En attaquant Gagner la guerre après avoir adoré Janua Vera, je m'attendais à un chef d'oeuvre ; je dois dire que j'ai été déçue.


Certes, Jaworski a une sacrée plume, son univers est riche et cohérent, l'intrigue se tient en dépit de sa complexité, les personnages sont originaux et bien caractérisés, le style de langue crapuleux m'a paru bien rendu, la magie noire fait vraiment froid dans le dos, la chute est très réussie... Pour tout ça, je dis bravo.


Par contre, un premier bémol m'est inspiré par la longueur du texte. Pas que j'aie systématiquement quelque chose contre les romans de 700 pages, mais là une très grande partie d'entre elles est consacrée à des descriptions ou des conjectures qui auraient pu être condensées.


Mon deuxième problème, c'est le personnage principal / narrateur. J'ai vu la critique d'un autre internaute qui disait adorer Don Benvenuto, car ce serait un personnage en nuances de gris. Là j'avoue que je suis sciée !...
Benvenuto, on le voit successivement assassiner sur commande (plusieurs fois), se foutre de la gueule de la famille d'une victime, trahir un compagnon d'armes et violer une gamine de 15 ans en l'étouffant à moitié pour l'empêcher de se débattre – en qualifiant cet acte de fredaine. Il se sent vaguement merdeux mais n'a pas le cran de faire quoi que ce soit pour redresser la barre ; par contre, pour frétiller de la queue comme un caniche à l'approche du seul personnage plus pourri mais plus puissant que lui, il n'est pas gêné. Par-dessus le marché, il est raciste et misogyne (vous me direz, on a rarement vu un violeur féministe).
Petit échantillonnage du lexique couramment utilisé pour désigner les personnages féminins : la première croisée, qui avait le tort d'être âgée et en surpoids, a été qualifiée de grosse vache et carrément d'  immonde ; l'ado, c'est forcément une péronnelle, une pimbêche, une écervelée, une peste, une garce, une salope... (oui oui, c'est lui qui la viole, mais c'est elle la salope, question de répartition des tâches j'imagine) ; et la vieille salope, c'est sa propre mère.
Alors non, perso je ne vois pas la moindre nuance dans ce personnage, c'est juste un salopard intégral. Oui, il a une niaque extraordinaire, mais ça n'est plus une qualité chez un individu que l'on souhaiterait justement voir crever.


Le troisième point sur lequel je bute, il découle du deuxième mais prend une autre envergure : la construction même du roman reflète parfaitement les... hum... valeurs du personnage.
Personne n'est vraiment sympathique dans ce bouquin, mais ce sont globalement les pires enflures qui s'en tirent le mieux.
L'ado, en guise de justice, n'obtiendra que de nouvelles humiliations (pour la petite anecdote, la scène où son propre père spécule sur l'état de son entrejambe devant ses hommes d'armes). Le personnage principal sera même récompensé d'avoir commis ce viol, un puissant ayant trouvé l'initiative franchement sympathique. Et au cours de la toute dernière scène rassemblant la jeune fille et son violeur, celui-ci va avoir le culot de s'offrir un accès de sentimentalisme insupportable, qui est peut-être censé le rendre touchant mais à mon avis lui aurait surtout valu de se faire vomir à la gueule si la demoiselle n'avait pas été trop sonnée pour entendre ce qu'il racontait.
Pour couronner le tout, le morceau de bravoure final consiste à massacrer tous les membres d'une famille dans son foyer, et à piétiner délibérément jusqu'au bout la totalité des personnages féminins – significativement, la dernière phrase adressée à une femme, vous devinez ? vous n'êtes qu'une femme… La réponse ou même la réaction de l'interpellée n'est pas mentionnée, de telle manière que j'en viens à me demander si ce n'est pas carrément l'auteur qui vient nous cracher son mépris à la face.


Ah mais j'allais oublier d'évoquer la touche finale : le narrateur qui vient humilier un homosexuel coincé dans un cachot. C'est vrai que ça manquait encore à ce vaste tableau de la banalisation du crime, d'autant plus dangereux que le bouquin est bon, et que le narrateur prend vie de manière à ce qu'une frange importante du lectorat le trouve attachant malgré tout.


Du reste, je suis bien ennuyée pour mettre une note et je pense donc en arriver à un 5 : je ne peux pas mettre moins puisque c'est un texte techniquement réussi, je ne peux pas mettre plus puisque je ne l'ai pas aimé.


En conclusion, je retire de cette lecture une vague nausée, et si je reconnais à Jaworski en tant qu'auteur des qualités certaines, en tant qu'homme je me pose des questions...

Emiliz
5
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le 12 sept. 2016

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Emiliz

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