Rassurons le lecteur toute de suite. Cold love, satanic sex and funny suicide (CLSSAFS) de Théophile de Giraud n’est pas une de ces études universitaires pompeuses parmi d’autres. C’est tout l’inverse. Consacré aux « années folles » du mouvement Cold wave, ce livre est une œuvre hybride, à la croisée du témoignage, du pamphlet et de la poésie. Un « poèmessai » à la plume vitriolesque et aux punchlines apocalyptiques qui font souvent exploser de rire !


Rempli d’humour noir et de commentaires acerbes, ce livre décapant est entre autre tricoté de souvenirs personnels et de fantasmes plus ou moins morbides. La conception jouissivement désepérée de la vie de l’auteur, ainsi que ses nombreuses performances sexuelles publiques et privées, réelles et/ou imaginaires, y sont racontées avec la fougue et la passion d’un collectionneur de cadavres. D’ailleurs, à ce festin littéraire endiablé et provo’, passablement glauque et aux parfums d’entre-cuisses volcaniques et humides, quelques serial-killers célèbres y sont invités. CQFD !


Petite bombe intellectuelle, donc, CLSSAFS regorge de réflexions macabres pour les uns, lucides pour les autres, lucides et macabres pour les grands esprits de la Cold wave — ou comment leur envoyer des fleurs. Dans ces cent soixante pages, l’attirance de l’écrivain envers la mort ou le suicide s’y fait diantrement sentir. Ainsi pour appuyer sa douleur d’être au monde, — douleur partagée par le plus gros du mouvement vécu de l’intérieur par l’essayiste —, Théophile de Giraud cite un grand nombre d’extraits de chansons écrites par des artistes tels que Joy Division, The Cure, Virgines Prunes et Anne Clark, pour n’en citer que quelques-uns et parmi les plus connus de la génération Cold wave (1).


L’essai est — grosso merdo — tissé de phrases à rallonges, peu ponctuées, ainsi que d’inventions lexicales fort nombreuses, comme ces cascades de néologismes barbares et drolatiques. Egalement « livre à boire », le chapitrage se découpe en décapsulations : bouteilles 1, 2, 3 et ainsi de suite. Il peut se déguster à petite dose comme on sirote une bière forte ou un excellent whiskey. Ou, pour les plus avides de jouissance extatique, d’une traite comme on s’envoie un shoot-en l’air jusqu’à l’overdose !


Aussi, des mots débordants d’absurdité et d’auto-dérision, et témoignants de la misérable condition humaine, viennent par moments comme adoucir sa noirceur d’esprit déchaînée. À sa haine de la procréation également présente dans ce livre, l’écrivain avait par ailleurs consacré quelques années plus tôt un manifeste au titre programmatique : L’Art de guillotiner les procréateurs, un livre instructif, détonnant et chaudement conseillé.


Et parmi les réflexions anarchiques de Théophile de Giraud, on retiendra celle sur l’Amour. À ce concept fourre-tout et à l’amour libre, il lui préférera « l’amitiérotique » qui lui paraît beaucoup moins dévastatrice de conséquences, beaucoup moins possessive, beaucoup moins propice à la soumission de soi et d’autrui. L’Amour est une Idole au nom de laquelle beaucoup trop d’actes horribles ont été commis. Le libertin anti-nataliste belgo-apatride écrira au sujet de ce poison que, dans sa jeunesse, il pouvait autant le détester qu’il pouvait tomber amoureux. Et d’ajouter que l’Amour et ses ravages sanglants étaient selon lui autant raillés que honnis par ses ami-e-s goth’ badcave, que par les artistes déjà cités — on ne pouvait et on ne peut que leur donner raison.


En outre, comme chez tous les grands désespérés, l’écrivain avance que l’antitode idéal à l’existence serait le néant. Ou bien — et c’est la seule option viable — une existence dans laquelle les contraintes seraient réduites à rien, où la jouissance et le rêve seraient maximisés. D’où l’hédonisme acharné de l’auteur, son dégoût de l’Autorité, du Travail, de la Famille, de tout ce qui enchaîne et aliène l’individu libre.


Finissons-en. Cold love, satanic sex and funny suicide de Théophile de Giraud est une œuvre terrible, au sens de réjouissante. De manière plus ou moins dérangeante et déjantée, elle rend bien compte de l’esprit de subversion, d’iconoclasme, de désespoir lucide, de dérision, de second degré et d’ironie noire qui pouvait hanter cette subculture issue du Rock, et qui marquait à vie ou à mort un certain nombre d’homos sapiens épris de néant et/ou de liberté. Le mouvement Cold wave ne pouvait sûrement pas espérer meilleure dédicace !


(Le livre est commandable sur Amazon et disponible au format PDF sur le site de l’auteur.)


Notes



  1. Une des qualités du bouquin, aux aspirations anti-existentielles évidentes, est son abondance en références de groupes aussi diaboliques les uns que les autres. C’est en somme un véritable glossaire pour débutants qui voudraient s’initier à ce genre musical, et pour avertis qui voudraient affiner leurs connaissances.

Le 9 décembre 2020

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