Ce recueil (publié en 1776) présente 10 contes considérés comme le meilleur de l’écrivain japonais Ueda Akinari (1734-1809), présenté comme l’initiateur de la manière Edo (ancien nom de la ville de Tokyo), précisément avec cette œuvre. Akinari vécut à Osaka puis à Kyoto, mais fut attiré à Edo, ville où l’activité s’intensifiait sous l’influence des shôgun Tokugawa, famille au pouvoir depuis le début du XVIIè siècle.


Le futur homme de lettre fut abandonné par sa mère à l’âge de 4 ans. Il fut alors adopté par un marchand nommé Ueda. En 1738, il contracta la variole, maladie dont il réchappa (contrairement à sa mère adoptive), mais dont il garda comme séquelle des doigts paralysés. On pensa qu’il ne pourrait jamais tenir un pinceau, mais son obstination lui permit de démentir ce pronostic, même s’il ne devint jamais un bon calligraphe. Pensant devoir sa guérison au dieu-renard Inari, il lui voua un culte jamais démenti. Sa maladie l’ayant écarté des études, il occupa une bonne partie de son temps à se cultiver. Marié en 1760, à la mort de son père adoptif (1761), il reprit à contrecœur l’affaire familiale pour devenir marchand. Dix ans plus tard, ruiné par un incendie, il commença à publier. Pour subvenir à ses besoins, après deux années d’études il devint médecin dès 1775. Consciencieux, il souffrait d’échecs professionnels dus aux moyens rudimentaires de l’époque et il vécut très mal le décès d’une fillette qu’il soignait. Il abandonna la médecine pour se consacrer à la littérature.


Le terme monogatari désigne un récit, quelle que soit sa longueur. René Sieffert, qui présente cette édition traduite par ses soins explique dans la préface comment et pourquoi le poétique Contes de pluie et de lune reflète autant que possible les intentions de l’auteur et la complexité des significations du titre original. Ayant déjà démontré ses talents de conteur, Akinari décide d’innover en utilisant sa grande culture classique (chinoise notamment), pour polir son œuvre majeure (8 ans de travail), puisant son inspiration dans des histoires plus anciennes. On entre là dans un domaine où la vision occidentale diffère de l’originale, car le public japonais recherche et admire les résonances avec d’autres œuvres connues, y voyant références et hommages, alors que le public occidental pourrait s’en offusquer en soupçonnant le plagiat. En effet la plupart des contes du recueil sont des variations dans un style personnel d’histoires plus anciennes. Il faut quand même savoir que les principales sources d’inspiration de l’auteur sont chinoises et qu’en écrivant il s’arrange pour rendre ses histoires typiquement japonaises, notamment en y incorporant références et expressions, tels que « des voyageurs qui d’herbe font leur oreiller » (Le rendez-vous des chrysanthèmes, p. 46). Et puis, l’air de rien, il modifie certaines intrigues pour leur donner un tour personnel qui ne peut qu’enchanter le public japonais qui voit de quoi il s’inspire tout en appréciant l’apport original. Tout cela pour dire que si le public non initié peut apprécier ces contes, pour en saisir toute la saveur, une excellente connaissance des cultures asiatiques aide beaucoup (littérature, histoire, géographie, légendes, folklore, etc.)


Voilà qui amène à évoquer le travail de René Sieffert, qui explique que Shiramine le premier de ces contes est le plus apprécié du public japonais. Or, c’est un de ceux avec lesquels j’ai eu le plus de mal (avec Controverse sur la misère et la fortune le tout dernier), pour une raison pratique : il compte pas moins de 48 notes qui renvoient vers des commentaires (parfois assez longs) situés en fin d’ouvrage. Croyant bien faire en me reportant systématiquement à ces notes, j’ai pris connaissance de pas mal de faits historiques, allusions et références, mais… suis passé à côté de l’histoire. Résultat, j’ai préféré lire les contes suivants d’un trait à chaque fois. Lecture plus agréable, mais en passant à côté de beaucoup d’informations pertinentes, car les connaissances de René Sieffert méritent largement d’en profiter pour mieux comprendre l’œuvre et son contexte.


Concernant les contes proprement dit, à chacun son originalité. Mais le caractère fantastique est très présent, notamment avec de nombreuses situations où interviennent des fantômes, le meilleur selon mon goût étant L’impure passion d’un serpent histoire ou amour et vengeance s’imbriquent étroitement. Dans Le chaudron de Kibitsu la jalousie d’une femme amènera de bien cruelles conséquences. Ici les fantômes ne hantent pas des châteaux un drap blanc percé de deux trous pour les yeux, ils se mêlent et se confondent avec les vivants, parfois pour honorer un engagement, revoir un être cher ou pour se venger. Autant dire que l’amour est ici un puissant vecteur d’émotions. Les descriptions de nature sont également bien présentes, notamment dans Carpes telles qu’en songe…


Voilà donc un recueil de récits qui mérite bien mieux que la découverte. Jalon incontournable de la littérature japonaise, il vaut bien des surprises et des découvertes au lecteur occidental. La première lecture peut dérouter. L’exploration des notes, d’une grande richesse, permet d’en apprécier beaucoup mieux les subtilités. Ma note pourrait évoluer avec de futures relectures partielles inspirées par exemple par la découverte d’autres contes japonais.

Electron
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le 15 mai 2019

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