Love Story : how it should have ended
Ce livre parle d'une époque, parle d'une romance, parle d'un homme. Et il en parle comme s'il s'attaquait à tous les préjugés positifs sur ces trois thèmes. Pas d'époque faste, pas de romance pure, pas d'hommes exceptionnels.
Tout commence en 1920. Un jeune homme sur-éduqué et parfaitement inapte à la vie dans n'importe quelle société qui ne trimballe pas un dictionnaire sur soi débarque dans un riche quartier de la côté est, pour y entamer sa vie active. Il y retrouve notamment un couple de connaissances et une femme au cynisme étudié qui ne le laisse pas indifférent. Il réalise bien vite que son voisin direct est un certain Jay Gatsby, millionnaire mystérieux sur qui court les plus folles rumeurs et qui organisent de somptueuses réunions. Remarqué par le ploutocrate, notre jeune héros comprendra ce qui motive Gatsby dans son exposition d'opulence.
Beau résumé, non ? De là, on pourrait attendre un beau livre décadent sur la corruption des moeurs, sur les soirées dantesques qui tournent mal, sur l'élévation et la chute des grands hommes... On aurait tout faux. Tout ce qu'il reste de cet aspect, c'est cette narration bizarrement détachée si typique du début du XXeme siècle. Autrement, tout est rabaissé, tout est banalisé, tout est, en somme, humanisé.
Là où notre personnage principal débarque, lui qui vient de son petit patelin du Middlewest, ce n'est pas tant dans l'antre de la perversion morale que dans un monde où les passions sont affichées au grand jour. Et elles ne sont guère glorieuses. Fêtes sans but, aventures sans lendemain, fierté de quatre sous, désirs bouillonnants mais vagues... On est loin d'une vision romantique. Ici, les considérations sont mesquines, et les êtres ne valent guère mieux. Raciste, borné, faible, inconséquent, malhonnête, toute la palette des défauts humains se retrouve dans les personnages secondaires. Non pas qu'il forme une galerie de monstres, ils sont juste aussi normaux que possibles.
Gatsby est celui qui veut échapper à cette banalité misérable. Pour cela, il use de deux moyens, le luxe et le rêve. L'un pour satisfaire son orgueil et un complexe d'infériorité, l'autre par pur désir d'absolu. Lui qui incarne la superficialité est le personnage le plus torturé et avide de pureté de l'oeuvre. Gatsby est un homme capable d'aimer passionnément, voire à la folie. Un homme qui se forge un but inaccessible auquel il aspire avec un désespoir de poète. Mais il fait bel et bien partie du monde, et est pour cela dissimulateur, parfois peu fin, vite déstabilisé, orgueilleux. La réalité ne se prive pas de le lui rappeler lorsqu'il perd finalement ce qu'il avait toujours désiré, quand il était à deux doigts de l'obtenir. Le rêve quitte définitivement Gatsby, le laissant seul parmi les lumières factices de son manoir. Le sordide d'une affaire sanglante finira de détruire la tour d'ivoire qu'il avait voulu bâtir et à laquelle le lecteur s'était pris à croire.
Ce livre, comme son narrateur, est honnête. Ni hagiographie, ni condamnation. Juste la médiocrité derrière les poses, la vacuité derrière les paillettes, la pauvreté de nos aspirations au-delà des normes. Seule la mélancolie reste. Fitzgerald fait d'autant mieux vivre les années 20 qu'il enterre le mythe doré qui les entoure. A se demander si on ne préférait pas partager l'espoir inaccessible du pauvre Gatsby, l'homme qui voulait fuir le réel, et qui l'incarnait si bien.