Bram Stoker était, à bien des égards, un homme de son temps et de son milieu. Né dans une famille protestante en Irlande (alors sous contrôle britannique), ayant fait ses études au Trinity College, il choisit pourtant à la demande d'un ami (Henry Irving), de devenir son imprésario et secrétaire, dans un milieu que la famille de Stoker réprouve, le théâtre.
Dracula, est aussi un roman de l'époque : il y est question de Charcot, de physiognomonie, de phrénologie, bref de quasiment toute la science de l'esprit humain, encore à l'état embryonnaire. Dracula, le personnage, est celui qui cristallise toutes les angoisses de l'élite victorienne (comme souligné dans la préface de l'édition que j'ai lu, l'Oxford World Classic) : celle sur les étrangers, les classes dangereuses, les aliénés (au travers du personnage de Redfield).A cet égard, l'ouvrage a vieilli au regard de l'un de ses prédécesseurs : Frankenstein, qui m'a semblé bien plus actuel dans ses thématiques et leurs utilisations.
La comparaison ne s'arrête pas là. Les deux romans tendent, chacun à leurs manières, à dépasser la littérature gothique. Tandis que la créature du docteur Frankenstein se révèle sensible, et presque philosophe au contraire des monstres et fantôme de la littérature gothique, dans Dracula c'est la structure du récit composé de lettres, de journaux intimes, et d'articles de journaux, qui marque la différence avec le roman gothique classique, tel qu'il a été conçu à la fin du XVIIIème siècle.
Plus intéressant cependant est le sort réservés à ses deux mythes modernes : la créature de Frankenstein, de l'être intelligent, s'exprimant correctement, deviendra dans le cinéma d'horreur, capable de seulement quelques grognements, et la folie du docteur Frankenstein sera souligné (et moqué comme dans le Frankenstein de Mel Brooks). Dracula gardera pour l'essentiel, et dans une grande partie du cinéma et de la littérature, disons, vampirique, ses traits particuliers selon les moyens (il n'est pas aisé de représenter une transformation en brouillard, l'un des pouvoirs les plus inquiétant de Dracula), et la perspective envisagé.
Si Bram Stoker n'a pas inventé le vampire (outre la littérature il est bon de noter que Voltaire se moque déjà des superstitions sur l'existence de vampire dans son Dictionnaire philosophique), il en a fixé quelques traits, qui serviront à la réinterprétation de ce qui apparaît comme un mythe moderne.