En basculant dans le contexte des années 30 et son climat de "brutalisation" (pour reprendre les termes de l'historien américain Georges Mosse), la comparaison avec Au-revoir là-haut est difficile mais inévitable. L'histoire reprend sept ans après l'évènement concluant le premier volet sur un évènement parallèle et la tentation est grande de voir dans l'attitude renfermée et sensible du petit Paul des réminiscences de son oncle Edouard. Pourtant c'est ailleurs, sur d'autres bases, dans un autre contexte historique que l'immédiate après-guerre - et pratiquement avec d'autres personnages - que Pierre Lemaitre nous transporte dans ce second volet. Bien que le recueil soit volumineux, la plume reste fluide et précise, ce qui rend la lecture enivrante et passionnante. Les références historiques sont nombreuses et parsèment l'ouvrage efficacement pour éviter la politique-fiction. Ce qui avait réussi précédemment revient avec autant de vigueur et de génie si ce n'est, peut-être, la profondeur de caractère et la sensibilité de certains personnages principaux, ce qui - reconnaissons-le ! - aurait été une véritable prouesse littéraire.
La subtilité de l'oeuvre repose sur le caractère vengeur et instable de Madeleine forgé par l'effondrement de son monde dont on ne sait réellement quand celui-ci a commencé à s'éroder. La femme qui subit les épreuves de son existence de jeune bourgeoise, les unes après les autres et dès le début de l'ouvrage précédent, devient bourreau face à l'adversité que lui propose depuis toujours un monde impitoyable, à l'image de son mari Pradelle dont elle fut le bourreau après en avoir été la victime. C'est sur ce postulat, légèrement sous-entendu à la fin de Au-revoir là-haut, que se fonde la trame du second volet: d'abord victime d'un monde qui change, libéral et suspicieux de la vieille République quand elle incarne la vielle bourgeoisie de l'avant-guerre dans la première partie de l'histoire (1927-1929), elle devient bourreau et vengeresse avec brio et méthode dans la deuxième partie (1933) bien plus rythmée et dense.
J'ai aimé Au-revoir là-haut et c'est donc sans surprise que j'ai aimé Couleurs de l'incendie. Avaler 500 pages en deux jours témoigne généralement de manière assez positive et je ne recommanderai donc jamais assez à celui qui a vécu une belle expérience avec le premier volet de se jeter sur le second avec avidité.