Le pays où on joue au polo avec un bouc décapité.

Une mère habitée par le sentiment – pas faux – d’avoir assez nettement raté sa vie ( on apprendra pourquoi ) refuse que son glandeur et autodestructeur de fils emprunte la même voie. Elle décide alors d’entreprendre, avec lui, un trek à cheval dans les montagnes du Kirghizistan, un pays dont le seul nom paraît déjà hostile.
C’est que d’aimable randonnée au pays où l’on joue au polo avec un bouc décapité à la place d’une balle, l’affaire peut rapidement virer au cauchemar, façon « Délivrance »
L’auteur nous ballade,avec un brio consommé, dans ce pays improbable et pourtant bien réel. La magie de son écriture, alternant les phrases courtes et longues, comme l’allure des chevaux, vient frapper notre imaginaire. On voyage avec la mère et son fils. On est à côté d’eux, invisibles. On les suit, on les voit. On sent l’odeur putride des bourbiers, on vit la neige dans laquelle s’enfoncent les chevaux avec crainte, on sent le vent chargé de pluie qui bat les visages, on respire l’odeur des vêtements imprégnés de sueur et de fumée de bois. On frissonne en entrant, avec eux, dans l’eau glacée des lacs. On est ému de voir ces humains et ces chevaux puiser alternativement leurs forces les uns des autres. On comprend ce que recherche la mère et on admet ce que refuse le fils. Mais suffit-il d’un voyage exotique pour recoller les morceaux de vies brisées ? Et si le plus mal en point des deux n’était pas celui qu’on croit ?
Il reste que le lecteur ne pourra éternellement rester insensible face à ce dualisme douloureux. Il sera inexorablement amené à quitter son poste de voyeur passif pour prendre position. Il sera alors, soit effaré par le comportement de la mère qu’il qualifiera de totalement inconscient, voire suicidaire ou à l’inverse, restera pétri d’émotion devant l’abnégation et l’amour de celle-ci, prête à vraiment tout pour sauver son fils.
La fin du livre, passablement grotesque, m’a obligé à choisir la première.
Peu importe. Chacun a le choix. Cette histoire magnifiquement contée ne peut laisser indifférent et ouvre la porte à bien des discussions.


-------------------- ajouté en janvier 2019


Hélas, et comme souvent, le film de Joachim Lafosse, tiré de ce livre, ne parvient à aucun moment à retransmettre l'esprit même du roman: l'intime et le spectaculaire. Pire, ceux qui verront ce film sans avoir lu le livre ne comprendront qu'au goutte à goutte la nature des personnages et leurs motivations à errer comme deux âmes en peine dans ces steppes. Les acteurs ont beau faire leur possible, on a parfois l'impression qu'ils ont plus de mal à dominer leur cheval qu'à jouer un rôle qu'ils n'ont pas l'air de bien saisir. Autant "l'économie du couple" était une réussite, autant ce film ci est un flop. Ca arrive.

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le 6 févr. 2017

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