Antonio Moresco est un des auteurs à suivre en ce moment. A la rentrée 2014, il avait connu un succès surprise mérité pour La Petite Lumière, conte à mi-chemin entre le réalisme et la métaphysique, laissant entrevoir une frontière poreuse entre la vie et la mort, entre la réalité et l’imaginaire. Fable d’amour exploite ce même « réalisme magique », en traitant cette fois du thème de l’amour, dans un lieu urbain (La Petite Lumière se déroulait dans une montagne boisée) et avec le style de la fable.


L’écrivain italien y fait à nouveau la preuve de son talent de conteur. La situation initiale semble trop facile : c’est une histoire d’amour entre un vieux clochard et une jeune fille. A la question : pourquoi tombent-ils amoureux ? il n’y aura aucune réponse ; car il s’agit bien d’une fable, avec des personnages et des lieux typés, des mots et des dialogues simples. Un amour direct et franc apparaît, comme dans les contes. Ce qui fait la saveur du livre, c’est ce style du conte : lors d’une première partie (la rencontre, puis la vie en couple), ce style rappelle les histoires pour enfants ; mais ensuite, après la rupture, la mort, l’entrée dans la ville des morts et les retournements que je ne vous raconte pas pour ne rien vous gâcher, le style du conte apparaît en opposition avec la violence et la profondeur du récit.


Ce livre échappe aux catégories : ni longue nouvelle ni court roman, il renouvelle le genre de la fable, tout en le complexifiant intensément. Arrive un moment où l’on n’est même plus surpris de suivre les pensées d’un pigeon qui est en réalité un passeur entre la ville des vivants et la ville des morts. La maîtrise semble parfois se marquer par la concision, mais l’abondance des répétitions au cours du récit (elles sont évidemment voulues) rappelle le rythme lancinant des anciens récits mythologiques ou des chansons.


Bien des lecteurs seront déroutés. Car Fable d’amour est moins consensuel que La Petite Lumière : alors que celui-ci se déroulait dans un lieu apaisé et tranquille, loin de la société moderne, celui-là nous fait entrer en plein dedans, montrant des individus rejetés et devenus solitaires par échec ou par dégoût. L’auteur nommera les poux, les furoncles, les morpions, les solutions pour déféquer quand on est dans la rue. La ville paraît en toile de fond comme une sorte d’enfer, où ne passent que des couples, joyeux quand ils sont éméchés, se disputant quand ils sont sobres. Ce tableau n’est même pas compensé par une vision opposé, car la binarité avec la « ville des morts » n’en est pas une : dans la ville des vivants comme dans la ville des morts, les activités des hommes et des femmes sont les mêmes. Ce qui change, c’est néanmoins la couleur et les rencontres, donnant lieu à un univers fantastique très poétique.


Cela fait donc plusieurs raisons de lire ce livre. Verdier a prévu d’éditer prochainement Les Incendiés, qui d’après l’auteur est constitue un troisième volet d’une trilogie avec La Petite Lumière et Fable d’amour (Les Incendiés étant le premier à avoir été écrit), trilogie ayant pour thème ce fin passage entre vie et mort, et inversement. On a hâte de le lire. Ensuite viendra, on l’espère, Les Incréés, très long roman qui l’a enfin rendu célèbre en Italie, lui conférant le rang de maître, qu’il a mérité.


(J'ai écrit l'original de cette critique ici : http://wildcritics.com/?q=critiques/fable-damour-antonio-moresco)

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le 9 oct. 2015

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