Bon, je ne trouve pas la bonne traduction. Celle que j'eûs entre les mains était de Jean Amsler.

En parcourant ces lignes, j'ai d'abord eu honte de mon manque de vocabulaire. Pas dans le sens où je ne comprenais pas Goethe, non, je dirais que j'étais jaloux (et je le suis encore un peu). Tout d'abord parce qu'on peut écrire tous les jours sans réussir à exprimer une idée, une situation ou une pensée de façon aussi détournée et imagée tout en la rendant parfaitement explicite. La quasi totalité de la pièce est écrite en vers, et pourtant la lecture résonne bizarrement à mon oreille. En fait, j'ai si peu cherché la rime que je ne l'ai presque pas trouvée : au lieu de ça je me suis plongé tout entier dans les personnages tout en restant à la surface de l'écriture. Elle est si riche et bondissante qu'on a l'impression qu'elle a toujours une longueur d'avance. Les rimes se perdent en fait dans la diversité de l'écriture, comme si l'auteur avait voulu que chaque nouveau mot aposé à une phrase se révélât inédit.
C'est un peu comme si j'observais le fond marin tout en flottant à la surface d'une mer agitée : les vagues me bercent et me ravissent en surface tandis que le fond est calme, bien sûr, mais qu'au fur et à mesure que je me plonge plus profondément dans sa contemplation, les joutes du remous laissent place aux ténèbres.

Pourtant c'est avec délice qu'on prend la main de Faust pour la tendre à Mephisto. Et curieusement, je le plaignais bien plus de son insatiété en notre bas monde que de sa souffrance post-coïtale. Non, en y pensant, ce n'est pas si curieux. Tout est si simple dans cette pièce qu'on accepte avec joie la proposition de Mephistophélès, puisqu'au lieu de nous peindre Faust comme un narcissique l'auteur réussit à le peindre ennuyé. Et perdu aussi, et blazé. C'est un parfait disciple, somme toute.
Ce qui est fou dans ce personnage c'est qu'on l'admirerait, à le savoir si conscient du "pacte" qu'il va passer et avec qui, sans qu'il n'éprouve aucun doute dans sa capacité à assumer ses actes dans un futur proche. Il s'en tamponne tellement le coquillard, lui, qu'il prendrait presque le diable de haut.

On s'aperçoit néanmoins assez rapidement qu'il n'a rien vu, il est parfaitement dupe. Il est fort instruit de ces longues années à étudier toutes sortes de disciplines, mais il ne sait pas boire, il ne sait pas manger et il est si novice dans le rapport social qu'il ne sait que se méfier ou s'abandonner. Mephisto le lui dira d'ailleurs lors de la nuit de Walpurgis : il n'aime que trop les illusions.
Alors ce bon vieux M. l'initie à l'amour. Le bon vieil amour, celui qui prend aux tripes dès qu'on aperçoit l'autre, sans même se connaître.

Et ça part dans tous les sens, des cœurs, des chants, des personnages farfelus, des plaisantins et de bons mots, on flotte dans une joute verbale infinie, et l'on ne peut que plier le jarret devant la fripponerie du malin. Il paraît toujours enclin à aider, secourir Faust, et lorsqu'on pense qu'il va lui planter une corne dans le dos, ou que Faust semble contrecarrer ses plans, on est bien obligés d'admettre que Mephisto n'a besoin de nul plan. Il est là, se régale. Il est curieux, presque joueur. S'il m'est apparu ultracharismatique, c'est sans doute que j'ai basculé. Mais c'est plus sûrement parce que c'est ainsi qu'il est construit. Désinvolte, il vivrait presque au jour le jour. Détourner Faust du Saint chemin? Trop facile, observons-le sans piper mot, contentons nous de lui apporter sur un plateau ce qu'il demande, et de lui suggérer quelque rencontre en usant de la simple psychologie inversée. Aaah Mephisto, je suis presque sûr que j'aurais souscrit à ton pacte.

C'est intelligent, osé, amusant, en un mot c'est du divertissement pur. L'écriture, encore une fois, est particulièrement raffinée et les châpitres sont courts, on ne s'ennuie jamais. J'ai beaucoup aimé la fin, et j'ai beaucoup aimé la question de Marguerite à Faust sur sa foi. J'ai adoré le fait que Mephisto, décrit comme un personnage aimable en société dans le livre, soit percé à jour par Marguerite de façon si précise, et bizarrement de façon si crédible. En fait, si l'histoire est simple, on est contamment surpris, mais ça ne dure jamais plus d'une seconde : on serait prêt à gober n'importe quoi puisque tout prend du sens sous cette plume incroyable.

Aïe aïe aïe à présent j'ai peur de voir le film de Sokurov. Scritch m'a mis en garde, presque trop, même !


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le 21 juin 2012

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