Je ne suis pas très versé en science-fiction ni en fantasy, mais je m'étais fait offrir naguère, et je viens de finir, l'excellent "Gagner la guerre" de Jean-Philippe Jaworski. Et c'est une véritable découverte littéraire. En termes de qualité d'écriture, il n'est pas excessif d'affirmer que l'auteur peut prétendre au titre de grand écrivain ; le style est riche, ample, débordant, exubérant, "truculent" dit la 4e de couverture (pourquoi pas), virtuose plus d'une fois, toujours captivant, fondé sur une maîtrise impressionnante des ressources de la langue. On a l'impression qu'on pourrait lire sans ennui le récit détaillé de n'importe quoi, par exemple d'une interminable cérémonie funéraire, ou d'un combat naval étalé sur 40 pages ; la gouaille du héros-narrateur prévient toute lassitude. Quant à l'histoire, elle se passe pour l'essentiel dans une cité, Ciudalia, inspirée des thalassocraties italiennes, et il est assez exceptionnel en littérature de sentir à ce point vivre et fourmiller un univers entier entre les pages. Autre point appréciable, l'auteur n'abuse pas du surnaturel et ne s'amuse pas à sortir des sortilèges de son chapeau à chaque fois qu'il a besoin de résoudre une situation. Il y a quelques sorciers, un peu de magie ("blanche", "noire" et "vive"), des elfes toujours jeunes et des nains en toile de fond, mais je n'ai pas eu du tout le même sentiment déplaisant qu'en lisant Zelazny, par exemple, où les inépuisables ressources du merveilleux semblent autoriser toutes les facilités.


Bien sûr cette impression de richesse et d'amplitude tient aussi à la taille du pavé, pas loin de 1000 pages en édition de poche. Et inévitablement il y a quelques longueurs - vers les deux tiers du récit, celui-ci prend une direction un peu inattendue, qui nous éloigne momentanément de Ciudalia ; les intrigues de cour qui nous maintenaient en haleine sont soudain suspendues, comme s'il fallait prendre une grande respiration avant un finale vraiment haletant et, si je puis dire, suffocant (vous comprendrez quand vous y serez). Ces quelques chapitres ne sont pas les meilleurs du livre. Mais enfin, dans 1000 pages de cette qualité, on peut bien pardonner un peu de déchet, surtout qu'il s'agit d'un déchet tout relatif.


Je crois comprendre que Jaworski est considéré avec Alain Damasio comme l'un des grands noms de la fantasy littéraire française contemporaine. Ca ne m'étonne pas ; mais pour avoir lu, du second, La Horde du contrevent, et pour l'avoir plutôt appréciée, je dois dire que je mets Jaworski au-dessus de Damasio. Il y a chez lui quelque chose de plus fluide, de moins prétentieux, et même de moins longuet, en dépit de la taille de son roman.

Gauvain
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le 23 juil. 2020

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