"...


Je ne suis pourtant pas extrêmement sensible à ce thème. Je n'arrive pas à ressentir dans une voiture de sensualité, d'arrogance ou de violence. Les mécaniques me laissent plutôt de marbre. Néanmoins, on ne le sait que trop bien maintenant, King est extraordinaire lorsqu'il s'agit de conter une histoire, et Christine n'échappe pas à la règle...


Christine, est, de manière extrêmement surprenante, un roman d'amour. Mais pas une jolie histoire d'amour, non, ça a plutôt un côté "Bizarre Love Triangle". Parce que ouais, Arnie va trouver l'amour en la personne de Leigh, mais vous devinez bien que ça va coincer du côté de Christine. Si on rajoute à ça Dennis, notre narrateur attachant, qui tombe amoureux de Leigh, on arrive à un vaste fracas de sentiments qui, devinez? Finira mal, bien sûr.
La première force de "Christine", c'est la narration et le personnage de Dennis. Il nous est très rapidement sympathique: une grande réussite. Son récit est agréable à suivre, globalement très rythmé et particulièrement intelligent: l'emprise de Christine sur Arnie sera mise en place de manière si progressive que l'on n'a même pas le temps de trouver l'idée ridicule, finalement.
Et c'est là la deuxième force de Stephen King: à aucun moment, ça ne devient ridicule. Et pourtant, vous en conviendez, le risque était grand. Et King va loin dans le délire: on assiste quand même, au cours du récit, à un rêve d'Arnie où il se marrie à Christine. Mais non, ça n'est pas ridicule. Car King distille patiemment les éléments de son intrigue, qui au final s'étend de manière bénéfique. Ce livre aurait pu faire moitié moins de pages, il ne s'y passe finalement pas grand-chose. Mais Stephen King a eu l'intelligence d'étirer un peu tout cela, ce qui évite finalement à son livre de tomber dans la supercherie.
Et le tout fonctionne même plutôt bien: on finit par véritablement craindre Christine. Le malaise est souvent présent, et il sera difficile de ne pas frissonner à l'évocation du passé de cette voiture, et inévitablement de Roland LeBay, son précédent propriétaire...
Saluons également le travail de King avec le personnage d'Arnie, dont la "vrille" est effectuée de façon magistrale (avec la même patience que celle exercée dans "Shining", par exemple...).


En bref, "Christine" est un bon roman. Clairement pas le meilleur de son auteur, mais une pièce de qualité, explorant un versant original de Stephen King. Finalement, un moment très agréable.

Wazlib
7
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le 29 oct. 2017

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