On m'a dit que je ne pouvais pas critiquer sans avoir lu... Alors j'ai lu.

Voilà une lecture dont je me serais bien passée. Ce "livre" ne représente ni plus ni moins que ce qu'il est à la base : une fanfiction. J'en lis parfois (et ça m'arrive même d'en écrire !) mais je n'irai pas jusqu'à dire que ça équivaut à de la littérature, loin de là. Parce qu'il faut dire ce qui est : c'est mal écrit. Et c'est bien peut-être pour ça que ça a eu autant de succès : parce qu'aujourd'hui, les gens ont la flemme de lire. Alors quand on leur sert un livre qui est mal écrit, pour eux, ça équivaut à du facile à lire. Je vais sûrement passée pour la grosse rabat-joie de service, mais je tiens à un minimum de qualité quand je lis quelque chose et ce "livre" est très loin de mes attentes en la matière. Si j'avais voulu lire une fanfiction, je serais allée sur Fanfiction.net ou autre ArchiveOfOurOwn. Pas besoin de payer près de 20 euros le tome pour une bouse pareille quand on peut l'avoir gratos.

Au début, comme vous vous en doutez avec mon titre, je n'avais aucunement l'intention de le lire. J'en avais lu un extrait sur un site et ça m'avait largement suffi pour me faire une idée. Mais voilà, comme beaucoup de monde, il a fallu qu'une personne de mon entourage tombe dans la spirale infernale et vienne me dire que si je ne l'ai pas lu, je n'avais pas de matière pour le critiquer. Soit. Effectivement, mon snobisme anticipé était peut-être malvenu. (pas tant que ça, en fait) Soit. Me voici donc partie dans ma quête du roman émoustillant et du scénario en béton qu'on m'a donc promis.

... Il ne fallait pas me convaincre car je vais pouvoir tout doucement descendre cette fanfiction qui prétend être de la littérature au fin fond des abysses. J'ai de la matière pour critiquer, maintenant, on ne pourra pas venir me reprocher le contraire.

Au-delà de l'écriture dont j'ai déjà parlé (pour plus de détails : vocabulaire limité, répétitions à foison, style narratif d'une gamine de 15 ans, des métaphores à mourir de rire...), le scénario vend du rêve dans la catégorie "gros clichés". Venons-en aux deux personnages principaux : Anastasia Steele, étudiante en littérature (ça sent déjà le foutage de gueule) de 21 ans, rencontre Christian Grey, PDG d'une multinationale et surtout, milliardaire, alors qu'elle doit remplacer son amie apprentie journaliste pour une interview. La base même avec laquelle on part est un stéréotype commun à toutes les histoires à l'eau de rose. Tellement basique, que je me dis que l'originalité du "livre" doit tenir dans ses scènes de cul qui doivent être vraiment excitantes. Je ne me doutais pas que j'étais à ce moment-là d'un optimisme extrême. Revenons-en aux personnages, qui ont largement contribué à ma colère durant ma lecture.

L'auteure essaie de nous vendre Anastasia comme une fille cultivée et intelligente, et avec un fort caractère. Ses références littéraires sont assez limitées, mais ce n'est pas particulièrement étonnant de la part d'une imposture. Fort caractère, il ne faut pas déconner : elle est faible d'esprit et change d'avis sans arrêt. Finalement, Grey réussit à obtenir plus ou moins ce qu'il veut d'elle. (hormis la signature du fameux contrat que je vais évoquer plus tard) La fille a des prétendants à ne plus savoir qu'en faire et continue à se prétendre moche. Ça aussi, c'est le scénario classique d'une fanfiction : une fille pseudo-banale (qui est en réalité une canon qui s'ignore la plupart du temps) entourée de beaux gosses qui lui courent après et on ne sait même pas pourquoi. (sans compter le self-insert des auteurs et de leurs petits fantasmes dont on n'a strictement rien à faire) Ana est juste hyper cruche et avoir un personnage comme ça tout au long de sa lecture est très agaçant. (j'ai failli arrêter plusieurs fois à cause d'elle, c'est dire)

Venons-en au deuxième cas et pas des moindres : Christian Grey, qui aurait dû faire une carrière dans le mannequinat plutôt que d'être le PDG ennuyeux d'une entreprise. Ce mec est un control-freak (ce qui en fait un bon connard, soit-dit en passant, mais comme il est Apollon en personne, on lui pardonne, hein), il est jaloux et surtout, c'est un STALKER. Relation abusive droit devant, alerte ! Et le contrat, ce fameux contrat qui stipule qu'Ana, en tant que Soumise, doit obéissance à Grey, le Dominant. Jusque-là, rien d'anormal connaissant ses tendances BDSM. Le problème, c'est que ceci va bien au-delà de leurs rapports sexuels. Il veut contrôler sa nourriture, son hygiène, ses déplacements... Le genre de trucs qui ferait fuir n'importe qui. Mais non, pas cette idiote d'Ana. En attendant, Grey passe son temps à donner des ordres à Ana qui n'est guère contente mais qui obéit quand même (il est où, le fort caractère ?). Comme quoi, l'amour rend con.

Celui-ci ne voit ses relations sexuelles qu'à travers le BDSM (le sexe "vanille", pour reprendre ses termes, il n'a jamais fait avant de dépuceler Ana). Ok, c'est une pratique sexuelle comme une autre, on est d'accord. Le problème, c'est que l'auteure ne cesse de sous-entendre à travers Ana que même si c'est particulièrement excitant, c'est une pratique mauvaise. Car même si Ana a particulièrement apprécié ses passages dans la Chambre Rouge (comprendre : la chambre "tabou" où réside menottes, cravaches et autres objets bien sympathiques), elle en culpabilise et continue à considérer cela comme déviant car après tout, c'est comme ça que la société voit ces pratiques. Moi qui m'attendait justement à ce que ce "livre" renverse les clichés à ce sujet, me voilà bien déçue ! Un tabou doit rester un tabou... (la femme qui a d'ailleurs initié Grey à ce milieu est fortement détestée et jalousée par Ana, hein...) Ah, et bien sûr, Christian Grey a un douloureux passé qui fait que ça l'a amené à cette pratique douteuse. Ben oui, attends, on ne fait pas dans le BDSM si on est stable psychologiquement, CQFD ! (*facepalm*)

Donc voilà, même si elle sait d'avance qu'elle ne signera pas le fameux contrat, elle espère encore et toujours arriver à le changer. Car il est clairement question de ça : il prend son pied à être dominant, mais elle, elle préfèrerait qu'il s'en tienne à du sexe "vanille". Elle espère donc le changer. Encore cette illusion de pouvoir modifier les envies et comportements de son partenaire, je trouve ça assez limite. Malgré les compromis, ce n'est pas suffisant. Finalement, la fin est plutôt logique : elle le quitte (il aura fallu près de 500 pages, quand même), mais comme l'existence de deux autres tomes nous le laisse supposer, c'est reparti de plus belle pour une histoire gniangnian où je parie qu'elle va arriver à atteindre son objectif. Je n'ai pas assez de patience pour vérifier.

Quant aux scènes de cul, c'est la déception : comme je l'ai déjà dit, je lis toujours des fanfictions, et ce qu'elle écrit est la base de tout récit de rapport sexuel dans ce milieu. Il n'y a rien de choquant, rien d'émoustillant, d'autres auteurs de fanfiction font beaucoup mieux qu'elle, c'est dire. On repassera pour le réalisme des rapports où le mec bande quand il veut et la meuf a trois orgasmes en une fois, c'est magnifique. Elle est pucelle mais fait tout comme une pornstar du premier coup. Bonjour les idées que ça va mettre dans la tête des adolescentes qui vont lire ça... Si vous vouliez faire l'éducation sexuelle de votre fille avec ça, je vous déconseille.

Pour un "livre" érotique, je m'attendais pas à ce que ce soit aussi niais dans le mauvais sens du terme. J'avais lu dans un article que ce bouquin était rangé dans la catégorie "mummy porn", ben j'ose même pas imaginer à quel point ça doit être pire que la routine sexuelle si c'est le cas...

Dans tous les cas, pour moi, c'est un échec : l'écriture est mauvaise, la relation abusive est dépeinte comme étant romantique et en plus, on a une sur-abondance de clichés. Passez votre chemin, ça vous évitera de perdre du temps.

Je ne vais pas cacher qu'un succès pareil me reste un peu en travers de la gorge. Ecrivez vos fantasmes le plus simplement possible et vous serez publiés. Magie, magie. Et c'est ça qu'on retiendra dans quelques années, ça craint...
Anera
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le 27 nov. 2014

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Anera

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