"Couleurs de l'incendie" de Pierre Lemaitre : encore et toujours Lemaitre en son royaume

Comme bon nombre de lecteurs, Au revoir là-haut nous avait soufflés. Pierre Lemaitre se faisait le chroniqueur, le feuilletoniste de la Grande Guerre à l’aide de personnages magnifiquement posés et d’un fil narratif maîtrisé de main de maître par celui qui a su s’aguerrir à cela du côté du roman noir. L’adaptation cinématographique d’Albert Dupontel, sous l’œil bienveillant de Lemaitre au scénario, avait alors fini de nous convaincre de la richesse et de la qualité de l’œuvre. Mais voilà que notre homme prolonge le plaisir avec Couleurs de l’incendie chez Albin Michel, la suite directe d’Au revoir là-haut, juste quelques années plus tard, dans une France qui se prépare à reconnaître, qu’à demi-mots, que le pire est avenir. Lettres it be est reparti à l’aventure et vous en dit un peu plus.


La bande-annonce


Février 1927. Le Tout-Paris assiste aux obsèques de Marcel Péricourt. Sa fille, Madeleine, doit prendre la tête de l'empire financier dont elle est l'héritière, mais le destin en décide autrement. Son fils, Paul, d'un geste inattendu et tragique, va placer Madeleine sur le chemin de la ruine et du déclassement.


Face à l'adversité des hommes, à la cupidité de son époque, à la corruption de son milieu et à l'ambition de son entourage, Madeleine devra déployer des trésors d'intelligence, d'énergie mais aussi de machiavélisme pour survivre et reconstruire sa vie. Tâche d'autant plus difficile dans une France qui observe, impuissante, les premières couleurs de l'incendie qui va ravager l'Europe.


Couleurs de l'incendie est le deuxième volet de la trilogie inaugurée avec Au revoir là-haut, prix Goncourt 2013, où l'on retrouve l'extraordinaire talent de Pierre Lemaitre.


L’avis de Lettres it be


Dès l’ouverture, le ton est posé : les funérailles de Marcel Péricourt vont bon train et toute la famille accompagnée des intéressés locaux se pressent au pied du cercueil. Madeleine est présente, son fils unique Paul aussi, le souvenir de son frère mort sous les roues paternelles aussi. Mais voilà qu’un drame va assombrir encore un peu plus le tableau … Que voulez-vous, chez les Péricourt, la mort guette toujours la moindre occasion de frapper (« péri » - « court », hasard ou coïncidence ?)


Léonce, Vladi, André, Jules, Charles … On en croise des nouvelles têtes dans cette histoire, on suit même les traces d’une chanteuse d’opéra ! Il faut bien garder le fil pour tisser dans son esprit la toile de ce récit-fleuve, de cette œuvre-monde qui resuscite et prolonge le brillant épisode passé encore peu ou pas estompé dans notre mémoire. Pierre Lemaitre ouvre un nouveau chant des possibles, toujours dans notre Histoire de France, cette fois à l’abord de la Seconde Guerre Mondiale. Les faits sont inscrits dans le marbre, réutilisés à merveille, jamais trahis, toujours mis à la vue dans un écrin fait sur mesure, savamment taillé, préparé. Les Péricourt sont (toujours) au centre de l’échiquier, un plateau qui n’a jamais semblé aussi instable à une époque qui ne l’est pas moins. Les caractères arrivistes, opportunistes, consciencieux ou loyaux des uns et des autres suffisent à offrir de nombreuses péripéties pour livrer un tout final captivant de bout en bout, ou presque.


« - Pas mensongères, là, vous allez trop loin ! Non, nous présentons la réalité sous un certain jour, voilà tout. D’autres confrères, dans l’opposition par exemple, écrivent l’inverse, ce qui fait que tout cela s’équilibre ! C’est de la pluralité de points de vue. Vous n’allez pas, en plus, nous reprocher d’être républicains ! »


Et même si Pierre Lemaître ne s’épargne pas quelques images d’Epinal par-là voire quelques remarques convenues par là-bas, on s’enivre de cette nouvelle histoire, page après page, paragraphe après paragraphe. Petit bémol tout de même qui vient brièvement ternir une légère nuance de ces Couleurs de l’incendie : les différentes affaires, les nombreux montages financiers, les nombreuses manigances sont autant de tiroirs à ouvrir et à surveiller d’un coin de l’œil. Mais, pas de panique : la lecture reste fluide, plus que jamais. Ouf !


Il est difficile d’être aussi dithyrambique lorsque l’on vise la réalisation d’une critique de livre. Une interrogation tout de même reste à l’esprit : tout reste affaires si l’engouement rencontré auprès d’Au revoir là-haut, son Goncourt obtenu en 2013 et son adaptation dans les salles obscures sont autant de raisons qui ont poussé Pierre Lemaitre a accéléré le rendement de sa plume pour livrer ses Couleurs de l’incendie. Mais tout reste à faire si cette œuvre magistrale d’ores et déjà annoncée en trois volumes (voire plus) demeure un projet de longue haleine qui, si l’on en croit les deux premières pierres, porte déjà son auteur sur les hauteurs de la littérature d’alors.


La suite de la chronique sur le blog de Lettres it be : https://www.lettres-it-be.fr/critiques-de-romans/auteurs-de-k-%C3%A0-o/couleurs-de-l-incendie-de-pierre-lemaitre/

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le 6 janv. 2018

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