Dans nos représentations sexuellement normées, le sport est souvent une affaire d’hommes. « Regarder un match de football » possède un sous-entendu masculin criant, puisque ceux qui suivent les performances de Megan Rapinoe et ses coéquipières, récentes Américaines championnes du monde, s’adonnent aux plaisirs du « football féminin ».


En apparence, la différence est ténue, presque insignifiante : elle tient en un adjectif.


Mais en réalité, l’ajout du qualificatif « féminin » renvoie à tout un système d’impensés conditionnant notre appréhension collective du sport. Ce dernier est presque toujours d’abord pensé comme un lieu de socialisation des hommes (sauf exception notable telle que la gymnastique) et comme une compétition virile.


Béatrice Barbusse, sociologue et ancienne handballeuse de haut niveau, pointe deux formes de sexisme dans le sport : hostile et ordinaire. À la lecture de son essai, on peine toutefois à savoir laquelle de ces deux formes se montre la plus douloureuse et/ou pernicieuse pour les sportives.


Tout le monde se souvient des déclarations malheureuses de Laurent Blanc ou Pierre Ménès diminuant honteusement les femmes. Peu se soucient en revanche de la stéréotypisation des comportements qui, dès le plus jeune âge (notamment via les jouets genrés), amène la moitié de l’humanité à se fermer virtuellement certaines portes et l’autre moitié à se conforter dans l’idée qu’il est normal, logique et rationnel que certains sports/postes/systèmes plantureux de rémunération demeurent l’apanage des hommes.


Cet essai a été construit en se basant sur des expériences personnelles (les fameuses « notes de terrain » de l’auteure), sur des témoignages, mais aussi sur des observations, des statistiques ou de l’analyse théorique.


Béatrice Barbusse évoque les violences sexuelles dans le sport, explique comment le sexisme peut devenir une source de souffrances bio-psychosociales, raconte l’instrumentalisation du corps des sportives par le marketing et retrace une brève histoire genrée du sport.


Elle revient longuement sur l’alliance (parfois dichotomique, jamais facile à assumer) femme/sportive, sur le poids de la sémantique dans l’édification d’une réalité sociale (homme ou femme, un défenseur reste un défenseur), sur la suspicion de lesbianisme à l’encontre des sportives, sur les tenues (être féministe malgré le voile, les athlètes devant s’astreindre au port d’une jupette, etc.)…


Béatrice Barbusse a vécu personnellement nombre de vexations. Parce qu’elle est une femme, elle a été invisibilisée lors d’un rassemblement inter-fédérations. Elle a fait l’objet de moqueries machistes. Vu ses compétences remises en question. Elle a été prise pour « la femme du président », alors qu’elle était à la tête d’une équipe professionnelle de handball et s’était présentée à ses interlocuteurs comme telle.


Pour autant, la sociologue perçoit quelques signes encourageants : le sport se féminise lentement mais sûrement, les chiffres d’audience des rencontres féminines sont honorables (quand la presse daigne couvrir les événements), FIFA 2016 a introduit douze équipes féminines, etc.


Ce n’est toutefois pas suffisant pour faire oublier les inégalités de représentation observées dans les postes d’agents, de cadres d’institutions ou de clubs, d’entraîneurs, d’arbitres ou de journalistes, et encore moins quand on sait que ces iniquités sont parfois justifiées par des arguments fallacieux comme le « manque de candidatures » ou par une suspicion systématique d’incompétence…


C’est d’autant plus dommage, comme le rappelle judicieusement l’auteure, que le retour sur investissement peut s’avérer très profitable : Jean-Michel Aulas a ainsi remporté la Ligue des Champions féminine avec un budget de quelques 5 millions d’euros (7,5 millions d’euros d’après les dernières données disponibles, ndlr).


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le 6 mars 2020

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