Dans la forêt
7.8
Dans la forêt

livre de Jean Hegland (1996)

L'apparition de ce livre sur les présentoirs de librairie en ce début 2017 m'avait pour le moins intrigué. Son titre, d'une simplicité presque banale, inaugurait un contenu mystérieux, sensation renforcée par l'épure bleutée de sa couverture. Du génie marketing sans doute, mais l'envie de défricher cet objet fut déjà implanté dans mon esprit. Une rapide recherche sur internet plus tard, je découvris que Dans la forêt fut publié en 1996, et qu'il était en réalité un inédit en français, encore jamais traduit malgré son succès retentissant à l'époque aux États-Unis.
Curiosité satisfaite, promesse d'un livre original, n'en dites pas plus, le voilà derechef sur ma table de chevet, prêt à délier les secrets de sa nature...


En parlant de promesse, la trame du roman proposait aussi de l'alléchant. Un univers post-apocalyptique, voire d'anticipation, classique de la littérature certes, mais creuset idéal pour une plume volontaire et inventive; ainsi qu'un style intimiste, presque susurré. Un parent de La Route de Cormac McCarty me dis-je, en plus rustique. Livre-refuge, narrait même les critiques. Émotion garantie, sensualité débordante, chaos, etc... Diable, les qualificatifs jaillissaient !


-


Et ce fut le drame. Tromperie sur la marchandise ! Je n'ai pas dû lire le même livre qu'eux.
Où ils perçurent de l'émotion, je tombai sur de la fragilité, débordante, à chaque pages et chapitres. Les phrases vacillent, les mots doutent et finissent de s'évaporer à notre attention amoindrie au fil de la lecture. Car Rien ne semble en place dans ce roman. L'équilibre est instable, parfois l'idée débouche sur une jolie formule mais une banalité confondante inonde le récit. L'incongruité espérée en prit un sérieux coup. C'est d'autant plus dommage qu'un canevas pareil devrait ouvrir les perspectives, et sur le fond et sur la forme, mais l'écriture de Jean Hegland au mieux raconte, au pire chancelle, mais toujours ramollit une histoire résolument engoncée dans un style apathique.
Couverture épurée peut-être, épuration du style certainement !


Cependant, plus j'approchai la fin de l'épreuve, plus je fis un rapprochement diagonal. Cette écriture pataude, ses personnages livides, des décors en cartons-pâte, un monde doux-amer, lyrique mais pas trop, fébrilement désabusé, mais c'est bien sûr ! Le Cinéma américain ! Enfin, un certain cinéma américain. Plus précisément sa franche dite «indépendante», vous savez les films estampillé Sundance Festival: des petites histoires, bien souvent sympathiques d'ailleurs, recelant un charme certain malgré la modestie de leur projet.


Voilà, le parallèle fut évident. Dans la forêt de Jean Hegland pourrait appartenir à la Sundance littérature. Il en possède la forme, qui j'en suis sûr, plaira, et plaît, vu les critiques dithyrambiques ici et ailleurs.
Et soudain, le livre prit enfin sens pour moi. Son écriture est au fond raccord avec son sujet, son ambition: de petites poussées survivalistes et féministes, intéressantes en soi, plutôt qu'un souffle épique ébranlant le lecteur avide de grandes aventures. Et moi qui abordai ce roman comme je commence un London ou un Conrad, vous imaginez ma mauvaise surprise.
Quand je lis, je recherche l'admiration d'un style, vecteur formidable pour décupler l'histoire et l'immersion. Dans la forêt joue à l'abstraction, à la réflexion de salon champêtre, posé et calme au milieu des arbres.
Je préfère la latitude des grands espaces.

Mais il serait dommage de ne lire que des livres d'origine connue, et malgré ma déception, je suis relativement content d'avoir découvert non pas une forêt inconnue et gigantesque, mais un petit bosquet, entretenu, et faisant figure d'anomalie dans le paysage trop balisé peut-être de ce genre littéraire.

Liverbird
5
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le 1 juil. 2017

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Liverbird

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