J'étais un peu réticente à lire ce pavé vu le résumé (une histoire de syndicat dans le secteur forestier, bouarf...) mais j'avais lu à gauche à droite qu'il écrivait dans le style de Faulkner et j'adoooooooore Faulknerhaaaaaannn. Je confirme d'ailleurs et c'était très agréable car non seulement l'histoire est moderne mais le vocabulaire aussi, c'est donc plus facile à lire.
En fait cette grève c'est juste la toile de fond, c'est avant tout l'histoire de deux frères qui ne se ressemblent et ne se comprennent pas. L'un est un jeunot intellectuel, l'autre un gros bras avec un bon fond. Pourtant, malgré ça et une pomme de discorde entre eux, il reste une forte attraction fraternelle qui jalonne tout le récit et crée un joyeux bordel.
Pour en revenir au style inspiré de Faulkner, le récit est aussi polyphonique : on suit les évènements au travers du regard de différents personnages. ça les rend très réalistes, on comprend/ressent pourquoi il y a des quiproquos, des rancœurs, etc. ce qui n'est pas toujours rendu avec autant de justesse quand on a un narrateur unique ou omniscient. Sans compter l'effet comique des interprétations radicalement divergentes d'un même événement (la bagarre dans le bar par exemple).
C'est aussi un livre riche en sensation :
j'ai cru que j'allais pas me remettre de la mort d'un personnage à la fin, à la fois pour l'acte désespéré de celui qui essaie de le sauver mais aussi parce que c'était un personnage atypique et extrêmement attachant.
Seul (très gros) bémol : les femmes. Elles sont présentes mais servent de support/objet à l'histoire sans y prendre part, totalement passives ou inefficaces dans leurs tentatives de faire évoluer les événements. La scène finale est assez parlante à ce sujet, on dirait une petite chienne qui aboie pendant que deux personnes se disputent : c'est l'étincelle qui a lancée l'engueulade, ça fait du bruit, on sait que c'est là mais on aimerait bien que ça dégage parce qu'on est occupés là! Elles n'ont pas de but dans la vie si ce n'est procréer, faire la bouffe et s'occuper des enfants. Seule l'indienne représente un personnage un peu complexe mais reste en marge de l'histoire. Alors certes on est dans un contexte très patriarcale et ça ajoute au réalisme, mais ça n'empêche pas de faire des personnages féminins avec de la profondeur, voire tout simplement actifs. On dirait que l'auteur est incapable de se mettre dans la peau d'une femme ou d'en extraire autre chose que les clichés qu'il en a, c'est l'impression qu'il m'a donné également dans "Vol au dessus d'un nid de Coucou".
Sans ça c'était du niveau du Bruit et la Fureur à mes yeux, un chef d’œuvre.