Élodie Cordou, la disparition publiée avant Élodie Cordou, une présence : la dame s’est absentée avant d’apparaître. On n’en sait pas davantage sur elle, sur ses deux dernières rencontres avec le narrateur. Dans Une présence, on ne saura pas vraiment qui était exactement cette – métaphorique ? – Élodie Cordou. Dans sa Disparition, elle a des choses à dire au – et du – narrateur, elle a quelques traits de caractère, elle a une histoire, à défaut d’être détaillée : car « Aucun de ceux qui conserveraient au fond d’un tiroir ou dans un album approprié l’un ou l’autre ou même plusieurs de ces clichés qui nous montraient encore jeunes, fringants, délurés mais dont la rigidité photographique nous avait déjà figés pour toujours dans la rigidité cadavérique, aucun ne pourrait se prévaloir d’en détenir un seul sur lequel il serait possible, même noyée dans un très grand flou, de distinguer la silhouette, encore moins d’identifier visage d’Élodie Cordou » (p. 19).
Élodie Cordou est peut-être notre jeunesse disparue, que l’on rêvait pure, intellectuelle et éthérée, voire géniale aux limites de la folie, passée aux terrasses des cafés, mais aussi « comme aimantée par la peinture, au point que plus d’une fois celle-ci a orienté sa façon d’être, agi sur sa perception du monde et, de là, sur son propre destin » (p. 11-12). De tels goûts, naturellement, ne sont pas partagés par une famille cent fois lue et relue, mortifère et matérialiste évidemment, notamment par un frère « jamais fatigué d’avoir raison » (p. 25) : « Pour les siens Élodie Cordou a mal tourné, voilà ce qu’ils s’acharnent à rabâcher depuis des siècles maintenant, Jean-Maximilien Cordou, Cordou fils, en tête, comme savent si bien le rabâcher depuis des siècles les prêtres, les juges toujours ; les médecins aliénistes aussi, souvent » (p. 48).
Cela, bien sûr, a toutes les apparences d’un cliché. Mais d’une part, Pierre Autin-Grenier n’en est pas dupe : le texte se clôt sur la phrase « Ou, pour tout dire, rien » (p. 53), ce qui dans son cas relève davantage de la profession de foi esthétique que de la pirouette vaguement stylée. D’autre part, il est toujours redoutable quand il s’agit de faire rendre gorge aux clichés, de les cajoler, de les malaxer jusqu’à ce que s’en exprime ce qu’ils renfermaient d’authentique et de simple à la fois. Élodie Cordou, la disparition ne réinvente rien, pas plus que les tableaux de Ronan Barrot qui en partagent les pages ne réinventent la peinture ; mais on y trouve ce rappel que les mots sont la matière première de la littérature, laquelle est avant tout un regard porté sur le réel.

Alcofribas
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le 8 févr. 2018

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