Essai sur les données immédiates de la conscience par Geneticien

Fait étonnant : ceci est la première critique sur ce site de la thèse d'un jeune philosophe nommé Henri Bergson. L'étonnement s'arrête t-il à celui des "First" postés sur chaque vidéo youtube par les plus jeunes d'entre nous ? Non. Il prend tout sens lorsque l'on sait que Bergson est un immense penseur et que l'essai redéfinit la totalité de la tradition philosophique antérieure et postérieure.
Alors quelle est la singularité de l'essai ? Bien sûr, pour Bergson, on n'est jamais tenu de faire un livre, et chaque livre qu'il a écrit a été fait comme s'il était le seul. Pourtant, en parallèle, il y a une intuition fondamentale, la durée, dans laquelle l'auteur se replonge à chaque fois pour s'attaquer à de nouveaux sujets.
L'oeuvre se divise en trois chapitre :
1. De l'intensité des états psychologiques
2. De la multiplicité des états de conscience. L'idée de durée
3. De l'organisation des états de conscience. La liberté.

Dans le premier chapitre, Bergson entend traquer des moments d'amalgame dans notre vie psychique. Amalgame entre quoi et quoi ? Entre le qualitatif et le quantitatif. C'est à dire lorsque nous considérons quantitativement (selon des parties extérieures les unes aux autres, ou selon des degrés que l'on ferait varier) des objets qui sont en eux mêmes qualitatifs (ici nos états de conscience, émotions, sentiments, envies, humeurs etc..), c'est à dire qui sont données d'un seul bloc et d'une seule teinte et pour lesquels le changement d'une "partie" équivaut au changement du tout.

Le deuxième chapitre est une tentative pour Bergson de cerner la notion de "durée" en la prenant à chaque fois dans des angles différents (la théorie de la multiplicité, la conception de l'espace et du temps chez les hommes et les animaux, la spatialisation du temps etc.). Parce que la durée est le temps réel, tandis que le temps traditionnel est toujours corrompu d'espace, et ne vaut que pour rendre l'action humaine efficace. Quitter l'espace et sa corruption du temps, c'est revenir au temps réel, qualitatif, la durée.

Enfin, le dernier chapitre prend toute la mesure de cette opposition entre l'espace et la durée sur un problème précis, celui de la liberté. Problème qui n'existe pour Bergson que dans la mesure où l'on cherche à définir la liberté avec un concept de temps bâtard, c'est à dire enfanté par l'espace. Si l'on retourne à la durée, la liberté devient un fait : une donnée immédiate de la conscience.

Bergson reproduit ici d'une manière à chaque fois originale mais familière, la critique de l'espace, la nécessité de penser en dehors de l'espace qui n'est, pour Bergson, qu'une conception pratique, utile à la vie et à l'action, qui déforme le monde pour le plier à l'intérêt humain. L'intelligence humaine est géométrique et spatiale. Mais elle s'applique à des phénomènes qui n'ont rien de géométrique et rien de spatial (comme la joie par exemple : il y absurdité pour Bergson à dire "Je suis plus joyeux qu'hier", la joie n'est pas susceptible d'une description en terme de grandeur...), comme les phénomènes psychologiques (ou les êtres vivants dans l'Evolution Créatrice, oeuvre du même auteur).

A la fin de sa vie Bergson a longuement insisté sur la valeur méthodologique de son travail, et c'est vrai qu'une grande part de son oeuvre consiste à lever des obstacles que la philosophie ou la science avaient levés. Pour reprendre une formule que Bergson pique à Fénelon : Nous soulevons la poussière et nous nous plaignons de ne rien voir ! Mais si chaque oeuvre du philosophe possède une part négative de levée de l'obstacle, elle finit toujours sur une application positive de ses intuitions, comme en témoigne cet essai, véritable discussion avec la psychologie de son époque (et de nombreux échos à la psychologie actuelle se compromettant avec les neurosciences), aboutissant à une caractérisation inédite de la liberté et à une réfutation de son problème, en tout cas tel qu'il est posé par la tradition philosophique jusqu'à Bergson.
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le 30 mars 2013

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