Je rattrape un sérieux retard en lisant Cyrano de Bergerac, bon pourvoyeur de phrases et citations : “Mais on n’abdique pas l’honneur d’être une cible” ; “Molière a du génie et Christian était beau” ; “C'est un peu court, jeune homme”, etc. On pourrait en relever d'autre, tant Rostand est doué d'un évident sens de la formule ; je ne relèverai, à titre d'exemple, que le très drôle “On ne peut voir passer un pareil nasigère / Sans s'écrier : « Oh ! non, vraiment, il exagère !”.
Autre caractéristique plus étonnante (pour le profane), c'est le jeu constant avec l'intertextualité. Le choix du protagoniste l'indique déjà assez, et celui-ci se lance d'ailleurs dans une mémorable tirade qui fait un joli clin d'œil à l'Histoire comique des États et Empires de la Lune. D'Artagnan s'illustrera même par un caméo, cependant que Molière se verra décocher un trait dans le dernier acte. Contrairement aux pièces raciniennes qui se meuvent dans des antichambres abstraites, ou aux pièces romantiques qui jouent le jeu de la reconstruction historique, Cyrano… n'hésite pas à jouer du décalage temporel—ainsi peut-on voir un personnage s'interroger sur l'avenir du journal en lisant La Gazette de Renaudot, clin d'œil évident à la France de la fin du XIXe où le journal est roi.
Ceci étant dit, la multitude des bons mots et l'omniprésence de Cyrano donne parfois l'impression que tout le reste (par exemple : l'intrigue) est superfétatoire, et ne sert que d'écrin à une série de scènes drolatiques ; de même, l'on ne peut se défaire d'une certaine impression de facilité (comment ne pas louer Cyrano ? comment ne pas se sentir soulevé par le panache cocardier d'Hercule-Savignien ?).
En bref, comme le disait F. Mauriac—“j'aurais eu honte d'être vu par nos cadets à Cyrano de Bergerac, un soir qui n'était pas un soir de gala et où j'étais sans excuse de me trouver, puisque je n'y pouvais être que pour mon plaisir”.