"je prendrais toutes les souffrances avec moi,s’il le fallait,toutes,puisque j'ai tous les bonheurs"

Eté 1916, été des seize ans de Vincent, « né avec le siècle », trop jeune pour partir à la guerre, qui profite de son insouciance, de sa liberté, de son inépuisable envie de vivre, de sa capacité à n’être ni dans le regret du passé ni dans l’angoisse du futur, ce merveilleux état d’esprit que l’on ne connaît que lorsque l’on a seize ans. Il fait la connaissance de Marcel, l’écrivain inconsolable et d’Arthur, le soldat inconsolé. Il entame une amitié avec le premier, un amour avec le second qui cherchent, chacun à sa manière, dans la liberté des seize ans de Vincent, quelque chose qu’ils n’ont plus en eux.

Au rythme des rencontres, des étreintes et des échanges, l’auteur fait évoluer ses personnages subtilement mais de façon irréversible. Arthur qui lutte contre la guerre qu’il trimballe partout avec lui, à laquelle il essaie désespérément de s’arracher ne serait-ce que pour quelques instants, tout en sachant qu’il y retournera. Marcel qui a cessé de croire en l’avenir et qui se tourne vers le passé, seul lieu de réconfort. Vincent, toujours à l’écoute, prêt à tout endurer, tout entendre car il est persuadé que son insouciance se chargera de débarrasser les autres de leurs peines, apprendra au fil du livre que lui non plus, n’est pas capable du détachement qu’il veut afficher.

C’est court, c’est vif, ça prend aux tripes et ça fait mal. Le soldat n’est plus, dans le roman, cette image que l’on préfère avoir du héros parti sauver sa patrie. Le soldat c’est un homme, juste un homme, frustré de n’avoir pas assez vécu la vie que l’on mène à vingt ans, enseveli d’avoir trop enduré l’horreur, la mort dont il a honte qu’elle devienne une habitude, la peur.

L’écriture est un témoignage, en lettres ou dans un cahier, dépourvue de dialogues qui sont tous rapportés, comme pour prendre une distance avec ce récit duquel il est pourtant impossible de se détacher. Ce style laisse la place à l’analyse du narrateur qui semble choisir, peser exactement chaque mot qu’il notera, et pourtant il semble tout écrire.

Ce livre c’est aussi l’invraisemblable distance entre ceux qui préfèrent oublier la guerre, parce qu’ils n’y sont pas et ceux qui ne peuvent pas faire autrement que de la vivre, parce qu’eux ou leurs proches y sont. Douloureux rappel de ce que nous vivons tous les jours, quand les infos préfèrent nous parler de neige en mars plutôt que de ceux qui meurent à quelques milliers de kilomètres de là. C’est tellement plus simple de faire semblant d’ignorer, que d’affronter cette indicible horreur que « Personne que nous [soldats] ne peut comprendre.».

On reprochera peut-être, pour chipoter un peu, une légère, très légère tendance au romanesque qui, bien qu’elle s’insère parfaitement dans le récit, n’avait pour moi pas d’autre utilité qu’une petite pirouette pour justifier la fin. Mais après un récit si poignant, après l’horreur décrite, peut-être que cette pirouette, c’est le moyen pour l’auteur de nous rappeler que ce n’est qu’un roman, qu’on peut le refermer, passer à autre chose et oublier ce que l’on ne pourra - voudra - peut-être pas comprendre parce que cela fait trop mal.
Nomenale
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le 11 avr. 2013

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Nomenale

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