Stephen King, tu as débuté ta carrière d'une façon prodigieuse, puisque tu t'es attelé à faire trembler ton pays autant que le monde entier de façon intelligente. Face à la peur, tes personnages et tes lecteurs ont pu percevoir ce que la nature humaine a de plus complexe et passionnant. Habitués à la terreur de haut vol, inégalée de finesse et doublée d'un talent de conteur maintenant devenu légendaire, on a pu suivre les thèmes qui te sont chers au gré de ce qui a marqué ta vie. Alors que *Shinning* mettait l'alcoolisme et la perte de contrôle au centre, *Simetierre* transgressait le deuil. Tu as exploré la relation liant l'écrivain à son lecteur, plusieurs fois, grace à *Misery* et à nombre de tes nouvelles, tu exprimes ton avis sur la peine de mort par une magistrale *Ligne Verte*, tu t'évertues à dépeindre le plus justement possible ce que c'est d'être humain, grace à *Ça*, qui est un témoignage sur l'enfance prodigieux... 
Bref, je ne vais pas faire tous tes bouquins, car cela prendrait bien du temps et n'aurait que peu d'intérêt, mis à part celui de montrer que ton oeuvre couvre bien des domaines et est multifacettes. Et ce, même dans le choix de ton style et tes histoires. Si la terreur fine et viscérale te caractérisait au départ, tu as évolué. Tu as tout d'abord émaillé ton parcours de divertissements dignes de séries B (souvent retrouvés dans les recueils de nouvelles), et t'es attaché à jouer l'écrivain schizophrénique, chiant une moitié pas toujours intéressante mais certes plus violente, **Richard Bachman.**
Mais plus tu vieillis, Stephen King, meilleur tu deviens à mes yeux. Avec des bouquins comme *Histoire de Lisey, Dôme, 22/11/63* ou encore *Joyland*, tu gagnes un fabuleux côté "humain", même si le terme me parait inapproprié. Il y a désormais dans tes livres une moins grande précipitation à faire frissonner tes lecteurs, et un souci plus grand d'écrire une "belle histoire". Et tu y arrives formidablement bien. C'est magique. On pleure, on soupire de plaisir, de nostagie, de bonheur...
Voilà ce que je tenais à dire sur toi Stephen King, car *Duma Key* fait évidemment parti de tes livres "récents", d'une de tes périodes d'écriture les plus belles. Que puis-je donc dire sur ton joli bouquin? En premier lieu, je pense souligner le trépied sur lequel s'appuie aisément ton histoire, fondamental et génial: Edgar Freemantle, Jérome Wireman et Duma Key. Si bien d'autres éléments secondaires gravitent autour (Libbit, Ilse, Kamen, Jack...), c'est clairement sur ces trois pulsations que se joue le morceau. Edgar est le narrateur de cette histoire, attachant au possible, car peu épargné par l'auteur qui nous fait vivre son calvaire autant que sa renaissance sur l'île en tant qu'artiste. Wireman, lui, est un des personnages les plus charismatiques jamais décrits par Stephen King. Restant obscur pendant une bonne partie du bouquin, le personnage dévoile ses mystères au rythme de sa personnalité compliquée et permet à Stephen King d'aborder un thème somptueusement exploité ici: l'amitié. Rarement vue dans son oeuvre, il sera difficile pour toi, lecteur, de ne pas adhérer à ces moments de sincérité touchants et toujours un peu tristes (c'est ce qui arrive lorsque l'on parvient à créer une illusion aussi habile de la vie).
Et évidemment, il y a Duma Key, l'île paranormale, avec laquelle je prends des pincettes pour ne pas en dévoiler trop sur l'intrigue de King. Havre de créativité, la force à l'oeuvre sur ce bout de terre transforme Edgar Freemantle en peintre talentueux, mais semble en vouloir plus. Si vous voulez en savoir plus, lisez. Surtout que les fictions prenant place hors du Maine sont rares avec King...
Stephen King s'appuie comme à son habitude sur le paranormal pour développer un argumentaire solide, sur des processus comme la création, le pouvoir de l'art, la dépendance de l'artiste à son oeuvre et la partie fondamentale qu'il y laisse. Le tout est très fluide, et s'écoule sans que le lecteur s'en rende compte. King livre des réflexions très intéressantes, mais jamais barbantes. Franchement, un tour de maître, quand on mesure l'étendue de ce que le vieux conteur du Maine avait à nous dire.
Récapitulons: Duma Key est indiscutablement un *page-turner* orgasmique, abordant avec une beauté de l'écriture et du propos des thèmes fort intéressants et très fouillés. On rajoute à ça des personnages et un décors sans faute, et voilà pour l'instant ce que je décris du bouquin. Pourquoi ne pas mettre un 10/10, alors? Pour quelques défauts, qui ne ternissent certes pas l'image fabuleuse que je garde de cette lecture, mais qui existent bel et bien.
Premièrement, le bouquin est globalement trop long. Si la première moitié du livre passe assez vite, on remarque immanquablement que Stephen King prend son temps dans ce livre. Ainsi, on ressent une légère lassitude passées les 400 pages. Mais ceci ne serait rien si l'on n'avait pas parallèlement une baisse de niveau considérable lorsqu'approche le dénouement de l'intrigue. King prend soudainement un ton précipité, change majoritairement d'époque pour tenter de justifier un présent jusqu'ici sans fautes. Et c'est dans ces pages que l'on verra un peu du King d'antan, puisqu'il y glisse des images d'horreur assez efficaces.
"Efficaces", c'est parler vite... Si les scènes d'horreur font effectivement le travail, glaçant le lecteur et lui confirmant que même vieillissant, King en a encore sous le capot; elles paraissent légèrement hors de propos, comme toute la fin du bouquin. King accélère le rythme, monte dans les tours, et il faut le dire, cale le moteur. Le lecteur ne comprend pas vraiment où on le mène, et la fin semblera évidemment téléphonée. Comme si King se devait de partir dans l'horreur et d'en ramener une explication claire, dommageable et en inadéquation avec le reste du livre.
Globalement, avec cent ou cent-cinquante pages en moins, et une fin plus travaillée, le bouquin aurait été parfait.
Et enfin, un dernier point, que je cache sous la rubrique SPOILER, pourquoi, bon dieu, pourquoi King a attrappé la sale manie de dévoiler des éléments primordiaux de l'histoires deux cents pages avant qu'ils n'arrivent, cassant complètement l'éffet dramatique de la chose?

Je parle évidemment de la mort d'Ilse, que l'on apprend au détour d'un paragraphe, deux cents pages avant. L'effet recherché n'était certainement pas celui que j'ai vécu, puisque cela m'a un peu salopé l'évènement...


En conclusion, Duma Key est formidable. Pièce majeure du King des nouveaux jours, ce roman révèlera au lecteur attentif des dizaines de merveilles et lui fera (re)goûter, je l'espère, à des délices tels que l'amitié ou l'excitation précédant la création. Fortement recommandé, donc. Vous l'aurez compris.
Wazlib
9
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le 13 juil. 2015

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Wazlib

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