Gagner la guerre commençait bien. Trop bien, même. Le style était léché, l'auteur sait manier la langue sans l'ombre d'un doute. Benvenuto est l'archétype de l'anti-héros, le parfait connard que l'on adore détester par sa verve, sa gouaille et son insolence. On déambule dans les ruelles de Ciudalia, dans les conspirations politiques, on découvre peu à peu le passé de ce protagoniste et on apprend à le connaître. Un livre, qui selon moi, pouvait être les Salauds Gentilshommes français.
Puis ça se gâte et notamment à partir de la 300ème page pour ma part. N'est pas Scott Lynch qui veut.
Le problème avec Gagner la guerre est tout l'arrière plan, si l'on s'amuse à l'analyser de près.
Dans un premier temps, aucun personnage féminin d'envergure : critiquées de putains, si elles sont brillantes, elle seront laides ou peu au goût du héros. Il se contentera de s'essuyer les solerets sur leur tête. Les femmes se font violer, couchent pour réussir et ne sont que des pions dans un monde d'homme. On me répondra "oui mais c'était l'époque blabla". Assez avec cette réponse bas de gamme. Justement, pourquoi ne pas être original et une fois de plus prendre les choses à contre courant au lieu de se contenter de rebrosser pour la millième fois le même décor, si plein d'injustice ?
Car oui, c'est un monde d'hommes et pas des moindres : bandits de grands chemins, magiciens, brigands, politiques. Ils sont partout, calculateurs, vils, vénaux et sans scrupules. Ils se glorifient entre eux, se manipulent, tuent comme vous et moi prenons une bière. Les clés d'une masculinité sordide et toxique. Le héros est mysogine, raciste, homophobe, violent et violeur. Cela commence à faire beaucoup et d'autant plus quand cela est banalisé, normalisé.
Nous parlons tout de même du viol par sodomie d'une gamine de quinze ans, décrit avec un trait d' "humour" : "Ce fut ainsi, par la petite porte, que je m'introduisis dans la famille du Podestat."
Sauf qu'il n'y a rien de drôle. On banalise le viol, la pédophilie en se cachant derrière la beauté et le cynisme de la phrase. Si encore, le personnage principal se retrouvait perclus de remords... Mais non. Il ne craint que pour sa tête.
On pourrait espérer que certains autres personnes lui rabattront le caquet, le remettront à sa place pour qu'un peu de bon sens, d'espoir et de bienveillance soient distillées tout au long du roman. Perdu, reperdu et re-re-perdu. Jaworski dépeint une société infâme et où personne ne se fait la réflexion que tout n'est pas normal. Où commence le cynisme et où débute la normalisation d'une société basée sur ce qu'il y a de plus sombre et de vil ?
Le style, si séduisant au démarrage, devient une réelle TANNÉE au bout de trois cent pages. On a compris que l'auteur rédigeait bien, il n'est pas nécessaire de caler dans une même phrase des mots désuets et des adjectifs qualificatifs à cinq syllabes. Et que l'on décrive tout minutieusement, et que Don Benvenuto se perde dans des digressions peu pertinentes...
Gagner la guerre est une cruelle déception : de prime abord, la séduction opère. Mais dès que l'on gratte le vernis, on en sort écoeurés.