Alliance de froideur et de romantisme dans une prose élégante

L'histoire en résumé, est celle de la rupture d'un couple, en voyage a Tokyo, qui s'aime toujours mais ne se supporte plus. On ne connait pas le nom du personnage qui nous narre son histoire, mais on connait celui de sa compagne, Marie, qui devient le personnage principal de part son importance pour le narrateur.


Après La Salle de Bain, du même auteur, Faire l'amour est un changement de style radical : le ton est moins factuel, moins comique, plus romantique et personnel ; les phrases s'allongent et le style s'étoffe de plus d'épithètes et de figures de style. Le ton de la narration surprend par son romanesque, loin de l'écriture blanche de ses débuts (à la Camus ou Houellebecq) qui soulignait la trivialité, la banalité de la vie quotidienne. L'écriture de Toussaint abandonne ici l'ironie et la narration factuelle de détails triviaux, pour se concentrer sur l'important du point de vue d'une expérience humaine, la subjectivité. La prose devient délicieuse par ses tournures élégantes, son rythme, son choix des mots. L'esthétique de ce roman est réussie, avec ses ambiances nocturnes, feutrées, ses lumières obsédantes, qui voilent la réalité d'un flou onirique mélancolique, propre à la nuit, où tout semble possible.
On retrouve néanmoins des points communs avec La salle de bain, dans la narration ; par exemple la fuite en train, pour s'éloigner de l'autre, sans que les motifs en soient clairement précisés ; ou encore ces moments qui permettent à l'anxiété sous-jacente de ressortir, de soulager cette volonté de faire du mal (la scène de fléchette dans La salle de bain, et l'acide chlorhydrique dans Faire l'amour). Comme à son habitude, Toussaint nous embarque dans un récit court, rythmé, sans longueur ni descriptions gratuites ; celles-ci sont employées avec mesure et permettent de créer une ambiance qui reflète l'état d'esprit des personnages.


Loin de la tragédie shakespearienne, de l'amour courtois chevaleresque, ou de la romance bourgeoise, on évite les clichés du genre ; il s'agit d'une histoire de rupture plutôt que d'une histoire d'amour à proprement parler. Toussaint réintroduit le romantisme dans un cadre urbain contemporain, sans pour autant se rouler dans le pathos artificiel du XIXe siècle ou des des romans de plage modernes ; il sait rester sobre et ne déployer de sentimentalisme que par touches pour ne pas saturer son lecteur.
L'action frôle parfois l'incongru, mais une ambiance presque surréelle, fascinante, patine le récit – comme dans un rêve, immergé dans le flou propre à la fiction, à laquelle on croit malgré qu'on sait qu'elle soit improbable. Le côté tragique de la fin déterminée par avance renforce la particularité de ce roman : une esthétique inégalée, transformant une simple rupture en œuvre d'art.

Sivoj
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le 22 févr. 2017

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