Quand Vladimir Poutine succède à Dmitri Medvedev en 2012, il caresse un grand projet : faire des Jeux d’hiver de Sotchi, qui auront lieu deux années plus tard, un événement mémorable salué aux quatre coins du monde. La Russie n’a plus accueilli d’épreuves olympiques depuis la chute de l’URSS en 1991. Et le président, amateur de judo notoire, y voit une manière de renforcer le soft power russe. Par une organisation pharaonesque réglée comme du papier à musique, mais aussi à la faveur de médailles d’or glanées par tous les moyens, et même les moins honorables.


Dans Dopage organisé, Grigory Rodchenkov va expliquer précisément de quoi il retourne. Celui qui dirige alors le laboratoire antidopage de Moscou a lui-même eu l’occasion d’expérimenter dans sa jeunesse certains produits prohibés, du temps où il était coureur semi-professionnel. Travaillant à l’hôpital, sa mère avait accès à toute une série de médicaments capables d’améliorer ses performances ou ses capacités de récupération. Stéroïdes anabolisants, ampoules de propionate de testostérone, méthandrosténolone, Retabolil : nombreux sont les produits permettant d’augmenter sa masse musculaire, de pouvoir suivre un entraînement intensif sans s’épuiser, de commencer chaque journée de compétition en étant frais comme un gardon.


Ce qu’on ignorait en revanche, c’est à quel point les substances prohibées par l’Agence mondiale antidopage (AMA) s’écoulaient en masse, depuis des décennies, parmi les sportifs russes de haut niveau. Grigory Rodchenkov explique par le menu comment les contrôles antidopage étaient falsifiés, les échantillons sous scellé ouverts ou intervertis, les rapports officiels soumis à l’arbitraire et aux mensonges, le tout avec la complicité des autorités publiques, du Ministère des Sports et des services secrets. Ingénieur chimiste sorti de la prestigieuse Université d’État de Moscou, Grigory Rodchenkov évoque d’abord la VNIIFK, qui ne disposait d’aucun relai dans le monde sportif et ne savait dès lors pas quels produits chercher dans les tests des athlètes. Pour les JO de Séoul (1988), les sportifs soviétiques devaient arrêter les produits dopants quelques semaines avant la compétition pour éliminer toute trace suspecte dans leur organisme. Puis, Rodchenkov remplace Semenov au centre antidopage de Moscou, et les révélations deviennent encore plus croustillantes.


L’AMA est décrite comme une agence mal gérée, accordant une confiance et une latitude trop importantes à ses antennes locales. Pendant ce temps, à Moscou, la corruption, les falsifications, l’ouverture des flacons BEREG-KIT, les futurs contrôles antidopage éventés, les entraîneurs urinant pour leurs sportifs, les échantillons volontairement altérés ou encore les cocktails « Duchesse » forment l’attirail éhonté de la tricherie sportive. À Sotchi, les performances couronnées de succès de quelques athlètes naturalisés ne suffisent pas : il faut charger les poulains russes et effacer tout ce qui pourrait attester de leurs écarts. « Comme nous manquions de cas positifs, il nous fallait des victimes pour l’exemple, et je la signalai », confesse par ailleurs Grigory Rodchenkov au sujet de la biathlète allemande Evi Sachenbacher-Stehle, dont le test incriminant aurait pu, pour le même prix, être classé négatif.


Dopage organisé. Ces deux vocables disent tout de l’entreprise narrée par Grigory Rodchenkov – qui tempère cependant les méfaits du dopage tant sur la santé qu’en termes d’équité sportive. Un reportage de la chaîne télévisée allemande ARD mettra toutefois le feu aux poudres en dévoilant les dessous du sport russe. Depuis, l’ancien directeur de l’agence antidopage de Moscou est poursuivi dans son propre pays et s’est réfugié aux États-Unis. On l’a notamment accusé d’avoir dopé les athlètes à leur insu. Une affirmation désespérée, qui vise évidemment à masquer les collusions entre différentes agences russes pour organiser un système de dopage de masse. Pour en comprendre les tenants et aboutissants, cet ouvrage est, vous l’aurez compris, tout indiqué.


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Cultural_Mind
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le 27 juin 2021

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