Le vieux conteur du Maine.



Stephen King est, de tous les écrivains que j'ai pu découvrir, celui qui raconte le mieux les histoires. Lors de ma première lecture, le volumineux recueil de nouvelles « Brume », je me rappelle de ce sentiment de sidération fabuleux et extrême qui m'avait gagné, alors que je découvrais à peine les charmes polymorphes du fantastique et des littératures de l'imaginaire. C'était au collège, et même si je suspecte de ne pas avoir pu jouir de toutes les richesses de cette lecture, ce fut déterminant puisqu'aujourd'hui, c'est l'auteur que je lis le plus et un pour lesquels je cultive un respect inébranlable (notez que j'ai réussi à caler le verbe « jouir » et l'adjectif « inébranlable » dans la même phrase). Ma prof de français de l'époque (la meilleure !) m'avait raconté sa découverte, toute jeune et alors qu'elle était malade, de Lovecraft et de la terreur fascinée qu'il avait fait naître chez elle. Ce ne fut peut-être pas si différent pour moi : c'est juste arrivé, cet hiver de quatrième, au cours d'une soirée bien froide. Et ce que j'ai développé, cette sorte d'infection chronique magnifique, n'a cessé de croître au fil des ans. C'est vous dire désormais l'immense et sincère plaisir que j'ai à lire un Stephen King.
Et son image, au fil de mes lectures, piochées éclectiquement dans la longue (et miracle ! inachevée) bibliographie, a aussi évolué. de l'écrivain extrêmement doué à faire vibrer mon imagination, il est tout simplement devenu ce conteur désormais légendaire, invocateur de toutes les légendes et créatures de son imagination, transcripteur halluciné de la vie dans ce qu'elle a de plus vrai. Qu'il nous parle de l'enfance, du rock'n'roll, de l'alcool, de la religion ou bien du meurtre, il le fait avec un tel brio que c'en devient juste impossible à vanter.
Tout ce long discours pour vous glisser simplement ceci : « Cujo », comme la plupart des livres de King, est magnifiquement bien raconté et vibre d'une réalité palpable. Il ne déroge pas à la règle, et est un pur plaisir à découvrir. Je n'ai, franchement, jamais lu un auteur qui parvienne à ce point à lier divertissement, intelligence et forme avec autant de brio.
L'histoire de ce chien ne m'excitait pourtant pas des masses. Tout comme l'histoire de « Duma Key » ne me faisait pas rêver. Mais la magie et la maestria opèrent.


Comment un chien enragé te fait parler du mal autant que des couples.



Marrant comme « Cujo » peut être trompeur. Cette histoire de chien n'est au final pas vraiment au centre du récit : elle n'est qu'une raison pour parler de la vie. Cujo est effectivement « enragé », par le virus ou par le mal qui s'est glissé à Castle Rock, à vous de choisir, et Cujo va effectivement bouffer de la chair humaine. Mais Cujo, ce n'est pas lui qui s'envole avec le récit. Non, ce sont tous ces personnages, tellement humains et tellement faillibles. Ces personnages qui à la fois peuvent vous décevoir amèrement comme devenir de véritables figures héroïques. On peut voir dans Cujo une figure féministe, c'est en tout cas ce que j'ai lu ici et là. Je ne peux que partager, dans une certaine mesure, l'assertion. On peut tout de même remarquer que King fait l'effort de présenter deux femmes très différentes, qui loin d'être définies par leur mari ou leur enfant, sont exactement l'inverse : prismes par lesquels l'histoire et la vie sont perçues. L'entreprise est réussie, et Donna Trenton se révèle effectivement valeureuse et passionnante.
King nous raconte ici des dizaines de situations fortes, autant de pistes de réflexion amenées avec douceur. Parmi eux, les violences conjugales ou l'adultère. Ces situations sont d'une justesse rare et, loin d'alourdir la lecture, la rende vivifiante.


Quelle chaleur !



Que vous dire d'autre sur « Cujo » ? Je ne sais pas vraiment. « Cujo », malgré son épaisseur tout à fait raisonnable, est très loin d'être le roman le plus simple à lire de King. D'une part à cause de sa densité : les thèmes sont nombreux, les pensées inarrêtables et le résultat massif. Et ceci est à mettre en relation avec l'histoire, qui d'un pur point de vue narratif, « d'action » est extrêmement mince. le livre est riche, mais finalement peu mouvementé. Les joyaux ne se cachent pas dans le carcan esquissé par la quatrième de couverture. Et enfin à cause de la structure du récit. « Cujo » est traître : c'est un roman dans le roman et ceci dans plusieurs plans ( ça part loin, pardon). Et ces « différents romans » se chevauchent parfois, se succèdent d'autre fois :


C'est l'histoire d'un chien enragé bien nerveux (le comble quand on a la rage !) / C'est l'histoire de deux familles mises à l'épreuve par les aléas du quotidien.


C'est l'histoire de la famille Trenton (Donna Trenton) / C'est l'histoire de la famille Camber (Charity Camber).


C'est une satire du quotidien se déroulant à Castle Rock / C'est un huis-clos dans une voiture.


C'est l'histoire d'un chien enragé qui diffuse le mal à Castle Rock. / C'est l'histoire de Castle Rock et son mal dont Cujo n'est que le symptome.


Bref, les symétries de construction et les dissections du livre peuvent être nombreuses, mais je ne veux pas vous gâcher le plaisir.


« Cujo » est le roman d'un été, l'été le plus chaud depuis cent ans ! Alors tant qu'à faire, respectez le et lisez-le dans la fournaise de juillet (ce que j'aurais aimé faire, avec du recul). Croyez-moi, vous n'allez pas être déçu du voyage.

Wazlib
8
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le 1 avr. 2017

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Wazlib

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